Le président turc Recep Tayyip Erdogan à la tribune de l'ONU, le 19 septembre 2017 à New York © AFP TIMOTHY A. CLARY
Opposés sur de nombreux dossiers, la Turquie et ses rivaux régionaux sont unis dans leur hostilité à un Etat kurde à l’approche d’un référendum d’indépendance dans le nord de l’Irak, craignant une contagion chez eux.
Il y a quelques mois encore, Ankara échangeait des invectives avec Bagdad au sujet d’une présence militaire turque dans le nord de l’Irak, et ses relations avec l’Iran étaient plombées par des divergences sur le conflit en Syrie, où les deux pays soutiennent des camps opposés.
Ces désaccords semblent avoir été mis sous l’éteignoir et les trois pays affichent la même intransigeance contre le référendum d’indépendance que les Kurdes d’Irak organisent le 25 septembre, même si aucune action commune concrète ne semble à l’ordre du jour.
La Turquie, dont la population compte au moins 15 millions de Kurdes, voit d’un mauvais oeil toute ébauche d’un Etat kurde même hors de ses frontières, de crainte que l’émergence d’une telle entité ne galvanise la quête d’autonomie des séparatistes du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) dans le sud-est du pays où le conflit a coûté la vie à plus de 40.000 personnes depuis son déclenchement en 1984.
– ‘Profondes suspicions’ –
Si la majorité des Kurdes se trouvent en Turquie, quelque six millions vivent en Iran où des heurts épisodiques opposent les forces de sécurité à des rebelles issus de cette minorité. Un soulèvement kurde durement réprimé avait suivi la révolution islamique de 1979.
Le président turc Recep Tayyip Erdogan, qui doit se rendre en Iran le 4 octobre, a affirmé récemment que les deux pays pourraient lancer des opérations conjointes contre les milices kurdes en Irak, ce que Téhéran a démenti.
Ali Vaez, spécialiste de l’Iran à l’International Crisis Group, souligne que la Turquie et l’Iran ont un intérêt commun à préserver l’intégrité territoriale de l’Irak mais que leur rivalité historique pourrait empêcher toute action conjointe pour atteindre cet objectif.
« Bien qu’ils aient essayé d’oeuvrer ensemble face à des sujets de préoccupation communs, de profondes suspicions que chaque partie nourrit sur les ambitions de l’autre les ont empêchées de conclure un arrangement susceptible d’éteindre les conflits régionaux », dit M. Vaez à l’AFP.
– ‘Dégâts significatifs’ –
En dépit de la présence de bases du PKK dans le nord de l’Irak, la Turquie a tissé ces dernières années des liens économiques étroits avec les autorités du Kurdistan irakien (KRG) qui pourraient lui servir de levier de pression pour empêcher la mise en oeuvre d’un éventuel vote pour l’indépendance lors du référendum.
Le Kurdistan irakien est en effet devenu l’un des principaux marchés d’exportation pour la Turquie et les produits turcs abondent dans les principales villes de cette région.
La Turquie est aussi l’unique voie d’exportation du pétrole du Kurdistan irakien, qui transite par un pipeline débouchant dans le port turc de Ceyhan.
« La Turquie est en mesure d’infliger des dégâts significatifs aux Kurdes irakiens si elle le souhaite », souligne David Romano, professeur de politique du Proche-Orient à l’université d’Etat du Missouri aux Etats-Unis.
Mais il fait valoir que la Turquie risque elle aussi de perdre gros en rompant ses relations commerciales avec le KRG qui lui rapportent quelque 10 milliards de dollars par an, une manne qui devrait dissuader Ankara de transformer en actes sa rhétorique musclée contre le référendum.
« La Turquie fait beaucoup de bruit contre le référendum mais c’est surtout pour apaiser la composante nationaliste de l’électorat du parti au pouvoir », estime-t-il.
– ‘Terrain d’entente’ –
Selon certains analystes, la priorité accordée par Ankara au combat contre les velléités indépendantistes kurdes pourrait même l’inciter à trouver un terrain d’entente avec le régime syrien de Bachar al-Assad, pourtant devenu son ennemi juré depuis le début du conflit en Syrie en 2011.
Ankara et Damas veulent en effet empêcher la création d’une zone autonome kurde dans le nord de la Syrie voisine du KRG et de la Turquie, une région où les milices kurdes syriennes des YPG contrôlent de vastes territoires.
« Les actions d’Ankara montrent clairement que le départ d’Assad n’est plus une priorité pour elle et qu’elle privilégie désormais l’intégrité territoriale de la Syrie », estime Aaron Stein, chercheur au centre de réflexion Atlantic Council.
« Cela s’inscrit clairement dans le cadre de ses efforts destinés à empêcher le pouvoir de facto exercé par les Kurdes au Rojava (nord de la Syrie) de devenir une réalité reconnue », ajoute-il.
LNT avec AFP