Crédits photo : Ahmed Boussarhane/LNT
La crise est bien là. Inédite dans sa forme et violente par son impact. Dramatique dans ses conséquences humaines. Préoccupante par ses retombées futures. Il faut acter désormais cette nouvelle réalité. En quelques jours seulement, les maigres espoirs d’un ralentissement en douceur de la croissance se sont envolés. Les dernières prévisions de de croissance expriment ce retournement. Une croissance estimée pour l’instant à moins de 1 % pour le Maroc.
Nul besoin d’être grand clerc pour comprendre que la durabilité du choc sanitaire pèsera de tout son point sur la trajectoire de la croissance. Plus cette situation durera et plus ses impacts seront profonds. L’incidence est estimée entre 2 voire 3 points du PIB au premier mois de confinement et doublerait dans cette proportion si le confinement s’étalait encore un deuxième mois durant selon la dernière publication l’INSEE pour le cas de la France ! Dans l’attente des prochaines publications du Haut-Commissariat au Plan ou du Ministère de l’Economie et des Finances, une hypothèse similaire peut être faite pour l’économie marocaine, nous rapprochant dés lors d’une hypothèse négative !
C’est donc une sortie plus ou moins rapide de l’état de confinement dont dépendra le scenario futur. De deux choses l’une dès lors.
La phase paroxystique passée et l’état sanitaire progressivement levé, le bout du tunnel apparaîtrait au mois de Mai sachant la lente réanimation économique ramadanesque.
La faible lueur d’espoir viendrait d’un possible frémissement de la demande intérieure. Des restrictions du confinement aux joies de se mouvoir et de consommer, il peut se dessiner un « petit quelque chose », une sorte de mini-boom, une reprise momentanée trouvant sa source dans une relative « frénésie de consommation ». Personne ne peut présumer des comportements de lendemains de crise. La dynamique psychologique peut jouer, ici, un rôle considérable dans un éventuel rebond. Mais pour cela, il faudra aussi mettre en place de façon tangible des mécanismes de soutien à l’emploi qui puissent paradoxalement combiner de façon pragmatique et très opérationnel sécurité et flexibilité. Il faudrait également protéger le pouvoir d’achat des salariés endettés pour éviter l’apparition d’une spirale cumulative de défauts de paiement . Un schéma qui nous renverrait aux origines de la crise de 2008 !
Un regain d’activité pour l’été alors ?
Impossible à dire car il est peu probable que l’économie européenne se remette en marche et tracte les économies voisines. Il en ira de même de l’activité touristique des pays émetteurs à destination de notre pays. Une reprise que nous ne verrons pas avant la fin de l’année. Les drames nombreux de touristes bloqués et désemparés au moment des fermetures inopinées des frontières et des suspensions de vols internationaux à travers le monde seront durant quelques mois encore très présents dans les esprits. Quant aux transferts MRE, deux grandes hypothèques altèrent une quelconque projection positive : celle de l’état du marché du travail en Europe particulièrement abimé et celle du redémarrage de l’activité industrielle durant la période estivale – sorte de rattrapage – qui limiteraient de facto les séjours traditionnels des MRE au Maroc. Seul espoir, le prolongement d’une situation passablement avantageuse sur le front des marchés pétroliers.
Quant à la dynamique interne, il est possible que certaines activés aient pu tirer leurs épingles du jeu. Mais beaucoup ne se remettront que difficilement ou pas du tout de ce choc et nécessiteront un énorme soutien financier de la part de l’Etat et des Banques. Restera que la remise en train sera aussi difficile pour les entreprises partagées entre d’une part les difficultés à remettre en place les chaines d’approvisionnement, le souhait de reconduite de projets ou d’investissements momentanément bloqués et, d’autre part, la volonté plus réaliste de repenser leurs stratégies. Ces révisions constitutives en réalité de multiples « ajustements » à la fois humains, financiers et organisationnels ne seraient en définitive qu’un marqueur fort d’une hésitation bien réelle sur fond d’incertitude.
A trop se prolonger alors, la crise sanitaire engendrerait un scénario bien moins commode. L’asphyxie progressive de l’économie entrainerait une rupture durable du courant de production et partant d’investissement. S’installerait alors un climat de morosité se traduisant par un repli continu des marchés boursiers et financiers favorisant une thésaurisation improductive et réductrice de toutes velléités contributives. En ce sens, certains marchés notamment immobiliers auraient à craindre une forte et longue récession. Un marché de l’emploi exsangue entrainerait inexorablement d’énormes complications sur le marché des crédits en raison à la fois d’une réticence certaine à y retourner et aussi des défaillances de remboursement de clients devenus insolvables. Il en serait de même pour les faillites d’entreprises qui pèseront lourdement sur les bilans bancaires. Gare à l’effet boomerang !
Au choc sanitaire succéderait un choc social puis économique. Et pour « couronner » l’effet de ces chocs attendus, un véritable processus déflationniste pourrait s’enclencher sur fonds de chômage et de déprime durable de la consommation après un rebond éphémère.
Qu’il s’agisse de l’un des deux scénarii, il y a urgence. Il y en aurait même plusieurs : celle des moyens financiers à mobiliser pour sauvegarder l’activité, celle de l’affectation des fonds visant à soutenir l’emploi et partant la demande, celle des allocations budgétaires de la Loi de Finances dont il faudra certainement rectifier les orientations, celle aussi des interventions puissantes des banques et de la Banque Centrale. Devant l’incertitude radicale qui est la nôtre aujourd’hui, tous les acteurs en responsabilité de nos politiques budgétaires et monétaires s’activent « robinets ouverts » à contenir cette vague.
Un retour au Keynésianisme …. Peut-être oui, peut-être non ! Mais certainement un rappel que l’économie réelle n’est jamais loin et peut nous rappeler vigoureusement sinon très brutalement ses réalités. N’est-ce pas là une invitation forcée à aller à sa redécouverte. Ce sera n’en doutons pas, le débat d’après-crise !
Karim Amara