Crédits photo : Ahmed Boussarhane/LNT
Les crises, en agissant comme un puissant révélateur des failles et insuffisances des politiques suivies, sont souvent source de précieux enseignements pour les autorités concernées. Il ne peut qu’en être ainsi, de la crise économique induite par la pandémie du Covid-19.
Certes, notre modèle de développement n’a pas attendu cette crise, pour étaler ses insuffisances, le discours royal d’octobre 2017 devant le parlement est assez éloquent à ce titre. Néanmoins, en remettant en évidence les failles de ce modèle, la crise actuelle souligne l’urgence qui s’attache à les corriger ; elle étaie également, à la lumière des enseignements que notre pays peut en tirer, l’analyse imputant, en grande partie, les insuffisances de notre modèle de développement, à l’emprise des dogmes néolibéraux sur notre politique économique (Cf. notre article ʺContribution à la refondation du modèle de développement du Marocʺ publié par le n°1066 du 30-31/03/2018 de la Nouvelle Tribune).
L’indispensable rôle moteur de l’État dans le domaine économique
À cet égard, cette crise a prouvé une nouvelle fois l’irréalisme et l’inopportunité du dogme recommandant à l’État de se désengager du domaine économique, et de se focaliser sur ses fonctions régaliennes. En effet, face à la crise, aucun État n’est resté focalisé sur ses fonctions régaliennes, laissant le soin au marché de s’autoréguler.
Pratiquement l’ensemble des gouvernements des pays développés se sont empressés de mobiliser des moyens financiers importants pour venir en aide aux entreprises en difficulté et pour renforcer des systèmes publics de santé fragilisés par des décennies de politiques néolibérales. Par ailleurs, les études historiques montrent l’importance du rôle moteur assumé par les États, dans les domaines économique et social, lors des phases de décollage économique des pays actuellement développés.
Il est donc temps, pour les autorités marocaines de sortir de cette situation ambiguë qui entrave l’émergence socioéconomique de notre pays, où elles se trouvent tiraillées, entre, d’une part, les exigences que requière l’engagement ferme et franc du pays sur la voie de l’émergence économique et sociale, et de l’autre, les injonctions en sens contraire du FMI dévalorisant le rôle de l’État, qu’elles n’arrivent pas à éluder.
Renforcement de l’administration publique en compétences humaines et moyens matériels
Les autorités marocaines ont dû prendre très tôt des mesures de confinement strictes, car elles étaient conscientes que vue sa situation déplorable, notre système public de santé, victime lui aussi de la logique néolibérale, n’était pas en mesure de faire face à un afflux massif de patients atteints du Covid-19. Le sous-effectif en personnel soignant, le manque d’équipements, les conditions de travail déplorables, les salaires peu motivants, amènent de plus en plus de médecins et de personnel paramédical du secteur public à aller exercer à l’étranger.
Pourtant, malgré ces insuffisances, le personnel médical et paramédical national, a fait preuve de dévouement et d’abnégation et a été à la hauteur face à la crise, tout autant que d’autres corps de fonctionnaires dont la mobilisation en de telles circonstances s’avère nécessaire, et qui pâtissent eux-aussi, d’insuffisances similaires.
Le renforcement de l’administration publique marocaine – victime de la part des tenants du néolibéralisme, de données statistiques fausses, de critères d’évaluation totalement arbitraires, de comparaisons internationales inappropriées -, en moyens humains et matériels adéquats, afin qu’elle puisse assumer convenablement ses multiples fonctions au service de la sécurité et le bien-être des citoyens, constitue un autre enseignement d’importance à tirer par les autorités marocaines de cette crise.
Ce second enseignement découle logiquement du premier. L’État ne peut assumer pleinement son rôle moteur dans le développement socioéconomique du pays, sans disposer d’une administration compétente, dotée des moyens humains et matériels nécessaires à son bon fonctionnement.
L’importance des dimensions sociale et écologique de tout modèle de développement
La pandémie du Covid-19, a réaffirmé, s’il en était encore besoin, que la vraie richesse de tout pays, c’est, avant tout, sa richesse humaine incarnée par ses hommes et ses femmes. Il a suffi, qu’à travers le monde, les hommes et les femmes dussent cesser de vaquer normalement à leur labeur, pour se protéger d’un micro-organisme mettant leurs vies en danger, pour que la crise sanitaire débouche sur une crise économique majeure.
Elle a, dans le même sens, montré que les pays qui ont le mieux réussi à juguler la pandémie et limiter ses effets sur l’économie, ce sont ceux, Chine mise à part, où le citoyen est au centre des préoccupations des autorités, est le mieux éduqué et le mieux protégé socialement.
Elle a, ainsi, mis en évidence que le succès économique des pays, repose de moins en moins sur leur richesse en matières premières, et en capital matériel, et de plus en plus sur le capital humain, celui des talents, de la connaissance et du savoir, en somme sur la qualité de l’instruction, le savoir-faire, et la capacité d’innovation de leurs citoyens.
En conséquence, les pays comme le Maroc, qui aspirent à réussir leur émergence socioéconomique, devraient retenir de cette crise, que les réalisations les plus pressantes, les plus aptes à doper la croissance économique dans leurs pays respectifs, bien plus que les projets d’infrastructures, sont celles qui ont pour finalité le bien-être des citoyens, qui leur assurent, à cet effet, de vivre dignement, jouissant pleinement de leurs droits fondamentaux, disposant de services publics de qualité, notamment en matière d’enseignement et de santé, et de conditions de vie et de travail décentes.
Le bien-être des hommes ne peut que demeurer insatisfaisant, et en constant déclin, sur une terre soumise à l’appauvrissement de la diversité de ses écosystèmes, au réchauffement climatique et à la pollution atmosphérique, phénomènes qui érodent les fondements de l’économie, affectent la santé et la qualité de vie. D’où l’importance de la dimension écologique, au même titre que la dimension sociale, de tout modèle de développement.
La maîtrise du progrès technique
Comme l’a mis en évidence Joseph Schumpeter, au début du siècle dernier, le système économique international n’est pas stationnaire, il est en constante évolution sous l’effet des innovations induites par le progrès technique. Cette dynamique n’a fait que s’accélérer en ce début de 21ème siècle, où se développe sous nos yeux cette nouvelle économie de la connaissance et de l’intelligence artificielle, dominée, comme mis en lumière par l’actuelle crise sanitaire, par la Chine et des firmes américaines comme Google, Facebook, Amazon ou Apple.
Il s’avère ainsi, que sans engagement soutenu sur la voie de la maîtrise de la connaissance et du progrès technique, il demeure illusoire pour un pays, comme le Maroc, de sortir du sous-développement. Même des pays actuellement développés risquent de connaître le sous-développement dans un proche avenir, s’ils ne réussissent pas à prendre le train en marche du progrès technique. Le sous-développement est, avant tout, le produit de la dépendance.
La fin de la mondialisation débridée
Depuis le triomphe des thèses néolibérales dans les années quatre-vingt du siècle passé, qui amena au pouvoir Ronald Reagan aux Etats-Unis, et Margaret Thatcher au Royaume Uni, la mondialisation est perçue comme étant la traduction de la logique néolibérale à l’échelle de l’économie mondiale. Elle correspondrait ainsi, à un système de libre échange total, prônant la levée par tous les pays sans distinction, de toutes les entraves d’ordre fiscal ou autre, à la libre circulation des marchandises, des services et des capitaux.
La crise sanitaire du Covid-19, à l’instar des crises financières de 1997/1998 et de 2008, a remis en évidence, de façon encore plus manifeste et dramatique, les limites de cette forme de mondialisation débridée, qui n’a fait qu’exacerber les inégalités économiques entre pays et au sein même des pays, qui provoque des distorsions au sein des économies en développement qui y sont mal préparées, y induisant des crises économiques, sociales et financières aiguës.
Toutefois, rejeter le libre-échange selon la vision néolibérale, ne devrait nullement signifier prôner le protectionnisme. L’intégration dans l’économie mondiale est une nécessité pour tout pays cherchant à prospérer économiquement.
Cependant, cette intégration devrait être, contrairement à la démarche préconisée par les institutions de Bretton Woods, une action maîtrisée, bien réfléchie, échelonnée dans le temps en fonction de la capacité du tissu économique à faire face à la concurrence étrangère et tenant compte de l’imprévisibilité des mouvements de capitaux, guidée essentiellement par l’intérêt que peut en tirer le pays considéré, qui doit veiller, tout au long de ce processus d’intégration, à réduire progressivement sa dépendance technologique vis-à-vis de l’extérieur.
Puissent ces quelques idées, trouver écho auprès de la commission spéciale pour le modèle de développement.
Mohamed Kabbaj