
Madame Agnès Guillard Experte en relations médias panafricaines Fondatrice de TOUTES ROLE MODELS
Par Agnès Guillard
Experte en relations médias panafricaines
Fondatrice de TOUTES ROLE MODELS
Chaque année, les chiffres tombent et ils sont accablants : les startups fondées par des femmes reçoivent une infime partie des financements destinés aux entreprises innovantes. En 2024, selon les données d’Africa: The Big Deal, les femmes PDG n’ont attiré que 2 % du total des investissements, un niveau historiquement bas. Cette inégalité criante n’est pas propre à l’Afrique : en Europe et aux États-Unis, les tendances sont similaires.
Un écart qui s’aggrave
Les femmes CEO en Afrique n’ont attiré que 48 millions de dollars de financement en 2024 (hors exit). C’est quatre fois moins qu’en 2023 ! À titre de comparaison, près de 2,2 milliards de dollars ont été levés par leurs homologues masculins en 2024.
L’analyse de la composition des équipes fondatrices confirme l’ampleur du déséquilibre. Les équipes fondatrices mixtes ont levé 123 millions de dollars, tandis que les fondatrices solo ou les équipes 100 % féminines n’ont obtenu que 21 millions de dollars. En comparaison, les fondateurs masculins seuls ont levé 430 millions de dollars et les équipes entièrement masculines, 1,6 milliard de dollars.
Alors, pourquoi un tel écart ?
Un écosystème verrouillé par des biais persistants
Plusieurs raisons structurelles et culturelles expliquent pourquoi les startups fondées par des femmes lèvent moins de fonds. La majorité des fonds d’investissement sont dirigés par des hommes, qui, souvent inconsciemment, ont tendance à privilégier des entrepreneurs qui leur ressemblent. Ce biais de similarité exclut de fait de nombreuses femmes du funding game. Par ailleurs, les études le montrent : les investisseurs posent des questions différentes aux fondateurs et aux fondatrices. Alors qu’un homme se verra questionné sur le potentiel de croissance de son entreprise, une femme sera souvent interrogée sur la manière dont elle compte minimiser les risques. Cette différence de traitement impacte directement leur capacité à convaincre et à obtenir des financements. Enfin, lever des fonds repose autant sur les compétences entrepreneuriales que sur la capacité à naviguer dans un écosystème où le networking est clé. Or, les femmes ont historiquement moins d’accès aux cercles d’influence où se construisent ces opportunités.
Conséquences : un frein à l’innovation et à la croissance
L’impact de cette sous-représentation des fondatrices dans les levées de fonds va bien au-delà d’une simple question d’égalité. Les startups fondées par des femmes abordent souvent des problématiques différentes, dans les secteurs de la santé, de l’éducation ou de la fintech inclusive. Moins de financement pour ces entreprises signifie moins d’innovation sur ces enjeux sociétaux.
Prenons l’exemple de la HealthTech : des pans entiers de la santé des femmes restent largement sous-développés, faute d’investissement. Les innovations en santé reproductive, en suivi hormonal et en solutions pour la ménopause peinent à attirer l’attention des investisseurs, alors même que ces sujets concernent des millions de femmes à travers le monde. L’absence de financements limite l’essor des startups proposant des solutions technologiques adaptées aux besoins des femmes, alors qu’elles pourraient révolutionner la prévention et le traitement de nombreuses pathologies.
Ne pas relâcher la pression : rendre visible pour faire bouger les lignes
Changer la donne passe par une action concertée et durable. La visibilité est une arme redoutable pour déconstruire les stéréotypes et attirer davantage d’investisseurs vers les startups dirigées par des femmes. J’en ai fait ma mission. En mettant en lumière les réussites des entrepreneures, en donnant un espace aux voix féminines dans les débats économiques et en favorisant leur présence dans les sphères d’influence, nous pouvons accélérer le changement. Plus elles seront visibles, plus elles seront prises au sérieux.
Cette tribune ne prétend pas lister toutes les solutions ni rendre hommage à toutes les organisations, publiques et privées, qui accomplissent un travail remarquable sur le terrain. Mais au-delà de la visibilité, je vois un second game changer : l’engagement des investisseurs. Certains adoptent déjà des critères objectifs et des évaluations à l’aveugle pour limiter les biais. Il est temps que ces pratiques deviennent la norme.
L’entrepreneuriat féminin n’est pas une cause à défendre, c’est un levier de croissance et d’innovation encore largement sous-exploité. En 2024, il est impensable que les startups dirigées par des femmes restent sous-financées alors que le continent regorge de femmes talentueuses portant des projets à fort potentiel.
Nous avons tous un rôle à jouer pour que, demain, l’argent suive aussi les idées portées par des femmes.