Nouvelle venue dans le ciel africain, la compagnie nationale Air Sénégal SA connaît de nombreuses difficultés qui ne sont pas sans rappeler celles qui ont entrainé la mort prématurée de ses deux sœurs ainées.
Néanmoins, cette petite protégée du gouvernement sénégalais va hériter de la ligne Dakar-Paris-Dakar jusqu’alors exploitée par Corsair.
Une compagnie en construction
Ayant enregistré ses premiers passagers il y a moins de 6 mois et ne comptant pour l’heure que deux appareils desservant une ligne nationale, Air Sénégal voit ses débuts plombés par de nombreuses difficultés.
En premier lieu, Air Sénégal est confrontée à de sérieux problèmes concernant le recrutement de personnels navigants : le pays faisant face à une forte pénurie de pilotes, la compagnie a lancé un très exigeant programme de sélection et de formation s’étendant sur plusieurs mois, à l’issue duquel seuls deux pilotes (sur 30 candidats) sont encore en lice. En attendant la fin de ce programme, les équipages sont en leasing : une solution inévitable mais très onéreuse.
Par ailleurs le système de vente de billets d’Air Sénégal n’est pas opérationnel. En effet, le code AITA de la compagnie – utilisé pour identifier toutes les opérations commerciales la concernant – n’est que provisoire ; et il n’est donc pas encore activé dans le logiciel de réservation informatique de billets GDS utilisé à travers le monde par les voyagistes.
Outre les questions techniques, le fait que cette jeune compagnie quasi-inconnue ne fasse partie d’aucune alliance (telle que SkyTeam ou StarAlliance, pour ne citer que les plus célèbres) la rend quasiment invisible aux potentiels clients, en particulier étrangers. Des clients qui devront de surcroît s’accommoder de créneaux horaires probablement peu commodes à Roissy-Charles de Gaulle, cet aéroport étant saturé et ultra compétitif.
Le remake d’une tragédie ?
Avec Air Sénégal, le président Macky Sall ambitionne de doter la patrie de Senghor d’une compagnie nationale, et ce après les échecs d’Air Sénégal International en 2009 qui bénéficia de l’aide de Royal Air Maroc et de Sénégal Airlines en 2016.
Il y a 7 ans, le président Aboudlaye Wade avait créé Sénégal Airlines dans la précipitation et la compagnie, victime d’une stratégie commerciale défaillante, s’était lourdement endettée avant de sombrer. Il semblerait que le président Sall soit malheureusement en train de réitérer les erreurs de son prédécesseur.
En effet, compte tenu des faiblesses structurelles et opérationnelles d’Air Sénégal, celle-ci n’a vu le jour et ne survit que parce qu’elle bénéfice du soutien affiché des autorités sénégalaises – un soutien qui s’élève à 40 milliards de francs CFA (61 millions d’euros). Néanmoins, le ministre des finances et du plan, Amadou Ba, n’a pas respecté la promesse de débloquer les 17 milliards de Francs CFA (26 millions d’euros) qui devaient compléter le capital de la compagnie.
Pour pallier ce manque, la banque Société Générale devra verser 7 milliards de Francs CFA (10,7 millions d’euros) à Airbus afin que l’avionneur européen puisse livrer les deux A330-990 Neo commandés par Air Sénégal, ceux-ci étant destinés à la desserte de la ligne Dakar-Paris.
Le départ de Corsair, une victoire à la Pyrrhus ?
La ligne Dakar-Paris-Dakar représente 300 000 passagers par an ; un marché jusqu’alors détenu à 45% par Corsair. Néanmoins, l’administration sénégalaise – via son Agence nationale de l’Aviation Civile, l’Anacim – a abrogé l’autorisation de la compagnie française d’exploiter la ligne reliant les deux capitales (ce qu’elle faisait depuis la disparition de Sénégal Airlines) et ce au profit d’Air Sénégal à partir du 1er février 2019. Mais ce remplacement précipité inquiète et est largement critiqué.
En effet, la jeune compagnie gère à l’heure actuelle uniquement la ligne intérieure reliant Dakar à Zinguinchor (capitale de la Casamance), soit l’équivalent de trois heures d’utilisation quotidienne.
Il s’agit donc d’un changement d’échelle considérable pour une compagnie qui – en plus des problèmes cités – a été contrainte durant l’été de clouer au sol ses avions (deux ATR-72-600 neufs) en raison d’incidents techniques.
Les utilisateurs de la ligne ont fait part de leur mécontentement et de leurs inquiétudes via une pétition ayant récolté près de 16500 signatures, qui rappelle la baisse significative du prix des billets depuis l’arrivée de Corsair. Elle pointe aussi le fait qu’Air Sénégal a licencié tous ses cadres sénégalais au profit d’anciens d’Airbus ou d’Air France.
Les Tours Opérateurs sénégalais sont eux aussi inquiets, comme en témoigne René-Marc Chickli, le patron du syndicat des entreprises du tourisme : « Février c’est demain, or supprimer une offre touristique sans informer le marché sur ce qui va être mis en place ensuite, c’est suicidaire ».
En effet, les tour-opérateurs n’ont à ce jour aucun détail sur la programmation ni sur la politique commerciale d’Air Sénégal. Une lacune à laquelle s’ajoute le handicap que constitue le manque de notoriété de la jeune compagnie.
Néanmoins, tout n’est pas perdu pour Air Sénégal : en s’inspirant de la performante Ethiopian Airlines – qui a vu le jour grâce à une association avec American Airlines – il est encore tant pour Air Sénégal d’envisager un partenariat avec Air France (qui est déjà présente sur la ligne Dakar-Paris), ou avec Corsair afin d’assurer une transition en douceur.
Enfin, on ne manquera pas de rappeler que Dakar est également desservi par Royal Air Maroc qui fait jouer à plein son hub casablancais dans le transit des passagers en provenance d’Afrique subsaharienne vers des dizaines de destinations européennes, d’Amérique du Nord et du Sud, du Moyen-Orient, etc.
LNT