Monsieur le Chef du Gouvernement,
La publication du décret du 23 juin 2017 relatif à la commission nationale de lutte contre la corruption nous oblige à relever, encore une fois, que le gouvernement ne respecte pas les engagements qu’il prend envers la société civile. Comme dans les cas précédents, le revirement de la position gouvernementale se révèle à l’occasion de la publication de décisions nettement en retrait avec les projets arrêtés en commun avec les différentes parties prenantes, au terme d’un long processus de concertation avec les premiers responsables gouvernementaux concernés. Comme toujours, on constate en même temps la rupture unilatérale de la démarche participative nécessaire à la réussite des projets, mais aussi une nette altération de l’esprit et des objectifs qui les animent.
Il n’est pas nécessaire de remonter à tous les reniements similaires opérés depuis l’adoption par le Maroc de la convention des Nations unies contre la corruption. Deux précédents récents suffisent : la loi relative à la nouvelle instance nationale de lutte contre la corruption qui l’érige en instance consultative close et le projet de loi relatif à l’accès à l’information qui élimine toute obligation proactive de disponibilité de l’information publique et restreint les moyens de sa réclamation et de recours en la matière.
Depuis vingt années, notre association agit pour initier les réformes nécessaires à la lutte contre la corruption et soutenir les efforts engagés sur la voie de la gouvernance publique. En toute circonstance, elle mobilise ses propres ressources et celles de ses partenaires pour apporter au débat public et aux processus de réforme en cours des expertises qualifiées et des propositions réfléchies, susceptibles d’alerter sur les enjeux et d’éclairer les bons choix. Ses propres plaidoyers opèrent ainsi et font corps avec les objectifs déclarés des politiques publiques en la matière.
C’est dans cet esprit que Transparency Maroc a pris part à la conception de la stratégie nationale, à sa formulation et à la définition des supports de son suivi et de son évaluation. Sa participation, comme celle de la CGEM à ce processus ont été fortement appréciées et retenues pour la mise en œuvre de cette stratégie. Mais rompant avec cette orientation, le décret précité crée une énième commission intergouvernementale de coordination dont la seule ouverture sur le public est constituée par la publication au Bulletin officiel d’un rapport annuel portant sur l’état d’exécution des programmes publics de lutte contre la corruption. Rien dans les termes évasifs de ce texte ne définit le pilotage de la stratégie, la coordination des dix programmes, l’engagement des moyens nécessaires et leur suivi évaluation.
Le bilan affligeant de l’action contre la corruption au cours des deux années écoulées depuis l’adoption de la stratégie nationale risque dans ces conditions de se proroger indéfiniment, à l’instar de celui du précédent plan d’action à moyen terme du gouvernement.
La fermeture de cette instance aux représentants de la société civile, vient confirmer l’attitude similaire adoptée à l’occasion de la détermination de la composition et du mandat de l’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption. Elle exprime une attitude de repli des pouvoirs publics à l’égard de la société civile au moment même où ils sont appelés à promouvoir la redevabilité sociale, la participation citoyenne et la gouvernance publique annoncées par la Constitution.
La défiance ainsi exprimée à l’égard des forces vives de la société, s’ajoute aux mesures d’interdiction de nombreuses activités citoyennes et de dénigrement de l’action des associations les plus engagées en matière de droits fondamentaux. Elle ne manque pas, en retour, d’accroître le discrédit au sein de l’opinion publique à propos de l’engagement des pouvoirs publics sur la voie de l’intégrité, fortement entamé par :
1. L’absence de reddition de comptes aux différents niveaux de l’Etat ;
2. l’extension des conflits d’intérêts des dirigeants en raison de l’impunité et de l’inexistence de tout mécanisme de prévention, d’information, de régulation et de sanction ;
3. l’inertie des pouvoirs publics à la suite des informations rendues publiques sur des malversations commises au Maroc ou à l’étranger et le zèle qu’ils manifestent pour dissuader et sanctionner les donneurs d’alerte, :
4. la poursuite de la dilapidation des biens publics et la création de rentes artificielles protégées par la négation du droit d’accès à l’information et le culte du secret administratif ;
5. la neutralisation de l’indépendance et des pouvoirs tant d’investigation que de poursuite
de l’Instance de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption
Depuis 2011, la revendication de la transparence, de la gouvernance publique et de la lutte contre la corruption vient en tête des mouvements sociaux tant organisés que spontanés, du nord du pays à son extrême sud. Les prémisses de réponses qu’elle appelle contrastent fortement avec les accommodements que les pouvoirs publics expriment à travers des institutions inefficientes et des sursis continus. Nous sommes dans le profond regret de vous le rappeler alors que vous venez à peine de vous engager sur la même voie.
Veuillez croire, Monsieur le chef du gouvernement, à l’expression de nos sentiments de respect.
Le bureau exécutif de Transparency
Maroc Rabat le 18 juillet 2017