Mme Touria El Glaoui
Madame Touria El Glaoui, fondatrice de 1-54 Contemporary African Art Fair, est la fille du célèbre peintre Hassan El Glaoui. Elle-même est devenue un pilier de l’art contemporain africain et a été nommée à ce titre une des 50 femmes les plus puissantes d’Afrique par le magazine Jeune Afrique en 2015, 2018 et 2019. Pour son engagement artistique, elle a reçu le titre de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres de la République Française en février 2019. Son interview révèle une entrepreneur passionnée d’art !
La Nouvelle Tribune : Touria El Glaoui, merci d’avoir accepté de contribuer à ce spécial du 8 mars, pouvez-vous commencer par vous présenter à nos lecteurs ?
Touria El Glaoui : Je suis franco-marocaine, née au Maroc où j’ai passé mon enfance, puis je suis partie aux Etats-Unis poursuivre mes études supérieures. Je suis titulaire d’un diplôme en gestion stratégique et affaires internationales, de la Pace University, à New-York. J’ai commencé ma carrière professionnelle dans le secteur bancaire à New-York en tant que conseillère en gestion de patrimoine. Puis, je suis venue à Londres en 2001 où j’ai intégré CISCO, une multinationale opérant dans le développement d’entreprises spécialisée dans l’informatique et les télécommunications. Dans l’exercice de mes fonctions j’ai eu à partager mon temps entre Londres et plusieurs pays d’Afrique et du Moyen-Orient pendant de nombreuses années. De cette expérience, après avoir quitté CISCO, j’ai créé 1-54 Contemporary African Art Fair (la Foire d’Art Contemporain Africain), dont la première édition s’est produite en octobre 2013 à Somerset House, à Londres. A ce titre, je suis régulièrement invitée à des conférences internationales, pour parler de mon expérience liée à la création contemporaine sur le continent africain.
Depuis, j’ai développé 1-54 à New-York où depuis 2015, la Foire se tient chaque année comme à Londres, et depuis 2018, à Marrakech. Par ailleurs, je suis la fille du peintre Hassan El Glaoui, pour qui j’ai organisé d’importantes expositions internationales consacrées au travail de mon père, notamment à Londres et au Maroc.
Comment avez-vous basculé de la finance votre formation et expérience professionnelles, au domaine artistique ?
Je répondrai spontanément, du fait de mes origines ! Je suis franco-marocaine d’un père artiste, qui m’a probablement transmis sa passion pour l’art et fait ma première éducation artistique.
J’ai en effet été très jeune aux États-Unis pour faire mes études supérieures à l’age de 17 ans, dans un domaine totalement différent, la finance en l’occurrence. Mais, dans mon parcours, ce qui a probablement aussi influencé ma vocation dans l’art contemporain, a été la découverte du continent africain à travers ma vie professionnelle au cours des 5 années passées chez CISCO à couvrir l’Afrique.
Par ailleurs, avant de me lancer dans la création de 1-54 Contemporary African Art Fair, je suis passée par un autre moment décisif, celui de l’organisation d’une exposition de mon père, le peintre Hassan El Glaoui. Elle portait sur l’initiation de ce dernier aux beaux-arts par Winston Churchill, le célèbre premier ministre britannique de l’époque. Le générique de cet évènement était «Meetings in Marrakech», sachant que dans ma famille on disait que c’était Churchill qui avait convaincu mon grand-père de laisser mon père peindre. Sur cette base j’ai contacté la famille Churchill pour apporter un témoignage de cette relation et réussi à faire cette exposition avec l’accord et l’appui de mon père qui était encore vivant. Nous avions travaillé la période pré-beaux arts de sa vie artistique en mettant en avant ses tableaux contemporain de Churchill. Cette exposition qui a commencé à Londres en 2011 et s’est poursuivie à Marrakech, est certainement à l’origine de ma vie professionnelle dans l’industrie de l’art.
L’aura de Churchill et l’importance de son rôle politique en Angleterre, a suscité un grand intérêt pour cette exposition, d’autant que c’était une première que celle d’un peintre marocain à Londres.
Parlez-nous de votre projet de création de 1-54, la Foire d’Art Contemporain Africain ?
J’avais une idée qui me trottait en tête, celle de promouvoir l’Art en pensant au départ au Maroc et ses nombreux artistes, dont ceux à l’étranger. J’ai commencé à travailler mon business plan sur cette initiative, et très vite je me suis rendue compte que ma problématique était encore plus large, sachant que le reste du continent africain que je connaissais, à travers ses scènes artistiques, méritait autant mon attention. il méritait la même visibilité, le même encouragement. Et le projet de lancer une plateforme pour tout le continent africain s’est ainsi imposée, juste après l’exposition sur El Glaoui et Churchill, mon focus sur l’art africain s’est précisé.
A force de persévérance,1-54, le chiffre un pour le continent africain et le nombre 54 pour ses pays a été créé en 2012, et son lancement s’est produit fin 2013. Pendant deux ans, il m’a fallu comprendre quel format adopter», j’ai opté pour celui de «foire» parce que c’est là où le maximum de transactions pouvaient se faire, sachant que 60% du commerce de l’art contemporain des galleries se réalise dans des foires. Je voulais faire franchir le pas à l’art africain d’intégrer les réseaux de foires.
C’est ainsi que depuis 2013, 1-54 organise une foire annuelle à Londres à Somerset House et une à Marrakech avant New York et récemment Paris, les villes où nous nous sommes développés depuis 2015.
Comment ces foires sont-elles organisées ?
Il s’agit de foires qui s’adressent aux galeries d’art et non pas aux artistes en direct. Celles-ci présentent des programmes d’artistes qui sont soumis à un comité de sélection annuel qui choisit les participantes à chacune des foires d’art contemporain africain ; de Londres, Paris, New-York et Marrakech. Dans chaque ville, la taille de la foire dépend aussi de la grandeur du lieu. Les galeries payent un loyer pour exposer leurs artistes dans des stands comme dans toutes les foires. 1-54d se charge d’inviter ou plutôt d’intéresser un certain nombre de collectionneurs et de la communication autour de la foire d’art contemporain.
Nous sommes suivis par 48 galeries à Londres, 25 à New York et autant à Marrakech. Les foires de 1-54 sont sur une durée limitée et sont tellement prisées qu’elles ne durent que de 3 à 5 jours. Le succès de ces foires s’est fait progressivement entre 2013 et aujourd’hui. Le rôle de la plateforme étant de créer un intérêt pour l’art contemporain africain, le nombre de visiteurs est passé de 8 000 la première année à 18 000 pour la dernière en date de 2021 à Londres.
Cet intérêt croissant est le résultat d’un travail constant de 10 ans, un catalogue annuel d’artistes avec leurs biographies et un parcours VIP pour les collectionneurs. Mais, aussi des interventions sur les forums dédiés à l’art contemporain, pour introduire celui africain auprès de tous les collectionneurs à travers le monde. Aujourd’hui, nous avons quelque 200 applications annuelles des galeries qui participent à la foire depuis 9 ans, ce qui me permet de bien connaitre les artistes africains eux-mêmes. Je voudrais rajouter que certaines galeries marocaines nous suivent également et depuis longtemps comme Loft Art Gallery, Atelier 21, et GVCC.
Comment pensez-vous vous développer ? Pourquoi avez-vous choisi Londres pour loger 1/54 ? Quel est le niveau d’appréciation de l’art africain ?
Nous sommes aujourd’hui sur 3 continents avec une petite équipe de 6 personnes qualifiées. A travers les galeries, j’ai une vision globale de ce qui se passe sur le marché de l’art contemporain africain. Ma préoccupation actuelle est de surmonter l’après Covid et voir toutes les foires reprendre leur activité. L’art contemporain a beaucoup souffert de cette période difficile, il s’agit maintenant de s’en remettre et de lancer les prochaines foires, peut-être même les agrandir. Nous serons à Paris du 7 au 10 avril dans l’htel particulier de Christie’s. Puis à New-York du 19 au 21 mai et à Londres en octobre 2022.
Pour revenir au choix de Londres, d’abord j’y habitais mais surtout parce que c’est une des capitales de l’Art les plus prisées où se déroule une des plus grandes foire d’art contemporain, Frieze London, où j’ai pu créer un événement satellite avec l’assurance que les collectionneurs habituels de la foire Frieze viendrait visiter 1-54.
Pour ce qui est de l’appréciation de l’art africain, il est certes moins apprécié pour l’instant que les autres géographies du monde mais, il connaît une croissance certaine ces dernières années.
Comment résumer votre parcours et votre engagement pour l’art ?
Je voudrais revenir sur ma passion pour l’art africain sans laquelle je n’aurais pas pu réussir cette entreprise. Il m’a fallu beaucoup de travail et d’engagement pour rendre hommage au continent africain et certainement à travers lui à mon père, un peintre marocain à l’héritage aussi grand que la renommée…
Entretien réalisé par Afifa Yata