Le dirigeant légal du Pheu Thai en Thaïlande, Chusak Sirinul (D), accompagné de responsables du parti, parlemente avec un policier lors d'une tentative d'interrompre une conférence de presse, à Bangkok le 17 mai 2018 © AFP/Archives Lillian SUWANRUMPHA
La junte militaire au pouvoir depuis plus de quatre ans en Thaïlande a levé mardi l’interdiction de mener des campagnes politiques, à l’approche d’élections promises pour début 2019.
« Cet ordre prend effet à la date de son annonce dans la Gazette royale », précise le journal officiel, publié mardi.
« Le peuple devrait avoir le droit de choisir les partis politiques qui administreront le pays et les partis devraient pouvoir faire campagne pour exposer leurs programmes », assure l’article qui ne met pas fin aux détentions au secret, permettant aux militaires de détenir toute personne pendant sept jours avant de signaler le cas au parquet.
Les politiciens de tous bords, y compris ceux plutôt proches des idées conservatrices des militaires, réclament depuis des mois la levée de l’interdiction des activités politiques, au premier rang desquels les meetings.
Nombre de politiciens jugent tardive cette réautorisation, les élections, plusieurs fois repoussées, étant promises pour fin février par les militaires. Cela laisse désormais à peine plus de deux mois à leurs adversaires pour faire campagne.
« Ils ont voulu conserver l’interdiction le plus longtemps possible », a réagi Abhisit Vejajiva, leader du part Démocrate, conservateur.
Plusieurs dizaines de partis nouvellement créés se sont enregistrés ces derniers mois en vue des élections. Parti démocratique du Siam, parti pour l’unité de la Thaïlande… la plupart des nouveaux entrants sont des novices en politique venus du milieu des affaires ou du monde universitaire, et plusieurs affirment leur étiquette pro-junte.
La vie politique thaïlandaise était dominée depuis près de 20 ans par le Puea Thai qui a remporté toutes les élections nationales depuis 2001, mais est aujourd’hui affaibli car ses figures de proue se sont exilées: Yingluck Shinawatra, la Première ministre dont le gouvernement a été renversé en 2014 par un coup d’Etat militaire, vit en Angleterre pour échapper à une condamnation largement dénoncée comme politique. Son frère Thaksin, lui aussi ex-Premier ministre, a également choisi la voie de l’exil pour échapper à une affaire de corruption qu’il juge politique.
– « Assouplissement » –
La junte militaire avait annoncé en septembre un « assouplissement » de l’interdiction des activités politiques, les partis étant pour la première fois depuis 2014 autorisés à recruter de nouveaux membres. Toutefois, il leur était toujours interdit de faire campagne jusqu’ici.
L’opposition thaïlandaise, au premier rang de laquelle l’influent parti Puea Thai, réclame depuis des mois une annonce officielle de la date du scrutin, laquelle devrait être effectuée par la commission électorale dans les prochaines semaines, pour le 24 février a priori.
Parmi les figures de la nouvelle génération d’opposants, le millionnaire Thanathorn Juangroongruangk, 39 ans, a lancé il y a quelques mois « Future Forward » (« En avant l’avenir »). Il a été inculpé en septembre, accusé d’avoir diffusé de fausses informations sur les réseaux sociaux en accusant la junte de tenter d’intimider ses rivaux à l’approche des élections.
« Même si la junte a révoqué certains de ses ordres, ceux qui aiment la démocratie restent enchaînés par des poursuites judiciaires », a critiqué Piyabutr Saengkanokkul, co-fondateur de « Future Forward ».
Les militaires ont pris le temps de baliser le terrain avant le retour des élections: ils ont fait passer en 2016 une nouvelle Constitution très controversée, avec un Sénat totalement nommé et un contrôle accru sur les députés élus.
La Thaïlande a connu plus d’une décennie d’instabilité politique pendant laquelle le pays a été le théâtre de fortes tensions entre « Chemises rouges » (réformateurs, partisans des Shinawatra) et « Chemises jaunes » (conservateurs ultra-royalistes au premier rang desquels les généraux), conduisant à deux coups d’Etat militaires.
Outre la fidélité assurée de plusieurs partis nouvellement créés, la junte militaire a pris plusieurs longueurs d’avance, son chef, le général Prayut Chan-O-Cha faisant campagne depuis des mois à travers les provinces rurales du pays, tentant de séduire électeurs et influenceurs locaux.
Le général cultive l’ambiguïté quant à ses prétentions politiques post-électorales.
LNT avec AFP