Alors que les analystes étaient divisés dans leurs prévisions, le Conseil de Bank Al-Maghrib, réuni mardi 27 septembre 2022, a décidé, pour « prévenir tout désancrage des anticipations d’inflation et assurer les conditions d’un retour rapide à des niveaux en ligne avec l’objectif de stabilité des prix », de relever le taux directeur de 50 points de base à 2% tout en continuant à suivre de près la conjoncture économique, aux niveaux national et international, et en particulier l’évolution des pressions inflationnistes.
Selon Abdellatif Jouahri, Wali de BAM, l’élément qui a poussé le Conseil à prendre cette décision est le fait que, si l’inflation continue d’être alimentée par des pressions d’origine externe, les dernières données disponibles montrent une large diffusion vers les prix des produits non échangeables. Selon les derniers chiffres, 60% des produits auraient connu une augmentation de leurs prix. Selon le Wali, le but de la décision du Conseil est de « juguler très vite l’inflation et de prévenir le désancrage des anticipations, c’est-à-dire qu’elle ne s’installe pas, ne se généralise pas. C’est l’apport le plus positif d’une Banque centrale à la croissance ». Et d’ajouter : « Nous sommes presque aux 2/3 des sections qui sont touchés. Nous sommes en train de voir une inflation qui risque de se généraliser et durer. Il faut tout de suite réagir contre cette situation-là […] Il vaut mieux payer un prix léger en agissant sur l’inflation, notamment avec le rehaussement du taux directeur, mais rapidement et efficacement, plutôt que d’attendre et de voir se généraliser et durer, ce qui va forcer à prendre des mesures plus draconiennes avec des conséquences plus négatives ».
L’inflation à son plus haut depuis 1992
Interrogé sur le véritable impact de cette décision sur l’économie marocaine, il a tempéré : « Nous n’avons pas été dans la démesure ». Soulevant que les modèles de BAM projettent une inflation à 2,4% en 2023, c’est-à-dire toujours au-dessus de la cible de 2%. « Nous avons discuté 75 pbs, mais nous ne l’avons pas choisi. Tout d’abord du fait des incertitudes », a-t-il noté. Concernant l’impact sur la croissance, dont BAM a réajusté les prévisions de 0,2% à la baisse, il a relevé : « C’est ce que nous ont donné nos modèles. Mais je concède que l’impact est davantage psychologique. Comment va-t-on y arriver ? Comme toujours, je vais me réunir avec les présidents des banques, leur demander un reporting, voir comment tout cela va être répercuté. Nous le suivrons de très près. »
Côté chiffres, les données relatives aux huit premiers mois de l’année indiquent que l’inflation a poursuivi son accélération pour atteindre 8% en août après 7,7% en juillet, 6,3% en moyenne au deuxième trimestre et 4% au premier. Elle est tirée essentiellement par le renchérissement des produits alimentaires et des carburants et lubrifiants. Les projections de Bank Al-Maghrib tablent désormais sur une accélération de l’inflation à 6,3% sur l’ensemble de l’année, contre 1,4% en 2021, avant de revenir à 2,4% en 2023. Portée par la hausse des prix des produits alimentaires qui y sont inclus, sa composante sous-jacente passerait de 1,7% à 6,3% en 2022 puis décélérerait à 2,5% en 2023.
De son côté, la croissance économique marquerait, selon les projections de BAM, un net ralentissement cette année à 0,8%, résultat d’un recul de 14,7% de la valeur ajoutée agricole et d’une décélération à 3,4% du rythme des activités non agricoles. En 2023, elle s’accélérerait à 3,6% en lien avec la hausse prévue de 11,9% de la valeur ajoutée agricole, sous l’hypothèse d’un retour à une production céréalière moyenne de 75 millions de quintaux. Les activités non agricoles continueraient en revanche de ralentir, leur rythme devant revenir à 2,5%.
Les recettes voyages à leur niveau pré-pandémie
Sur le plan des comptes extérieurs, quelques (rares) points positifs ressortent. Notamment, la forte dynamique des échanges devrait se poursuivre cette année avec une hausse des exportations de 34%, tirée essentiellement par les ventes du phosphate et dérivés, dont les prix sont toujours en hausse, qui atteindraient 144,5 milliards de dirhams et celles du secteur automobile qui se situeraient à près de 100 milliards. En 2023, un recul des exportations de 1,1% serait enregistré, avec la baisse relative des cours du phosphate et dérivés. En parallèle, les importations ressortiraient en progression de 34,5% en 2022, sous l’effet de l’alourdissement de la facture énergétique à 135,1 MMDH et de l’accroissement des achats des demi-produits à 167 milliards. En 2023, elles diminueraient de 4,6%, en lien principalement avec les replis prévus des cours des produits pétroliers et des approvisionnements en blé. Autre bonne nouvelle pour le Maroc : avec la réouverture des frontières et la régression notable de la pandémie au niveau mondial, les recettes voyages connaitraient une nette amélioration à 79,8 milliards de dirhams cette année, au niveau des recettes de 2019, et se stabiliseraient à ce niveau en 2023. Tenant compte des performances enregistrées depuis le début de l’année, les transferts des MRE devraient continuer de progresser pour totaliser près de 100 milliards de dirhams sur l’ensemble de l’année avant de revenir à 92,4 milliards en 2023. Dans ces conditions, le déficit du compte courant se situerait à l’équivalent de 3,2% du PIB en 2022 avant de s’alléger à 1,9% en 2023. Concernant les IDE, les recettes avoisineraient l’équivalent de 3,2% du PIB annuellement sur les deux prochaines années. Au total, et sous l’hypothèse notamment de la concrétisation des financements extérieurs prévisionnels du Trésor, les avoirs officiels de réserves s’établiraient à 343,7 milliards de dirhams à fin 2022 et à 360,7 milliards à fin 2023, assurant ainsi une couverture autour de 6 mois d’importations de biens et services.
Une dépréciation du dirham à surveiller
La période a également vu le dirham se déprécier. La forte appréciation du dollar vis-à-vis de l’euro, induite notamment par la divergence des rythmes de resserrement des politiques monétaires de la FED et de la BCE, se reflète sur le taux de change effectif nominal du dirham. Après une hausse de 2,1% en 2021, ce dernier devrait enregistrer une légère baisse sur l’ensemble de l’année avant de s’apprécier de 1,7% en 2023. M. Jouahri a commenté sur ce point : « Lorsqu’en juin, nous avons pris la décision de ne pas bouger, le dirham allait dans la bonne direction et nous avions même commencé à acheter des devises aux banques. Depuis quelques mois, le dirham se déprécie. Nous avons interrogé les banques et les responsables de salles de marché. D’un côté, on voit les rentrées touristiques et des MRE en forte hausse. Mais il y a des mouvements à l’import très importants (céréales, énergie…). Malgré l’apport des rentrées, cela a poussé le dirham à la dépréciation. Nous allons faire des adjudications de devises pour le système bancaire ».
Le Wali a également abordé le point du Trésor et de sa sortie qui était prévue à l’international. « Il me semble que les conditions sont de plus en plus difficiles », a-t-il commenté, « les bonnes fenêtres se referment ou ne sont pas là ». Et d’ajouter : « Le Trésor va essayer de mobiliser l’ensemble des contributions extérieures sous toutes leurs formes […] Au niveau du financement, ça ne me pose pas de problème, il a au moins deux sources : la LPL et la DTS ». Le Wali a ainsi de nouveau rappelé que les conditions actuelles permettent au Trésor de tirer sur la LPL.
Enfin, pour ce qui est de la 2ème phase de flexibilisation du dirham, il a expliqué que Standard & Poor’s lui a récemment posé la question, et qu’il a répondu à l’agence de notation que les très grandes incertitudes internationales poussent à la prudence. On aura compris que les choses ne risquent pas de bouger à ce niveau-là tant que la situation au niveau international ne s’est pas stabilisée…
Selim Benabdelkhalek