Crédits photo : Ahmed Boussarhane/LNT
La loi organique n° 97.15, les centrales syndicales n’en veulent pas et veulent le faire savoir ! Adopté à la majorité par la Chambre des Conseillers, le projet de loi organique n° 97.15 encadrant le Droit de Grève a fini par décevoir les syndicalistes qui, face à la détermination du Gouvernement Akhannouch d’en finir avec la réforme de ce texte, ont appelé à une grève nationale. Pourquoi et comment en est-on arrivé là ?
Unanimes, toutes les centrales syndicales continuent de rappeler à qui veut bien l’entendre que sans le respect du droit de grève, le syndicalisme n’aurait pas de sens. Ils sont, depuis des années déjà, contre le principe d’élaboration d’une loi organique qui réglemente le droit de grève (depuis déjà 1962) et préfèrent plutôt le renforcement du dialogue social, la modernisation des relations professionnelles et la conclusion de conventions collectives pour éviter les grèves, citant dans ce sens l’exemple de la France, qui ne dispose pas d’une loi organique sur la grève.
La position de l’Exécutif conduit par le Rniste Akhannouch, elle, est sans équivoque. On dit à ce niveau que l’on est pour le droit de grève, mais aussi contre l’anarchie et l’abus de son usage. Mais beaucoup se demandent si c’est vraiment une priorité, voire une urgence, aujourd’hui pour le Gouvernement d’adopter un tel texte aux enjeux de taille pour les syndicalistes. De là, beaucoup vous diront qu’à l’heure d’une situation socio-économique tendue, le patron du Gouvernement serait inquiété par l’instrumentalisation de l’action syndicale dans le but de casser le projet gouvernemental du RNI, voire les ambitions de cette formation pour un second mandat. En quelques mots, il semble aussi que le SG du RNI n’est pas du genre à céder aux chantages et autres surenchères. En atteste d’ailleurs sa grande détermination à enterrer le débat sur ce droit, qui constitue la principale force mobilisatrice de la classe ouvrière et de l’action syndicale dans son ensemble.
Le projet de loi organique ambitionne de développer une vision claire pour éviter les grèves anarchiques, de sorte à préserver le droit de grève et le droit du travail conformément aux dispositions de la loi. Ce projet sera marqué par de nouvelles orientations qui privilégient le dialogue avant le recours à la grève.
247 amendements soumis
Rappelons qu’au Parlement, en ce début de semaine et après sa validation en commission, la Chambre des conseillers a adopté à la majorité le projet de loi organique n° 97.15 fixant les conditions et les modalités d’exercice du droit de grève, tel qu’il a été modifié. De ce fait, le projet a recueilli 41 voix pour et 7 contre, sans aucune abstention. Durant la séance, le rapport de la Commission de l’éducation, des affaires culturelles et sociales a été présenté. Dans ce document, 218 amendements proposés par les groupes et groupements parlementaires ainsi que par des conseillers non affiliés ont été consignés. À cela s’ajoutent les propositions présentées par le gouvernement lors de la réunion de la Commission consacrée à l’examen et au vote dudit projet, portant à 247 le nombre total des amendements soumis. Il faut noter que les membres du groupe de l’UMT se sont retirés en signe de protestation contre la version actuelle du projet de loi. Les amendements proposés se répartissent de la manière suivante : 29 émanent du gouvernement, 13 proviennent des groupes de la majorité ainsi que du groupe constitutionnel démocratique et social, 31 ont été proposés par le groupe Haraki, 30 par le groupe de l’UGTM, 24 par le groupe Socialiste-Opposition Ittihadie, 42 par le groupe de l’UMT, 33 par le groupe de la CDT…
Pour les groupes de la majorité, ce projet va renforcer la confiance des investisseurs et des opérateurs économiques, et imprimer une nouvelle dynamique aux investissements étrangers et nationaux.
Pour leur part, les Istiqlaliens du groupe de l’UGTM ont mis l’accent sur les aspects constitutionnels, juridiques et des droits de l’homme, tout en respectant les normes internationales de l’OIT.
Quant au groupe Socialiste-Opposition Ittihadie, il a critiqué la version actuelle de la loi, estimant qu’elle néglige les réalités du marché du travail, notamment l’informalité et la diversité des catégories professionnelles. Le groupe a déploré que le texte ne concerne que les salariés régis par le Code du Travail et la fonction publique.
Chez le groupe de la CGEM, on dit que ce qui est important est d’encadrer le droit de grève, tout en reconnaissant la nature potentiellement conflictuelle du texte.
Malgré l’adoption du projet de loi, l’UMT, la CDT, l’ODT et la FSD ont énuméré plusieurs points de discorde, parmi lesquels l’entrave au dialogue social et le non-respect des engagements pris dans l’accord du 30 avril 2022 et le procès-verbal du 30 avril 2024. Les syndicats estiment que leurs revendications sont légitimes, mais que le gouvernement persiste dans une politique du fait accompli, ignorant les appels à la concertation et refusant d’apporter des réponses concrètes aux attentes des salariés.
À la recherche d’un meilleur équilibre
Pour rappel, l’UMT, principale centrale syndicale, a récemment soumis une série d’amendements au projet de loi organique encadrant le droit de grève. Ces propositions visent à affiner la réglementation afin d’assurer un meilleur équilibre entre la protection des droits des travailleurs et la préservation de la stabilité économique et sociale du pays. Parmi les changements notables, l’UMT insiste sur l’importance d’élargir la définition des catégories pouvant exercer ce droit. Elle propose ainsi d’inclure non seulement les salariés du secteur public et privé, mais aussi les travailleurs indépendants et domestiques. Cette extension permettrait d’assurer une protection plus large et de mieux encadrer les revendications collectives.
Une autre modification clé concerne les délais de préavis avant le déclenchement d’une grève. L’UMT suggère une révision des périodes d’attente afin d’accélérer les procédures de négociation et d’éviter les blocages prolongés qui nuisent tant aux travailleurs qu’aux employeurs. Par ailleurs, elle propose d’instaurer des mesures garantissant qu’aucun gréviste ne subisse de représailles ou de sanctions financières en raison de sa participation à un mouvement social.
Le projet de loi prévoit également des restrictions pour certaines catégories professionnelles exerçant dans des secteurs dits « vitaux », où un service minimum doit être maintenu. L’UMT appelle à une définition plus précise de ces secteurs afin d’éviter toute dérive pouvant restreindre abusivement le droit de grève. Enfin, l’Union plaide pour une plus grande transparence dans la mise en œuvre du cadre législatif. Elle propose d’inclure des mécanismes de dialogue social renforcés et un contrôle judiciaire plus rigoureux pour prévenir toute tentative d’entrave ou d’instrumentalisation de ce droit fondamental.
Ces amendements, s’ils sont adoptés, pourraient remodeler profondément l’exercice du droit de grève au Maroc, en renforçant les garanties des travailleurs tout en veillant à la continuité des services essentiels.
Autrement dit, Touche pas à mon Droit de Grève !
Hassan Zaatit