Dans l’ombre des Alpes autrichiennes, le siège historique de Swarovski exhibe les cristaux qui ont fait sa renommée, des tenues de Marilyn Monroe ou Beyoncé aux robes de la maison Dior.
Mais derrière l’apparat, l’une des dernières entreprises familiales du luxe se déchire sur la stratégie à adopter pour redonner son lustre à l’empire tyrolien, déstabilisé par le rouleau compresseur chinois et la pandémie de Covid-19.
Faut-il déserter le marché du bijou de masse pour se concentrer sur le haut de gamme à forte marge, quitte à entrer en Bourse et à ouvrir le capital?
Face à ce plan de bataille du PDG Robert Buchbauer, une partie du clan se rebiffe et tente « d’éloigner de la barre » un capitaine accusé par son cousin éloigné Paul Swarovski de « diriger le bateau vers les récifs ».
– Concurrence asiatique –
Dans l’univers feutré de la joaillerie, on lave en général son linge sale en famille. Jamais la vénérable institution, fondée il y a 125 ans à Wattens, n’avait affiché publiquement pareille mésentente.
Mais la panique semble gagner les héritiers de Daniel Swarovski, qui avait mis au point une machine transformant le verre en un pastiche de diamant, scintillant à moindre frais.
La pandémie de coronavirus, à l’origine de la fermeture temporaire d’un très grand nombre de points de vente dans le monde, a dangereusement accéléré un déclin observé de plus longue date.
Les revenus sont attendus en chute de 30% en 2020, à 1,9 milliard d’euros pour Swarovski Crystal Business, cœur de métier du groupe dont le logo représente un cygne bien connu.
Outre la crise sanitaire, il souffre de la concurrence asiatique, capable de fournir un produit similaire aux yeux du grand public pour 1% seulement du prix de Swarovski.
Et rappeler le passé glorieux de la maison ne suffit plus à convaincre les acheteurs aux États-Unis et en Asie.
– Sets de manucure et étuis de téléphone –
« Nous devons nous réinventer et réorganiser toute notre activité », tranche auprès de l’AFP Robert Buchbauer, crâne glabre et costume vert bouteille au siège désert de l’entreprise, qui accueille d’ordinaire 650.000 touristes par an dans un parc dédié.
Selon lui, il faut arrêter les sets de manucure ou les étuis de téléphone portable ornés de cristaux, qui ont certes contribué à populariser la marque, mais ne trouvent plus leur place dans la gamme à présent.
Le PDG appelle plutôt à se focaliser sur des cristaux plus colorés et sophistiqués, qui pourront être vendus plus cher.
Il a aussi prévu une sévère cure d’amaigrissement: l’entreprise, présente dans 170 pays et forte d’un effectif de 29.000 personnes en Autriche, en Inde, en Thaïlande, au Vietnam, en Serbie et aux États-Unis, va licencier 6.000 de ses salariés et baisser définitivement le rideau dans 750 de ses 3.000 magasins.
Rien qu’à Wattens, environ 1.200 employés ont déjà été remerciés et 600 postes supplémentaires sont menacés en 2021. Impensable il y a seulement quelques années dans un pays habitué au plein emploi.
– Hélicos et vacances au soleil –
Robert Buchbauer a beau marteler « qu’il n’y a pas d’autre solution pour entrer dans une nouvelle ère », tous ces départs chez le principal employeur de la vallée font grincer des dents.
« C’est tendu, l’ambiance est mauvaise », déplore la déléguée syndicale Selina Staerz, entre deux réunions visant à aiguiller un personnel déboussolé.
Les photos sur internet de vacances au soleil des descendants du fondateur ou les arrivées en hélicoptère aux réunions ne font qu’ajouter à la frustration et à l’incrédulité des armées de sacrifiés.
Car 80% des actionnaires familiaux dispersés à travers le monde ont soutenu, lors d’une assemblée générale fin octobre, le remède drastique imposé.
Rassemblées autour de Paul Swarovski, les voix discordantes ont déposé un recours pour contrer cette stratégie, estimant disposer d’un droit de veto.
Quoi qu’il en soit, estime Selina Staerz, les gens ont perdu confiance en un employeur autrefois loué pour les avantages octroyés, du logement à la garderie.
Nombre des petites mains « ne croient pas » que Swarovski réussira sa montée en gamme. « Les super riches n’ont pas besoin des cristaux Swarovski. Ils peuvent s’offrir des diamants », lâche la syndicaliste.
LNT avec Afp