La Loi de Finances Rectificative met en exergue les répercussions de la pandémie de la COVID 19, sur l’économie nationale. Elle fait le constat que l’arrêt de l’économie qu’elle a induite a altéré la dynamique sectorielle nationale, façonnée graduellement depuis la crise financière mondiale de 2008. Les activités hors agriculture ont subi la baisse de la demande étrangère, des transferts des Marocains Résidant à l’Etranger (MRE) et de l’activité touristique.
Par contre, certains secteurs ont continué à fonctionner et en particulier celui de l’agriculture et de la pêche, de l’industrie agroalimentaire, de l’électricité et de l’eau. Alors que la consommation des ménages, un argument de taille de soutien à la croissance, connaissait une croissance de 2,7% et celle des administrations publiques de 3,2%, l’impact du confinement la réduite à -1,2% soit une baisse autour de 4 ou 5%. Les secteurs les plus touchés par cette crise sont le tourisme et pour cause , 94% des établissements hôteliers touristiques ont arrête leur activité, l’industrie du textile et du cuir avec 76% des entreprises en arrêt et une chute cumulée des exportations de 74%, l’industrie mécanique, métallurgique et électrique avec 73% des entreprises en arrêt, plus particulièrement l’industrie automobile qui a accusé́ une chute brutale de ses exportations de 89 % et l’industrie aéronautique avec une baisse de plus de 76%. Le secteur du bâtiment et travaux publics a vu 56% des entreprises en arrêt et une baisse des ventes de ciments de 55%.
La fermeture des frontières avec nos principaux partenaires, la suspension des liaisons aériennes et du trafic maritime des passagers, cumulées à la suspension des commandes étrangères en sont la cause évidente. Ces secteurs représentent environ 15% de la valeur ajoutée totale de notre pays. D’ailleurs, les activités sectorielles dépendant de la demande intérieure ont subi un choc moins prononcé. Les transports ont connu une baisse de 50% de la valeur ajoutée de la branche, les services rendus aux entreprises comme les transactions immobilières ou certaines activités de l’offshoring et du commerce ont été plus impactées. Ces secteurs représentent environ 47% de la valeur ajoutée totale.
Cependant, l’industrie extractive et l’industrie chimique et para-chimique, ont maintenu leur croissance grâce au maintien de l’activité des dérivés des phosphates, de l’industrie agroalimentaire grâce au maintien de la demande intérieure de 84% de l’activité contre seulement 16% à l’export. C’est aussi le cas du secteur des activités financières, du secteur des services d’éducation, de santé ainsi que du secteur des postes et télécommunications. Ces secteurs représentent environ 38% de la valeur ajoutée totale. En conséquence, le ralentissement de l’activité économique devrait se traduire, en 2020, par une baisse des recettes voyages de 70% et une baisse des transferts des MRE de 20%.
La pandémie de la Covid-19 induirait un choc sur la croissance en 2020, amplifié par les effets négatifs de la sécheresse sur l’activité économique. Et, le confinement devrait coûter à l’économie marocaine 0,1 point de PIB par jour, soit une perte de 1 milliard de dirhams par jour de confinement. Ainsi, sur le plan budgétaire, le ralentissement économique devrait se traduire par un manque à gagner des recettes du Trésor d’environ 500 millions de dirhams par jour de confinement. Face à cette situation alarmante, la LFR inclut des mesures d’accompagnement de la reprise qui est d’ores et déjà reconnue comme progressive. Celles-ci mettent l’entreprise et l’investissement productif au cœur des priorités de l’État. Et dans l’immédiat, elles visent à soutenir la reprise de leurs activités dans l’espoir de la préservation des emplois.
Concrètement, ces mesures se déclinent comme suit : tout d’abord et avant tout, intervient le renforcement du dispositif de garantie du financement des entreprises. Ce dispositif couvre toutes les entreprises, publiques et privées, impactées par la pandémie, et leur offre des conditions avantageuses grâce à la garantie de l’État pour financer leurs besoins en fonds de roulement à un taux d’intérêt maximum de 3,5%, soit le taux directeur de BAM augmenté d’à peine 200 points de base. Quant au remboursement de ces crédits, il peut s’étaler sur une période de sept ans avec deux ans de délai de grâce.
A cet effet, deux produits de garantie complémentaires ont été mis en place : La garantie de l’État à hauteur de 95% pour les crédits accordés aux TPE, commerçants et artisans dont le chiffre d’affaires est inférieur à 10 millions de dirhams. Ces crédits peuvent représenter 10% du chiffre d’affaires annuel des entreprises concernées. Et une autre garantie de l’État variant entre 80% et 90% des crédits, en fonction de la taille de l’entreprise et qui couvre les crédits accordés pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 10 millions de dirhams.
Afin de contribuer à réduire les délais de paiement, 50% du crédit en question doivent servir au règlement des fournisseurs. Ce produit couvre également les grandes entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 500 millions de dirhams. Toutefois, ces facilités d’accompagnement instituées par l’État sont conditionnées essentiellement par la préservation des emplois et la réduction du volume de leurs dettes d’au moins 50% des prêts accordés. Ce qui ne dépend malheureusement pas de la volonté des entreprises mais de la reprise des marchés !
Pour financer ces instruments, une enveloppe de 5 milliards de dirhams leur est affectée, couverte par les disponibilités du « Fonds spécial pour la gestion de la pandémie de la Covid-19 ». Aussi, pour soulager la trésorerie des TPME durant la phase de redémarrage de l’économie, il est prévu d’accélérer le paiement des créances de ces entreprises auprès de certains établissements et entreprises publics par un nouveau mécanisme de règlement par le système bancaire interposé comme c’est le cas aujourd’hui des retards de remboursement du trop versé de TVA.
Quant à la dynamique de l’offre de base d’appui au financement des PME déjà en place, elle sera maintenue. Rappelons qu’il s’agit d’offres du fonds de garantie des PME qui couvre les différents besoins de la TPME, le fonds Tamwil qui apporte des co-financements pour certains secteurs prioritaires, le programme « Intilaka » et le fonds de garantie aux prêts logement (Damane Assakane). De surcroît, et afin de permettre aux jeunes d’accéder aux sources de financement en mesure de répondre à leurs besoins et aspirations en matière de création et de développement d’entreprises, une nouvelle dynamique sera donnée au programme « Intilaka », en concertation avec tous les partenaires.
Certes, la Loi de Finances Rectificative pour l’année 2020 prévoit la mobilisation d’une enveloppe de 15 milliards de dirhams pour accélérer la redynamisation de l’économie nationale. Toutefois, parallèlement à ces mesures de soutien par le financement dédiées aux entreprises et aux plus petites d’entre elles, une réaffectation des dépenses d’investissements publics vers les nouvelles priorités est prévue par la loi de finance rectificative. Le Budget d’investissement public a été certes réduit dans son ensemble pour 2020 à 182 milliards de dirhams contre 198 milliards de dirhams initialement prévus par la Loi de Finances pour l’année 2020. Cette enveloppe est reventilée en faveur des programmes prioritaires pour faire face à la conjoncture actuelle et à la sécheresse.
Il s’agit de la réalisation d’actions d’urgence prioritaires pour sécuriser l’approvisionnement en eau potable de la population située dans les bassins hydrauliques qui connaissent un stress hydrique. Mais aussi le lancement d’un 3è programme de lutte contre les effets de la sécheresse comportant essentiellement la protection et la sauvegarde du cheptel à travers la distribution de l’orge à un prix subventionné. Certes, cela implique l’ajustement des crédits de paiement nécessaires aux projets en cours d’exécution, tandis que certains nouveaux projets prévus pour 2020 sont reportés à 2021.
Le volume de l’investissement public a été réduit pour tenir compte de l’impact de la pandémie de la Covid-19 sur les plannings d’exécution de ceux qui restent actifs. Mais ces derniers respectent des approches innovantes, d’une offre de services publics de qualité aux usagers et aux entreprises, la poursuite de la réalisation de grands projets d’infrastructures, l’aménagement du territoire et la contribution à la promotion de l’investissement dans divers secteurs de l’économie nationale, et les programmes de réduction des disparités sociales et territoriales.
Dans cette LFR, il y a une autre mesure, plus qualitative, qui repose sur la préférence nationale, laquelle prévaudra dans la dépense publique de l’État, des collectivités territoriales et des établissements et entreprises publiques. Une grande campagne de communication sera lancée basée sur le slogan de « consommer marocain » incluant marketing et promotion, mais aussi un accompagnent administratif et fiscal. Ce renforcement de la protection de la production nationale, appuiera les efforts d’accompagnement des entreprises.
Ainsi, pour encourager la production locale et la réduction du déficit de la balance commerciale, la LFR 2020 procèdera à une augmentation du droit d’importation applicable à certains produits finis, d’une hauteur variant entre 25% et 30%. Toutes ces mesures sont sous-tendues par la préservation des emplois qui ont été fortement menacés par la crise sanitaire et constituent le vrai enjeu de la crise économique et par la même de la relance.
Les mesures d’accompagnement de l’État ont donc permis le maintien d’un nombre maximum d’emplois et de façon temporaire. La preuve en est que ces mesures ont été prorogées pour les secteurs en difficultés jusqu’à la fin 2020. De plus, ces mesures économiques dictées par la Loi de finance rectificative sont applicables à toutes les entreprises de façon générale et la LFR prévoit en parallèle un accompagnement spécifique à diffèrent secteurs. Celui-ci sera concrétisé dans un cadre contractuel, avec les différentes parties concernées, en conditionnant l’appui à la reprise économique par la préservation d’au moins 80% des employés déclarés à la CNSS, et la régularisation rapide de la situation des employés non déclarés. Ce sont ces contrats qui constitueront le véritable outil de relance de l’économie marocaine !
Si l’appui de l’État par un accompagnement financier grâce a la garantie est essentielle pour les PME, les mesures d’accompagnement fiscaux prévus par le réforme fiscale sont attendues par les acteurs économiques depuis longtemps surtout celles qui vont favoriser l’investissement. Et de ces contrats sectoriels, qui vont naître des négociations entre les opérateurs économiques et l’État, vont émaner des plans de restructurations sectorielles qui permettront de faire face aux dysfonctionnements nés du passé et de la crise de la COVID-19. Ce sont là les vraies mesures de relance de l’économie marocaine. Les plans précédents comme Génération Green et celui de la transformation industrielle en sont des exemples probants, car sur le long terme, le rôle économique de l’État ne peut prendre la prépondérance sur les acteurs économiques…
Afifa Dassouli