La pandémie mondiale du nouveau coronavirus est un bouleversement majeur qui a impacté tout à la fois la santé de dizaines de millions de personnes, les économies des pays industrialisés comme des pays émergents, les sociétés humaines. Alors qu’elle sévit encore en maintes régions du monde, elle a eu, entre autres conséquences, d’affecter encore plus des situations qui étaient nées de la crise économique et financière mondiale commencée en 2008 et dont les effets néfastes se font encore sentir. Alors certes, lors des premières heures des périodes de confinement imposées un peu partout, certains ont évoqué une nouvelle ère qui se lèverait au lendemain de cette pandémie. Mais aujourd’hui, on constate plutôt une aggravation des situations déjà existantes.
La première remarque, c’est que la pandémie a porté un coup très dur au concept de mondialisation qui battait déjà fortement de l’aile avec les attaques contre le multilatéralisme engagées par le président américain Donald Trump. La seconde remarque tient à la volonté d’un retour à une forme de bilatéralisme qui se nourrit à la fois de populisme et d’ambitions de mettre en place de nouvelles règles, restrictives par ailleurs, pour le commerce et les échanges internationaux. Troisième remarque, la recherche par les États, notamment industrialisés, de privilégier «la préférence nationale» en criant haro sur les délocalisations et les supply chains traditionnelles qui ont été fortement affectées par les restrictions imposées lors des divers confinements. La pandémie, qui a fait exploser le chômage et mis à bas des pans entiers des économies, entraîné la cessation d’activités productrices pendant des mois, a fortement accrédité l’idée que désormais, c’est vers un repli national qu’il fallait se tourner, y compris pour la production de biens élémentaires jusque-là assurés par des chaînes d’approvisionnement mises en place au cours des quarante dernières années, c’est-à-dire avec le point de départ de cette mondialisation que l’on rejette aujourd’hui.
La quatrième remarque tient à l’émergence et même la consolidation d’un monde multipolaire agrégé autour de trois grands blocs, les États-Unis, la Chine et l’Europe, à charge pour tous les autres de s’accommoder de cette nouvelle donne ! Si cette nouvelle configuration mondiale a pour effet de minorer très fortement les actions et l’impact des institutions à dimension mondiale comme l’ONU et son Conseil de Sécurité, ou encore de faciliter les attaques conte l’OMS et l’OMC par exemple, elle a également pour conséquence de perturber très fortement les échanges internationaux et les perspectives de reprise économique mondiale. La cinquième remarque concerne les effets sociaux, redoutables mais prévisibles, de la pandémie.
En effet, partout, celle-ci a induit des crises sociales majeures avec des millions de faillites d’entreprises, des licenciements massifs, de fortes progressions du chômage, des baisses drastiques du pouvoir d’achat, au Nord comme au Sud. Les États ont certes entrepris de mette en place des mesures palliatives, mais elles sont largement insuffisantes pour assurer les minima qui étaient jusque-là en place. Partout dans le monde, la pauvreté, l’indigence, la misère vont progresser et pour plusieurs années encore ! Certains, face à tous ces constats certainement irrécusables, estiment donc qu’il faut, plutôt que d’aller dans le sens du repli sur soi, des réflexes nationalistes teintés de populisme, de discours isolationnistes, repenser la mondialisation à la lumière de nouvelles réalités.
Celles-ci sont notamment liées au développement de la digitalisation, du numérique, de nouvelles formes d’organisation du travail, (télétravail), de la lutte contre le dérèglement climatique, sans pour autant nier des situations difficilement réversibles. Ainsi, pour la volonté de relocalisation, mise en avant par les politiques dans l’espoir d’atténuer les protestations sociales, on s’aperçoit qu’elle est quasiment impossible pour nombre de situations déjà acquises. Alors que le coût du travail horaire est de 38 euros en France, 8 euros en Roumanie et encore moins au Maroc par exemple, comment imaginer que des entreprises comme Renault ou Peugeot Citroën pourraient revenir à la relocalisation de leurs unités de production en France afin de satisfaire les demandes politiques des gouvernants ?
Comment croire, également, que la Chine, tant décriée aujourd’hui, stigmatisée et pointée du doigt, pourrait cesser, du jour au lendemain d’être ce qu’elle est depuis plusieurs années, c’est-à-dire « l’usine du monde » pour des productions de masse directement adressées à des consommateurs mondiaux sensibles aux prix des produits courants qu’ils acquièrent ? Bien évidemment, les conséquences de la pandémie mondiale affecteront les échanges, mais ce n’est pas pour autant que l’on pourra remplacer, en un tour de main, des productions à bas coûts par d’autres indexées sur des réalités salariales ou des contraintes d’investissements différentes de celles prévalant dans des pays comme la Chine, l’Inde, le Vietnam, etc. S’il faut désormais comprendre que l’économie mondiale sera plus fractionnée, elle n’en continuera pas moins à s’organiser, peu ou prou, autour d’une globalisation et d’une mondialisation sans doute différentes, mais incontournables, comme devront bien l’admettre les uns et les autres car l’interdépendance n’est ni négociable, ni obsolète, même en temps de crise mondiale…
Fahd YATA