Si certaines entreprises avaient, avant la proclamation de l’état d’urgence, déjà senti les choses venir et pris certaines dispositions (réduction des équipes actives, télétravail, etc.), la pandémie a provoqué de violentes disruptions, auxquelles le monde professionnel a été exposé à tous les niveaux : chocs sanitaires, de l’offre, de la demande, économique, etc. En un laps de temps très court, les entreprises ont dû s’adapter (quand elles le pouvaient) à une nouvelle donne, dans un environnement volatile avec une très faible visibilité.
Face à cette nouvelle donne, de nombreuses études et e-conférences se sont succédé, pour proposer de nouveaux modes de gouvernance plus adaptés, apporter des solutions face au contexte, mais aussi accompagner et conseiller les entreprises dans cette crise sans précédent. Et il en est souvent ressorti que certains concepts dont on parlait déjà depuis de nombreuses années, comme la transformation digitale ou l’agilité d’entreprise, et qui restaient encore pour une grande partie des professionnels des considérations très secondaires, se sont d’un jour à l’autre révélé indispensable à la continuité des activités, voire la survie même de la société.
Agilité et rapidité
Une étude du cabinet McKinsey, intitulée «Réinventer son organisation en faveur de la vitesse dans l’ère du post-covid», explique que «alors que les sociétés s’adaptent au travail rapide, les cadres s’intéressent également à une évolution vers des structures plus à plat, non-hiérarchique, choisissant une approche plus radicale dans les prises de décisions et la façon de travailler […] Les dirigeants reconnaissent le besoin de passer d’une vitesse basée sur l’urgence pendant la crise covid-19, à une vitesse intentionnelle pour le long terme ». L’étude propose plusieurs pistes pour arriver à cette rapidité, par exemple accélérer les processus de prise de décision, encourager la délégation, faire travailler des équipes agiles et le plus autonomes possibles, ou encore revoir le rôle du dirigeant (visionnaire plutôt que donneur d’ordre).
Cette montée en puissance de la transversalité dans l’entreprise a également été remarquée par SAGE, dont la responsable du pôle international expliquait lors d’un récent webinaire : «La communication transverse, ascendante, et de service à service, sans passer par la hiérarchie, s’est beaucoup développée». La crise ayant fait disparaître tous les repères habituels, les entreprises ont dû impliquer de manière active tous leurs services, afin de travailler ensemble à trouver des solutions pour s’adapter. Nombre d’employés ont fait à l’occasion connaissance avec leur propre département IT !
La réorganisation des entreprises a été très différente selon les cas et les secteurs d’activité. Bien sûr, de nombreux secteurs comme le tourisme ont tout simplement arrêté de fonctionner. Pour d’autres, des solutions adéquates ont été rapidement mises en place (télétravail, réduction du nombre d’employés dans les locaux, mesures sanitaires, etc.). D’autres encore ont carrément transformé toute leur activité pour l’adapter à la crise (usines de textiles qui ont commencé à produire des masques, sites industriels qui ont transformé leur appareil productif pour réaliser des respirateurs, etc.).
Comme les exigences de la situation demandaient avant tout moins de contacts physiques, et impliquaient des déplacements difficiles voire impossibles, l’un des grands gagnants de la crise est évidemment l’outil permettant de s’affranchir des barrières du «réel» en s’appuyant sur le virtuel, qui est bien sûr le digital.
La transformation digitale devient l’obligation digitale
À travers le monde, la grande majorité des professionnels ont fait la connaissance d’outils jusque-là peu ou prou utilisés. Il s’agit, entre autres, de Zoom, Microsoft Teams, Google Meet… Les transactions, les contrats, les rapports… en l’espace de quelques jours, tout s’est retrouvé virtualisé. Les entreprises ayant déjà bien entamé leur transformation digitale ont pu prestement s’organiser pour mettre en place ces solutions, les autres se sont retrouvées face à un mur qu’elles ont dû rapidement gravir pour reprendre leurs activités.
Le digital est devenu ainsi indispensable à tous les niveaux de l’entreprise. De la communication avec les équipes et les parties prenantes, à la vente en ligne, en passant par le marketing sur les réseaux sociaux, la consommation du digital a explosé, au Maroc comme ailleurs. Et ce phénomène fait réfléchir : si la crise avait eu lieu quelques années auparavant, par exemple avant que les banques ne commencent à offrir la majorité de leurs services sur leur site web ou leur application, ou encore si les outils de paiement en ligne n’étaient pas aussi développés que maintenant, comment aurions-nous fait face à cette crise ? Cela fait froid dans le dos…
La crise a ainsi mis les infrastructures IT des entreprises à rude épreuve. L’augmentation drastique de l’utilisation des services en ligne a pesé sur les serveurs. La robustesse de ces systèmes était d’ailleurs au cœur d’une étude de PWC intitulée « La résilience des systèmes au temps d’une disruption inédite ». De cette étude ressort notamment deux points principaux : l’optimisation de l’utilisation du Cloud, et la cybersécurité.
Dans un contexte où l’occupation des locaux d’une entreprise s’avère limitée, le Cloud permet de s’affranchir du concept de «locaux physiques». L’explosion du SaaS (Software as a service, logiciel en tant que service, un modèle d’exploitation commerciale des logiciels dans lequel ceux-ci sont installés sur des serveurs distants plutôt que sur la machine de l’utilisateur) lors de la pandémie ne trompe pas : les entreprises veulent s’affranchir des contraintes infrastructurelles (l’employé doit être sur place pour utiliser un poste assez puissant pour faire tourner le logiciel) pour faire en sorte que quelque soit l’endroit où se trouve un employé, il ait accès aux mêmes outils (connexion à un serveur à travers son téléphone, ou sa tablette). De plus, le stockage des données à distance dans des datacenters permet, de nos jours, une bien meilleure sécurité que celle de serveurs locaux. Et, avec une utilisation du digital de plus en plus généralisée, l’aspect sécurité prend toute son importance.
La cybersécurité s’est imposée comme préoccupation majeure des entreprises pendant la pandémie. Selon une étude du cabinet McKinsey intitulée « Une double mentalité de cybersécurité pour l’après-crise », « la réponse digitale à la crise de la covid-19 a créé de nouvelles vulnérabilités. Les hackers cherchent à exploiter les failles ouvertes par le télétravail et l’utilisation d’appareils et réseaux non sécurisés ». Par exemple, Google a comptabilisé plus de 18 millions d’emails de phishing ou de malwares par jour sur ses services pendant tout le mois d’avril. Si l’utilisation des outils IT s’est rapidement démocratisée dans les entreprises, il y a au Maroc un manque énorme en ce qui concerne la formation à la cybersécurité. Et lorsque l’on sait que l’immense majorité des attaques réussies sont dues à l’élément humain (par exemple, un employé qui ouvre la pièce jointe d’un email douteux), on se rend compte du travail à réaliser à ce niveau. Si un grand nombre d’entreprises ont utilisé Zoom pour l’ensemble de leurs meetings malgré ses immenses failles de sécurité, qui ont été dénoncées à l’envi par les spécialistes IT de par le monde, c’est bien qu’il règne encore une mentalité qui place le pratique avant le prudent, et donc que les entreprises doivent sensibiliser de toute urgence leurs parties prenantes à ses considérations.
Et après ?
Certains think tanks et instituts de recherche estiment que la pandémie va complètement changer la façon dont fonctionnent les entreprises. Mais alors que les pays déconfinent leur population, on voit bien que les employés en télétravail sont en immense majorité retournés au travail, que les réunions entre collaborateurs ont repris en physique, et que la plupart des pays ont le plus grand mal à faire respecter ne serait-ce que le port du masque ! Clairement, les hypothèses d’un bouleversement total des habitudes de vie et de travail ne sont pas très crédibles. Les changements qui vont s’inscrire dans la durée seront ceux qui apportent un vrai plus aux entreprises (et à leurs dirigeants, qui choisiront ou pas de les pérenniser). Par exemple, il est fort possible de voir la fréquence des voyages d’affaires diminuer fortement, maintenant que le monde entier s’est habitué aux meetings virtuels. S’il y a bien une tendance que l’on retrouve dans le monde entier, c’est bien celle d’ignorer les menaces que nous ne vivons pas directement, comme le montre le peu de progrès réalisés par les causes écologiques et climatiques. Une fois que le virus aura disparu de nos vies, une bonne partie des « changements radicaux » dans nos vies et nos entreprises sera bien vite oubliée.
Selim Benabdelkhalek