Des manifestants soudanais à Khartoum célèbrent le 15 mai 2019 à l'aube un accord trouvé entre les militaires au pouvoir et les meneurs de la contestation sur la gestion de la transition © AFP ASHRAF SHAZLY
Les généraux soudanais ont annoncé dans la nuit de mercredi à jeudi suspendre « pendant 72 heures » les discussions avec le mouvement de contestation, une pause indispensable selon eux pour préparer un accord global sur le transfert du pouvoir au civil.
Après plusieurs jours marqués par des progrès dans les pourparlers, cette annonce est en outre intervenue dans la foulée de nouveaux accrochages armés, qui ont fait au moins huit blessés en soirée, à proximité du QG de l’armée à Khartoum, où des centaines de manifestants tiennent un sit-in depuis depuis plus d’un mois.
« Nous avons décidé de suspendre les discussions pendant 72 heures pour préparer le terrain » à la conclusion d’un accord sur la transition, a déclaré le chef du Conseil militaire, le général Abdel Fattah al-Burhane, dans un discours à la nation retransmis par la télévision publique jeudi peu avant l’aube.
Le dirigeant de ce Conseil, qui avait évincé le 11 avril le président Omar el-Béchir, n’a pas totalement fermé la porte aux négociations sur un transfert du pouvoir aux civils. Mais il a mis la pression sur les chefs de la contestation pour qu’ils contrôlent mieux leurs troupes.
Il a en particulier souhaité, durant cette période de 72 heures, une levée des barricades à Khartoum et la réouverture d’une ligne de chemin de fer reliant la capitale au reste du pays, qui a été fermée, selon lui, par les manifestants. Plus largement, il a réclamé la fin des « provocations » à l’égard des forces de l’ordre.
La dégradation de la situation de la sécurité à Khartoum a pris la forme d' »une escalade verbale » contre les forces armées, a avancé le général Burhan, faisant par ailleurs écho à de récents propos du Conseil militaire au pouvoir sur l' »infiltration parmi les manifestants d’éléments armés responsables de tirs contre les forces de l’ordre ».
A ce titre, il a défendu les unités controversées de la Force de soutien rapide (RSF), accusées d’être impliqués dans les heurts de lundi soir qui avaient fait six morts –dont cinq manifestants– et dans ceux de mercredi.
« La RSF a joué un rôle de premier plan en temps de guerre et de paix et a pris la défense du peuple et contribué au succès de sa révolution », a fait valoir le général Burhan.
Avant cette prise de parole, des chefs de la contestation, membres de l’Alliance pour la liberté et le changement (ALC), avaient annoncé avoir été informés de la suspension par l’armée des discussions politiques.
Le Conseil militaire et les dirigeants de l’ALC étaient censés plancher mercredi soir sur la composition d’un Conseil souverain, institution clé de la période de transition, fixée à trois ans, après avoir progressé sur la formation d’une Assemblée législative.
– Enlever les barricades –
« Le Conseil militaire a suspendu les discussions et demandé de démanteler les barrages dans certaines parties de la capitale », avait indiqué Rachid al-Sayed, porte-parole de l’ALC. « Ce Conseil nous a dit que les manifestants devaient démanteler les barricades et réintégrer le principal sit-in », où les manifestants campent depuis le 6 avril, avait-il ajouté.
Ces manifestants ont obtenu l’éviction du président Omar el-Béchir, le 11 avril, et réclament depuis un transfert du pouvoir à des autorités civiles.
Lundi, après des violences autour des barricades qui ont fait six morts, le Conseil militaire avait estimé « inacceptable » l’érection de barrages en affirmant qu’ils créaient le chaos dans la capitale.
L’origine des tirs qui ont fait huit blessés parmi les manifestants mercredi soir reste indéterminée. Mais, à la suite de ces violences, l’Association des professionnels soudanais (SPA), un pilier de la contestation, a appelé dans un communiqué les Soudanais à montrer leur « soutien aux manifestants », en rejoignant le sit-in devant le QG de l’armée.
Elle a en même temps exhorté à « garder le caractère pacifique » du mouvement et « à éviter tout affrontement ».
– Progrès –
Le processus de négociation avait enregistré d’importants progrès depuis lundi.
La physionomie de l’assemblée législative a été définie. Elle devrait être composée de 300 membres, dont 67% seront désignés parmi l’ALC. Le reste des sièges sera réservé aux représentants des forces politiques non affiliées à cette alliance.
L’un des leaders de la contestation, Khaled Omar Youssef, a minimisé le rôle qu’aura à jouer le Conseil souverain, insistant sur le fait que le pays disposera d’un gouvernement puissant.
« Le cabinet aura les pleins pouvoirs et sera formé par l’ALC », a-t-il déclaré à l’AFP, ajoutant que l’alliance pourrait faire appel à des technocrates. « Seuls les ministères de la Défense et de l’Intérieur iront aux militaires ».
M. Youssef a insisté sur la nécessité d’avoir un Conseil souverain composé essentiellement de civils, alors que les généraux souhaitent qu’il soit dominé par les militaires.
Les Emirats arabes unis, attentifs à l’évolution de la situation au Soudan et qui se sont associés à l’Arabie saoudite pour lui apporter une aide de trois milliards de dollars (2,68 milliards d’euros), se sont félicité des avancées.
Ce processus « met le Soudan sur la voie de la stabilité et du redressement après des années de dictature de Béchir et des Frères » musulmans, a dit sur Twitter le ministre d’Etat émirati aux Affaires étrangères, Anwar Gargash.
Une profonde crise économique a alimenté la contestation déclenchée le 19 décembre par le triplement du prix du pain. Le mouvement avait rapidement pris une tournure politique, réclamant le départ de M. Béchir, au pouvoir depuis un coup d’Etat en 1989.
LNT avec Afp