
Siham Sentissi, Managing Director de BlueBirds
Siham Sentissi est Managing Director de BlueBirds, une plateforme digitale de référence connectant les entreprises à des talents indépendants de haut niveau en Afrique, en Europe et au Moyen-Orient.
Convaincue que l’avenir du travail repose sur l’agilité et l’expertise, elle partage avec nous sa vision du freelance premium, et plus généralement des mutations du marché du travail.
La Nouvelle Tribune : Qu’est-ce qui vous a personnellement attirée dans l’univers du freelancing premium ? En quoi se différencie-t-il du freelancing classique ?
Siham Sentissi : Plusieurs raisons m’ont menée vers BlueBirds et le freelancing premium.
D’abord, le goût pour l’entrepreneuriat. J’ai toujours cherché à évoluer dans des environnements où mon impact est direct et ma contribution tangible. BlueBirds cochait toutes les cases : une entreprise en structuration, un marché en mutation, et la possibilité d’apporter ma pierre à l’édifice.
Ensuite, mon attachement au secteur du conseil a fortement influencé cet attrait. Après mon retour au Maroc, intégrer BlueBirds m’a permis de renouer avec un domaine que j’adorais et qui correspondait à mon mode de fonctionnement : la diversité des sujets, des secteurs, des enjeux clients, et surtout cette boucle d’apprentissage continue qui me stimule au quotidien.
Enfin, et surtout, j’ai compris très vite que je mettais un pied dans une véritable transformation du monde du travail. Le freelancing premium n’est pas juste une tendance, c’est une nouvelle façon d’organiser les compétences et les expertises au sein des entreprises. Et moi qui ai toujours aimé les missions où l’on “disrupte” le statu quo, c’était une évidence : je voulais être actrice de cette révolution du marché du travail, de ce changement de paradigme ! Ici, j’avais l’opportunité d’accompagner la mutation même du marché de l’emploi en introduisant plus de flexibilité et d’agilité dans les modèles d’organisation traditionnels.
Freelancing premium vs freelancing Classique : une question de positionnement
La différence fondamentale réside dans le positionnement et la typologie des profils.
Quand on parle de freelancing, l’image qui vient immédiatement en tête, c’est celle des profils digitaux et tech (développeurs, designers, consultants SEO, etc.), et c’est normal : ce sont eux qui ont historiquement adopté ce mode de travail en premier.
Le freelancing premium, lui, concerne des profils à plus forte valeur ajoutée, ayant une expertise stratégique ou opérationnelle poussée. Il s’agit principalement :
- D’anciens consultants en management, stratégie, finance ou digital, qui mettent leur expertise au service des entreprises sur des problématiques stratégiques ou organisationnelles.
- D’anciens cadres dirigeants et managers de transition, qui apportent une vision et une expérience éprouvée sur des enjeux fonctionnels et/ou sectoriels spécifiques.
En somme, la dénomination « premium » ou « à forte valeur ajoutée » ne fait pas référence à un statut particulier, mais bien au niveau d’expertise et aux enjeux des missions confiées à ces indépendants. Il ne signifie rien d’autre qu’un positionnement différent, plus proche des directions générales et des enjeux business.
Quel rôle joue une plateforme comme BlueBirds dans la mise en relation entre entreprises et talents féminins ?
BlueBirds joue avant tout un rôle d’intermédiaire de confiance, à la fois pour les entreprises et pour les indépendants.
Du côté des entreprises, notre mission est d’identifier les talents les plus pertinents pour répondre à leurs enjeux spécifiques. Trouver un consultant, ce n’est pas juste cocher des cases sur un CV. Notre sélection des indépendants repose non seulement sur leurs compétences mais aussi sur leur adéquation avec la culture et les attentes du client pour que la collaboration fasse sens dans son contexte. Notre valeur ajoutée repose sur un processus de sélection sur-mesure, qui garantit aux entreprises un haut niveau de qualité dans l’exécution des missions confiées.
Du côté des indépendants, nous les accompagnons pour défendre leurs intérêts et notre rôle est double :
- Une sélection sans discrimination : Nous mettons un point d’honneur à ne faire parler que la compétence et la valeur ajoutée, indépendamment du genre. Le choix final d’un consultant repose uniquement sur le rapport qualité/prix et la pertinence du profil pour la mission.
- Un accompagnement au bon positionnement : et c’est là où, spécifiquement pour les femmes, notre rôle prend une autre dimension. Les femmes ont tendance à sous-évaluer leurs honoraires et à vouloir être parfaitement préparées avant de se positionner sur une mission. Contrairement aux hommes, qui vont plus souvent “y aller d’abord et réfléchir ensuite”, elles cherchent d’abord à réduire les risques avant de se lancer. Nous travaillons donc à déconstruire, gommer ces biais sociétaux et à valoriser justement leur expertise auprès des clients.
Ce travail d’accompagnement est clé pour garantir un accès équitable aux opportunités et permettre aux talents féminins d’exprimer pleinement leur potentiel dans un marché encore marqué par certaines inégalités.
Comment jugez-vous l’importance de la flexibilité dans la vie professionnelle ? Le choix de la flexibilité implique-t-il des sacrifices ?
L’essor du freelancing est en soi la meilleure démonstration que la flexibilité est devenue un critère clé dans le choix d’un modèle de travail. De plus en plus de professionnels, hommes comme femmes, cherchent à s’émanciper du cadre rigide du CDI et à opter pour des modalités de travail plus adaptées à leurs aspirations personnelles et professionnelles.
Cela dit, la flexibilité a un prix. Aujourd’hui, accéder à un mode de travail flexible signifie sortir du cadre salarié et faire le choix du freelancing, avec les risques et l’incertitude que ce modèle implique. Le principal sacrifice, c’est le confort de la stabilité. L’indépendant doit accepter un niveau de risque plus élevé qu’un salarié, en échange d’une plus grande liberté dans la gestion de son activité et de son emploi du temps.
C’est pourquoi je suis convaincue que nous nous dirigeons vers un modèle hybride, où les entreprises intégreront de manière plus fluide les indépendants dans leur stratégie RH, aux côtés des talents permanents.
Quelles évolutions réglementaires ou sociétales sont nécessaires pour pleinement libérer le potentiel du freelancing premium ?
Le sujet doit être pris de manière systémique. Ce n’est pas seulement une question de cadre légal, mais bien une transformation globale qui touche les institutions, les entreprises, et la perception même du freelancing. Pour structurer ce marché et permettre à davantage de talents d’opter pour ce modèle en toute sérénité, plusieurs évolutions sont nécessaires :
- Adapter le cadre juridique et fiscal : Aujourd’hui, les statuts existants sont encore peu adaptés aux indépendants à haute valeur ajoutée. Il est essentiel de simplifier les démarches administratives et fiscales, notamment pour la déclaration des revenus. Un régime fiscal plus clair et incitatif permettrait de sécuriser et d’encourager les talents à se lancer.
- Développer une protection sociale adaptée : L’AMO pour les indépendants est un premier pas, mais reste encore partielle. Aujourd’hui, tout repose sur l’indépendant : retraite, chômage, assurance santé. Il est donc crucial de développer des solutions spécifiques pour ces profils afin de sécuriser ce modèle de travail, sans pour autant le rigidifier.
- Faire évoluer la perception du freelancing dans la société et les entreprises : d’un côté, les banques et institutions financières perçoivent encore le freelancing comme une activité instable. L’accès au crédit ou au financement est souvent compliqué pour un indépendant. De l’autre, les entreprises doivent également maturer dans leur gestion des talents externes. La tarification des prestations intellectuelles, par exemple, doit mieux prendre en compte le risque et la flexibilité qu’un indépendant apporte.
Au-delà des aspects réglementaires et culturels, il est essentiel de structurer ce marché pour le rendre plus lisible et accessible. C’est ce que nous faisons au quotidien chez BlueBirds, en créant un cadre structuré où les entreprises peuvent trouver les meilleurs talents indépendants et où les freelances peuvent accéder à des missions adaptées à leur expertise.
L’enjeu est donc double : faire évoluer les mentalités et les cadres institutionnels, mais aussi construire des réseaux et des plateformes solides qui professionnalisent et fluidifient l’accès au freelancing premium.
À travers votre podcast « Histoires d’Entreprises Maroc », vous mettez en lumière des parcours inspirants. Y a-t-il une histoire qui vous a particulièrement marquée et qui illustre l’évolution du travail féminin ?
L’histoire de Zineb Bouayad, General Manager de Mubawab m’a particulièrement marquée. Elle illustre bien les défis auxquels les femmes sont confrontées dans le monde professionnel lorsqu’elles veulent concilier ambition et maternité.
Je me suis reconnue dans son parcours : jeune maman, ayant travaillé à travers ses grossesses et ses congés maternité, elle incarne la réalité de nombreuses femmes qui jonglent entre carrière et vie personnelle.
Aujourd’hui, nous sommes nombreuses à refuser de sacrifier nos ambitions professionnelles au profit de notre vie familiale, et inversement. Mais la réalité, c’est que l’équilibre est précaire et que nous faisons face à des injonctions contradictoires.
C’est aussi ce qui me motive chez BlueBirds. Si, à travers mon action, je peux offrir aux talents féminins un cadre plus souple, où elles n’ont pas à choisir entre carrière et vie personnelle, alors je considère que je contribue à mon échelle à rendre le monde du travail plus inclusif et adapté aux réalités d’aujourd’hui. Mais la vraie transformation viendra aussi des entreprises elles-mêmes, qui doivent repenser leurs modèles pour inclure plus de flexibilité, en interne comme en externe.
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Propos recueillis par Selim Benabdelkhalek