L'opposant et président autoproclamé Juan Guaido lors d'une interview avec l'AFP, le 6 mai 2019 ç Caracas © AFP Yuri CORTEZ
La tentative manquée de l’opposant vénézuélien Juan Guaido de réduire à néant le soutien de l’armée au président Nicolas Maduro a figé les deux camps dans leurs positions et confirmé le rôle central des militaires dans cette lutte pour le pouvoir.
A présent, quels sont les scénarios qui se dessinent?
– « Un jeu fermé » –
Guaido, reconnu comme président par intérim par plus d’une cinquantaine de pays, a raté son pari: la rébellion d’un petit groupe de soldats n’a pas eu l’effet domino escompté auprès des autres militaires.
« Certaines personnes n’ont pas tenu parole », a admis le chef de file de l’opposition dans un entretien à l’AFP en référence aux affirmations des Etats-Unis selon lesquelles le ministre de la Défense Vladimir Padrino et d’autres dirigeants vénézuéliens ont fait machine arrière au dernier moment le 30 avril.
Pour Michael Shifter du centre de réflexion Inter-American Dialogue, basé à Washington, l’opposition « a sous-estimé la capacité de résistance de Maduro (…) et son habilité à faire face à la pression de la rue », déclare-t-il à l’AFP.
Cela pourrait conduire à une « phase de frustration et de méfiance », juge de son côté Luis Vicente Leon, directeur du cabinet Datanalisis.
Le 23 février, Guaido avait déjà tenté de provoquer une rupture: il avait alors essayé en vain de faire entrer dans le pays de la nourriture et des médicaments envoyés par les Etats-Unis.
L’opposant conserve cependant « sa force et son pouvoir de mobilisation », malgré une « usure naturelle », estime Félix Seijas, directeur de l’institut de sondages Delphos, qui situe à 59% le niveau de confiance des Vénézuéliens en Guaido, contre 15% pour Maduro.
En outre, malgré la levée de son immunité parlementaire, Guaido est toujours libre. Washington, qui a prévenu que l’arrêter serait « la dernière erreur de la dictature », continue de renforcer ses sanctions contre Caracas et n’écarte pas une intervention militaire.
« A court terme, je vois un jeu encore fermé, où chacun campe sur ses positions, qui ne mène à rien », juge Seijas.
– Usure et répression –
Après la rébellion manquée, Guaido continue d’appeler les militaires à tourner le dos à Maduro.
« Cette stratégie, peu réaliste, est déjà dépassée », a récemment écrit Michael Shifter dans le New York Times.
Il est possible que Maduro « accentue la répression qui est déjà assez sévère », soutient-il. Sept députés de l’opposition vénézuélienne vont faire l’objet de poursuites pénales pour leur soutien à la tentative de soulèvement, a annoncé mardi la Cour suprême.
Le président socialiste va aussi « continuer à miser sur l’usure » de Guaido, tout en lui « neutralisant des pièces » maîtresses dans son entourage, à mesure que le temps passera et qu’il parviendra à se maintenir au pouvoir, juge M. Seijas. A l’opposé, Guaido, devra s’efforcer de maintenir la mobilisation.
– Négociations –
Pour M. Seijas, les deux camps « sont plus ou moins équilibrés, étant donné qu’aucun des deux n’a pu neutraliser l’autre ». Cela ouvre en revanche la voie à des négociations.
Dans l’entretien à l’AFP, Guaido a fait valoir la possibilité d’une « transition convenue », comme celle qui a mis fin à la dictature de Marcos Pérez Jiménez en 1958.
Il pourrait s’agir d’une « transition interne », avec un Maduro hors jeu, « où un autre groupe du chavisme prend le pouvoir », estime M. Seijas.
Dans tous les cas, les militaires, à qui Maduro a accordé un pouvoir important, continueront d’avoir le dernier mot.
Jusqu’ici, Guaido leur a proposé une amnistie et les Etats-Unis de lever les sanctions les visant si jamais ils sortent du rang. « Ils doivent avoir confiance dans le fait qu’il participeront à un gouvernement qui préservera leur pouvoir », ce qui n’est pas le cas pour le moment, assure M. León.
Mardi, Washington a fait un nouvel appel du pied aux hauts gradés vénézuéliens en levant les sanctions contre Christopher Figuera, l’ancien chef des renseignements qui a fait défection la semaine dernière.
« L’arbitre final ce sont les forces armées. C’est là où se trouve le pouvoir », souligne M. Shifter.
Pendant ce temps là, Washington et Moscou poursuivent leur bras de fer à distance.
« Il ne serait pas étonnant qu’une fois épuisée la stratégie de sanctions et de grèves (à l’appel de l’opposition), lorsque le pays sera détruit, les alliés extérieurs soient tentés de négocier directement avec l’armée, si cette dernière se décide à prendre le pouvoir », prévient le directeur du cabinet Datanalisis.
LNT avec AFP