Des policiers roumains anti-émeutes devant le siège du gouvernement à Bucarest, le 1er février 2017 © AFP DANIEL MIHAILESCU
Aucun apaisement n’était en vue vendredi dans la crise politique roumaine entre des manifestants résolus à poursuivre une mobilisation historique et un gouvernement déterminé à maintenir son décret qui assouplit la législation anticorruption.
Epicentre de la contestation, la vaste place Victoriei de Bucarest, siège du gouvernement, s’apprêtait à connaître une nouvelle soirée de manifestations, la quatrième cette semaine, pour exiger l’abrogation du décret d’urgence qui pourrait bénéficier à de nombreux élus et hommes d’affaires soupçonnés de malversations.
Alors que le gouvernement social-démocrate, en place depuis un mois, a martelé son intention « d’aller de l’avant » avec cette révision pénale, les protestataires entendent poursuivre un mouvement d’une ampleur inédite dans un pays qui a connu de nombreuses turbulences politiques et vagues de manifestations depuis le retour de la démocratie, il y a 27 ans.
« Je vais venir tous les soirs », avait affirmé jeudi à l’AFP Carmen, une architecte trentenaire à l’image d’une jeune génération très présente dans ces rassemblements de dizaines de milliers de personnes.
Mercredi soir, entre 200.000 et 300.000 personnes avaient battu le pavé dans tout le pays, y compris dans de petites localités, un chiffre sans égal depuis la chute du régime communiste de Nicolae Ceausescu fin 1989.
Samedi, les protestataires se retrouveront dès le milieu de journée pour une marche vers le parlement où ils formeront une chaîne humaine.
La contestation a démarré lorsque l’exécutif a présenté son projet de révision pénale, fin janvier, et elle n’a cessé de s’amplifier dans ce pays pauvre où la lutte contre la corruption s’est intensifiée ces dernières années sous la pression de l’UE et de magistrats très offensifs. Les manifestants craignent un « retour en arrière ».
Le camp de l’opposition a marqué un point vendredi avec la décision du Défenseur des droits de saisir la Cour constitutionnelle du décret gouvernemental. Il a mis en cause l’usage de la procédure d’urgence, au nez du Parlement, et pointé du doigt les « imprécisions » du texte.
Le président de centre droit Klaus Iohannis et le Conseil supérieur de la magistrature ont également saisi la Cour sur ce décret.
– « La corruption tue ! » –
L’amendement réduit les peines encourues pour abus de pouvoir qui passent d’un maximum de sept ans de prison à trois ans; il introduit un seuil minimum de préjudice de 200.000 lei (44.000 euros) pour entamer des poursuites et stipule que l’infraction ne peut être dénoncée plus de six mois après la commission des faits.
Le gouvernement dirigé par Sorin Grindeanu a également envoyé au parlement un projet de grâce visant environ 2.500 détenus qui purgent des peines de jusqu’à cinq ans de prison.
L’exécutif affirme vouloir désengorger les prisons et mettre en conformité le code pénal dont une soixantaine d’articles ont été invalidés par la Cour constitutionnelle.
Les rangs du PSD, au centre de la vie politique depuis la fin du communisme, ont été particulièrement touchés par les enquêtes du parquet national anticorruption (DNA), qu’il accuse de mener une chasse aux sorcières.
Spontanés, les rassemblements sont largement relayés sur les réseaux sociaux où les protestataires appellent à poursuivre les manifestations en vue de l’entrée en vigueur du décret prévue le 10 février.
Le mouvement a déjà inspiré une chanson au groupe de pop roumaine, Voltaj. Le morceau « Si la Roumanie parlait », mis en ligne jeudi, compte les jours avant la mise en application du décret. « (…)Il ne me reste que neuf jours et je serai de nouveau abattue dans la boue (…) ».
Le site « la corruption tue! » propose aux manifestants de projeter sur les façades des ministères des messages au laser « dont les photos feront le tour du monde ».
Eclaboussé en 2015 par une retentissante enquête judiciaire visant le Premier ministre alors en poste, Victor Ponta, puis par un dramatique incendie dans une boîte de nuit de Bucarest, le PSD avait dû quitter le pouvoir.
Fort d’une solide base électorale dans les campagnes, il a reconquis une large majorité aux élections de décembre 2016, marquées par une forte abstention, en promettant de nombreuses hausses de prestations sociales.
Déjà critiqué par la Commission européenne, le décret a également été épinglé mercredi par le Département d’Etat américain qui s’est dit « profondément préoccupé ».
LNT avec AFP