Le 07 avril 2016 s’est tenu à Casablanca, au siège de la CGEM, le 1er séminaire autour de la « ville intelligente ».
A l’heure où la capitale économique doit relever de grands défis en termes de gestion urbanistique et démographique, cette initiative du cluster E-Madina est salutaire.
La mission de cette nouvelle structure est de créer et de développer un écosystème « smart city » pour faire émerger des initiatives de transformation de la ville en utilisant les technologies numériques et les ressources matérielles et immatérielles disponibles.
Cette journée de travail, co-organisée avec le soutien de Maroc Numeric Cluster, a attiré plus de 150 participants venus de tout le Maroc pour comprendre les énormes enjeux liés à ce nouveau concept prometteur.
Reportage au siège de la CGEM…
Qu’est ce qu’une « Smart City » ?
Une « Smart City » est l’attribut que l’on donne à une ville capable d’offrir des services de qualité à ses habitants grâce à une maîtrise et une utilisation intelligente de différentes technologies numériques (capteurs, réseaux 4G ou 5G, fibre optique, Cloud, Data Centers, etc.).
Ces dernières sont en général déployées suite à un diagnostic établi au préalable permettant d’identifier les différents besoins de la ville et de ses habitants.
Plusieurs acteurs publics (Wilaya, ministères, administrations, universités, etc.), privés (entreprises, consultants, bureaux d’étude, etc.) et citoyens (associations, experts, scientifiques, etc.) sont consultés et associés lors de la mise en place de cet écosystème.
Cela nécessite en général une forte capacité de régulation des autorités publiques pour pouvoir optimiser les gains apportés par la technologie et limiter les risques de pertes que celle-ci peut causer dans certains secteurs.
Les habitants d’une smart city profitent en général de meilleurs services : trafic routier plus fluide, système d’éclairage public plus économe en énergie, déchets recyclés, accès facilité aux urgences, etc.
Ils se sentent aussi en général beaucoup plus concernés par leur ville puisqu’ils contribuent de manière active à l’amélioration de sa gestion!
La smart city est en effet indissociable du concept d’Open Data qui consiste à partager volontairement avec les autorités publiques toutes les données et informations nécessaires à une gestion optimale des ressources et infrastructures de leur ville.
En retour, celles-ci s’engagent à mettre à leur disposition tous les outils numériques (sites web, applications mobiles, plateformes digitales en tout genre, etc.) pour permettre une meilleure communication avec le citoyen tout en facilitant ses démarches administratives (raccourcir son délai d’attente, simplifier l’obtention de ses documents, etc.)
L’idée étant d’améliorer de manière globale le climat de confiance entre les autorités publiques et les citoyens.
Barcelone, Amsterdam, Copenhague ou encore Singapour sont quelques-unes des grandes villes mondiales à avoir réussi leur mutation en « Smart city ».
Pourquoi Casablanca ?
Casablanca est la ville la plus peuplée du Maroc. Cette mégalopole concentre aujourd’hui plus de 4.2 millions d’habitants avec une densité de population pouvant atteindre 40.000 habitants/km² !
Attirés par son dynamisme économique (Casablanca contribue à 25 % du PIB national et attire 48% des investissements du pays) et sa modernité au niveau des infrastructures et des services, de nombreux Marocains s’y sont installés ou viennent y travailler.
Cette pression démographique constante sur la ville pose de nombreux défis et challenges à relever pour les autorités de la ville : gestion du trafic routier, des déchets, de la sécurité, de la santé des personnes, etc.
Il est donc devenu urgent aujourd’hui de penser à transformer et optimiser les différents services et infrastructures de Casablanca pour répondre aux nouveaux besoins de ses habitants.
A l’heure où les ressources énergétiques deviennent de plus en plus rares (donc plus chères) et où les tensions sociales pourraient s’exacerber, la mise en place d’une Casablanca Smart City est donc devenue une nécessité urgente pour cette ville.
Le Cluster E-Madina, pierre angulaire de la construction de «Casablanca Smart City»
L’ambition du cluster E-madina est justement de mettre en place les conditions favorables pour faire adopter pleinement ce nouveau concept par la ville de Casablanca.
Initialement constitué en Think tank au niveau de l’APEBI, ce groupe de travail a rapidement évolué en organisation professionnelle grâce à l’implication de différents acteurs associatifs et privés et à un environnement politique favorable (plan Maroc numeric).
Son président, M. Lakhlifi Mohammed, a indiqué dans le mot d’ouverture du séminaire, que le Cluster E-madina avait pour ambition de «fédérer l’ensemble des acteurs impliqués dans le développement de la ville de Casablanca autour de l’écosystème Smart City ».
Les sponsors et les différents invités de ce séminaire ont justement été choisis pour la diversité de leur domaine d’intervention (élus locaux, responsables opérateurs télécoms, gestionnaires déléguées pour la distribution d’eau et d’électricité, consultants, startups, etc.) et de leurs apports potentiels respectifs.
De son côté, M. Jamal Chaarni, directeur de la société de développement local Casa Prestations, a annoncé, en tout début des hostilités, le partenariat entre son organisme et l’Institut Idate pour la réalisation d’un schéma directeur de transformation numérique.
Celui-ci permettra à la ville de Casablanca de « disposer d’un diagnostic fiable et d’une démarche rationnelle à suivre en termes de déploiement des technologies numériques » selon les mots de M. Philippe Baudoin, responsable «Practice Smart City» de cette structure européenne reconnue.
La Data, carburant de la « Smart City »
Ce schéma directeur devra tenir compte de la nécessité pour la ville de Casablanca de regagner sa souveraineté en maitrisant l’utilisation de la Data, aussi appelée « carburant de la ville intelligente ». En effet, sans la data, aucune stratégie Smart City ne peut aboutir.
Les 3 grands opérateurs télécoms nationaux (IAM, Meditel et Inwi) sont les seuls à pouvoir jouer le double rôle de fournisseur et de collecteur de cette data.
Inwi, par exemple, a été le premier à construire plus de 4000 m² de datacenters sur notre territoire pour accueillir une quantité toujours plus importante de données. Celle-ci est estimée à 10 teras/jour actuellement !
La multiplication des smartphones et l’accroissement des vitesses de connexion sont les principales raisons de cette explosion de la donnée que l’on nomme parfois « Big Data ».
Avec l’arrivée prévue sur le marché d’une très quantité d’objets connectés, les datacenters joueront un rôle croissant dans le stockage et le traitement de toutes ces informations numériques.
La connectivité à Internet doit aussi être de qualité et être capable de couvrir toutes les parties de la ville. Cela passe notamment par le développement de la fibre optique et de réseaux 4G et 5G.
Quelles recommandations pour une mise en place optimale de la Smart City ?
1) Infrastructures à mutualiser
Selon M. Adil Chafiqi, directeur connaissance et expérience client chez Inwi, toutes ces technologies (Datacenter, Connectivité, Capteurs, etc.) constituent «l’architecture de base de la ville intelligente».
La mise en place de ce socle est donc indispensable pour révéler tout le potentiel de celle-ci. Cela passera nécessairement par une «meilleure coopération entre les 3 opérateurs afin de rationaliser et d’accélérer le développement de ces technologies.»
En effet, «une mutualisation des investissements éviterait les infrastructures en propres qui sont très coûteux et permettrait de réduire le coût d’implantation de ces technologies. »
2) Libre concurrence entre les opérateurs
L’ANRT devra aussi jouer pleinement son rôle de régulateur et de contrôle de la libre concurrence. Le prix des télécommunications étant jugé beaucoup trop cher par rapport à d’autres pays.
3) Cybersécurité à renforcer
La cybersécurité est un autre point important à considérer pour la réussite du projet Casablanca Smart City.
Selon Mr Ali El Azzouzi, directeur de la société DataProtect, « la sécurité devrait être un voyage et non une destination ».
Ce spécialiste en cybersécurité préconise une approche qui soit préventive et durable dans la lutte contre les menaces des pirates informatiques. Il a révélé à l’auditoire que la Maroc est le 3ème pays d’Afrique le plus ciblé !
Il aussi alerté les différents acteurs sur le danger des RansomWare, un nouveau type de logiciel malveillant qui prend en otage les données personnelles des internautes !
4) Meilleur Encadrement de la loi 08-09 pour la protection des données
Mr Sergouchni, membre de la CNDP, a, lui, insisté sur la nécessité pour la ville de jouer un rôle d’encadrement de l’utilisation des données des internautes.
Celles-ci pouvant être récoltées par certaines entreprises privées sans le consentement de leurs clients, la loi 09-08 devra constituer le fer de lance contre l’exploitation commerciale frauduleuse.
La commission doit donc s’assurer que la collecte de données soit uniquement associée à une finalité qui soit comprise et autorisée par les utilisateurs.
5) Gérer les différentes identités numériques
Les données échangées et transitant dans le monde numérique proviennent de différentes sources : utilisateurs, devices, logiciels en ligne, etc.
Ces dernières possèdent toutes une identité numérique qui leur est propre et qu’il convient de sécuriser et de manager tout en respectant les différents mandats réglementaires.
C’est la mission que se donne la société Nexus/Oxyliom. M. Youssef Ziza, project manager a ainsi pu expliquer les différentes solutions de son groupe pour permettre de réduire les risques opérationnels, techniques et de conformité liés aux activités digitales.
6) Partage de données à encourager
Ce n’est qu’une fois que les utilisateurs se sentiront en sécurité au niveau de la sécurité et de la protection de leurs données personnelles que le Big Data pourra prendre toute sa signification.
En effet, la ville intelligente qui se «nourrit» de ce dernier ne pourra devenir réalité que si les données sont partagées.
Malheureusement, les startups et entreprises marocaines n’ont pas encore suffisamment de données publiques à exploiter pour produire des services à haute valeur ajoutée.
Il faudrait donc sensibiliser les citoyens et les différents acteurs publics et privés autour du concept de l’Open Data et encourager l’utilisation de plateformes open source.
Mr Pierre Yves Danet, responsable de la recherche collaborative européenne chez Orange Labs a justement donné l’exemple de Fiware, une plateforme open source qui facilite l’émergence d’applications mobiles et d’objets connectés.
Fiware a permis la création de plus de 1000 startups qui ont pu exploiter toutes les données publiques européennes pour innover et répondre à différentes problématiques des villes.
Des entreprises internationales à forte expérience «Smart City»
Les services cloud sont une composante essentielle pour héberger les différentes plateformes numériques des smart city.
La solution IBM Bluemix jouit d’une réputation solide dans ce domaine. Celle-ci a été présentée à l’auditoire grâce à l’intervention de Ahmed Amni, le responsable développement afrique francophone chez IBM.
Amine Serraj, Public Lightning Manager à Phillips Maroc a, quant à lui, expliqué les bienfaits en termes d’économie d’énergie de la technologie LED et a présenté sa solution d’éclairage intelligent City Touch qui équipe déjà plusieurs smart cities européennes.
M. Saad Azzaoui, directeur du patrimoine à Lydec, entreprise détenue à 51% par le français Suez, a lui montré à l’auditoire comment la technologie numérique pouvait aider à rationaliser les investissements en infrastructure électrique, suivre l’état d’avancement des travaux en temps réel, ou encore moduler l’intensité de l’éclairage et la pression d’eau pour faire baisser la facture énergétique globale de la ville.
Ces quelques exemples d’entreprises internationales qui opèrent déjà dans l’écosystème Smart Cities à l’étranger nous montrent que celles-ci peuvent être d’un atout précieux pour la mise en place optimale d’une Casablanca Smart City grâce à leur expertise et expérience dans ce domaine.
L’innovation des «startupeurs» marocains à exploiter !
Les entreprises et startups nationales peuvent, elles aussi, jouer un grand rôle dans cet écosystème.
Souvent innovantes et maitrisant parfaitement l’environnement local, elles peuvent aider à résoudre des problématiques spécifiques à la ville de Casablanca.
La plateforme Screendy par exemple, fondée par Mehdi Alaoui, pourrait jouer le rôle de catalyseur pour la création de services mobiles à haute valeur ajoutée.
→ Lire l’article [portrait de Mehdi Alaoui]
Gratuite et facile d’utilisation, elle pourrait être intégrée au schéma directeur de la Smart City pour produire plus d’objets connectés et d’applications mobiles utiles pour les habitants de Casablanca.
Tarik Fadli, fondateur de Algo Consulting, fait lui aussi partie des entrepreneurs qui peuvent contribuer à améliorer la vie des casablancais.
Sa solution de dématérialisation des services administratifs, qu’il a présenté lors de ce séminaire, est extrêmement innovante et a déjà été déployée dans d’autre pays africains.
La E-mokataa est en phase d’être déployée au Maroc et pourrait complètement révolutionner notre manière de communiquer et d’interagir avec l’administration marocaine.
→ Lire l’article [5 startups qui montrent le nouveau visage d’un Maroc entreprenant et conquérant !]
Omar Bencherki, de Navicities, a, lui, développé une solution remarquable au niveau de la ville d’El Jadida qui pourraient parfaitement s’intégrer à la future Casablanca Smart City : des ambulances équipées en tablettes tactiles connectées en permanence avec un centre d’assistance de Saham Assurance !
→ Lire Article [Interview Omar Bencherki]
Ces véhicules peuvent ainsi facilement trouver les personnes qui ont besoin de secours urgents grâce à la géolocalisation détaillée de Navcities.
Une fois récupérées, ils peuvent les acheminer vers les établissements de santé disponibles les plus proches grâce à la navigation GPS avec assistance vocale automatisé.
La cartographie de Navcities est une alternative sérieuse à Google Maps et à d’autres services de géolocalisation pour une navigation dans la future ville de Casablanca Smart City.
L’interface simple et en darija de I-Taxi permet à plus de 150 taxis marocains de facilement récupérer leurs clients grâce à la géolocalisation!
Après avoir été formés et sensibilisés à l’importance du service client, les chauffeurs de taxi rouges casablancais peuvent désormais être notés pour la qualité de leurs services.
Tayeb Sbihi compte développer son entreprise pour atteindre dès l’année prochaine un parc de plus de 500 taxis casablancais !
Moondar est la dernière startup marocaine à avoir présenté son concept à l’issue de ce séminaire.
Son projet de Casablanca 3D (représentation numérique de Casablanca en 3D interactive) est assez spectaculaire. Il pourrait apporter une véritable valeur ajoutée à l’écosystème Smart City en aidant les autorités publics à mieux visualiser tous les chantiers prioritaires à mettre en place.
Un reportage spécial dans les locaux de cette entreprise sera d’ailleurs bientôt mis en ligne dans le blog.
Le développement économique rapide de la ville de Casablanca, où se concentre 46% de la population active, a laissé des traces au niveau de la qualité de vie de ses habitants (congestion du trafic, pollution, lourdeurs administratives, etc.).
Ces derniers ont plus que jamais besoin d’une ville intelligente.
Le projet de Casablanca Smart City lancé par le cluster E-Madina est une initiative sérieuse et réalisable qui permettrait de résoudre la plupart des problèmes de la ville en utilisant intelligemment la technologie numérique et le partage des données volontaire.
Pour avoir les meilleurs chances de réussir, les différents acteurs de la ville (publics, privés, citoyens) devront suivre les différentes recommandations énoncées dans ce séminaire et respecter le futur schéma directeur commandité par Casa Prestations.
Il s’agira de travailler en complète synergie et complémentarité. Les 3 grands opérateurs nationaux devront être les premiers à donner l’exemple en s’associant pour mutualiser le développement de leurs technologies !
Ce n’est en effet qu’avec un socle solide au niveau des infrastructures télécoms qu’une Smart City pourra prendre réellement prendre vie…
Omar Amrani.