Sécurité renforcée à Chaman, à la frontière pakistano-afghane, le 7 janvier 2017 © AFP Issam AHMED
Depuis des décennies, commerçants afghans et pakistanais circulaient librement d’un pays à l’autre à Chaman, ville frontalière poussiéreuse balayée par les vents dans le sud-ouest du Pakistan, mais un renforcement sans précédent des contrôles par Islamabad met en péril ce commerce bilatéral.
Chaman est l’un des deux seuls véritables points de passage entre le Pakistan et l’Afghanistan voisin, mais les contrôles y restaient quasi inexistants jusqu’il y a peu le long de la ligne de partage coloniale contestée.
Mais une nouvelle tentative par le Pakistan de sécuriser cette frontière poreuse, entre l’instable province pakistanaise du Baloutchistan et la province afghane de Kandahar, sème désarroi et chaos.
Des milliers de personnes et des centaines de camions doivent désormais patienter à la « Porte de l’amitié », pour y être enregistrés sur un système électronique de gestion de la frontière mis en service en septembre.
Les voyageurs et commerçants qui traversaient allègrement la frontière sans même la voir, se retrouvent coincés des heures durant, et certains indiquent que leurs camions restent parfois bloqués des semaines, leur faisant perdre toutes les denrées périssables.
Des entrepreneurs comme Fazal Karam se plaignent des délais et des droits de douane qui diminuent des bénéfices déjà maigres.
« Mon camion a dû attendre à la frontière pendant 15 à 16 jours », explique ce marchand de fourrage afghan quinquagénaire.
Les autorités pakistanaises ont même creusé une tranchée le long de la frontière, qui empêche toute traversée hors du point de passage.
Islamabad, qui a également renforcé les contrôles à l’autre grand poste frontière, la fameuse Torkham Gate dans la passe de Khyber, assure que ces nouvelles mesures sont nécessaires pour empêcher les groupes extrémistes armés de circuler et améliorer la collecte des droits de douane.
Le gouvernement pakistanais évalue à plus de 2,5 milliards de dollars le commerce transfrontalier informel, ce qui représente des millions de dollars de taxes qui pourraient être collectées chaque mois.
– A cheval –
L’Afghanistan, qui n’a pas d’accès à la mer, importe de biens de première nécessité comme le lait, les jus et des ustensiles, tandis qu’il exporte des fruits. Le Pakistan achète aussi à des commerçants afghans des produits électroniques à bas coût, des tissus, des médicaments et des roues.
Les deux pays sont séparés par la Ligne Durand, tracée sur 2.400 km par les Britanniques en 1896 et contestée par Kaboul, qui ne la reconnait pas comme frontière internationale.
Les populations pachtounes locales ne lui accordaient traditionnellement que peu d’importance, d’autant que nombre de villages étaient construits à cheval sur cette ligne, avec des bâtiments ayant une porte au Pakistan et l’autre en Afghanistan.
Des Pakistanais traversent la frontière chaque jour pour travailler, explique l’expert Rahimullah Yousafzaï, tandis que des Afghans vont au Pakistan pour rendre visite à leur famille, se faire soigner, voire, pour certaines familles de Torkham, envoyer leurs enfants à l’école. Autant d’activités quotidiennes entravées par le renforcement des contrôles pakistanais.
« Il ne faut pas oublier la dimension humaine de tout ceci », souligne M. Yousafzaï.
L’annonce en juin dernier qu’Islamabad prévoyait de nouveaux points de contrôle et grillages le long de la frontière avait déclenché la consternation des responsables afghans.
Abdullah Achakzaï, président de la Chambre de commerce de Chaman, souligne que la majorité des habitants vit du commerce transfrontalier.
« Les gens d’ici qui ont leur commerce de l’autre côté en Afghanistan, où ils passent la journée, ont de sérieux soucis », souligne-t-il.
« Ils perdent trois à quatre heures juste pour traverser, comment peut-on travailler en seulement une demi journée? »
– Contrebande –
A défaut pour le moment d’alternative comme des visas longue durée, des commerçant sont devenus contrebandiers.
« Parfois ils dissimulent des marchandises dans des bottes de foin, et de temps en temps ils essaient de faire entrer des véhicules en pièces détachées », explique un responsable.
M. Achakzaï admet que les contrôles sont nécessaires mais réclame qu’ils soient plus équitables.
« Vu les difficultés, il faudrait réduire les droits de douane de 20 ou 30% », estime-t-il.
Pour le commerçant Abdoul Hadi, les contrôles risquent de faire augmenter la criminalité.
« Si le chômage augmente, les gens vont se mettre à voler et braquer », déplore-t-il. « C’est dans l’intérêt des autorités de trouver une solution ».
LNT avec Afp