Dessin de Rania Bouzoubaa-LNT.ma
A la suite d’un article paru sur www.lnt.ma, sous le titre : « Akhannouch, la caravane passe, les chiens aboient », notre ami Saad Khiari a affuté sa plume pour exposer quelques réflexions bien senties sur cet adage, ses différentes versions et implications.
Faut-il dire : « les chiens aboient et la caravane passe » ou « la caravane passe et les chiens aboient » ?
La réponse mérite d’être précise car nous avons affaire à deux événements pas nécessairement simultanés mais dont la chronologie pourrait modifier le sens de ce proverbe arabe.
Traduit dans plusieurs langues, il véhicule la même signification, faisant des chiens des perturbateurs insignifiants devant la marche imperturbable de la caravane ; des agitateurs impuissants devant la force tranquille des caravaniers.
Dans la première formulation, on imagine que l’arrivée de la caravane a été ressentie de loin par les chiens, dont le flair n’est jamais pris en défaut. Le déclenchement contagieux de leurs aboiements vise, non seulement à rameuter l’ensemble des canidés tenus toujours à distance par les Nomades dans une paix armée datant de la nuit des temps, mais surtout à annoncer l’arrivée des visiteurs à tout le douar.
Le chien sert en quelque sorte de vigie. On dirait, dans le langage d’aujourd’hui, un « lanceur d’alerte ». Ceci pour dire que les aboiements précèdent sans conteste possible, l’arrivée de la caravane.
Faut-il remarquer -en passant- que c’est le seul moment où les habitants épargnent aux chiens, les volées de cailloux habituelles et où les chiens montrent à peu de frais, leurs muscles à des dromadaires qui s’en battent l’œil ?
Dans la seconde formulation, on a l’impression qu’il y a comme un retard à l’allumage, un défaut de synchronisation.
Comme si les chiens, dormant à l’image de leur congénère de la caverne des sept dormants, sont surpris dans leur léthargie par les cris des enfants du douar, faisant la fête aux visiteurs ou,
Comme si les chiens, dérangés dans leur sommeil, exprimaient à leur manière, leur mécontentement ou,
Comme si les chiens, surpris par les événements, voulaient se racheter auprès des habitants du douar pour ne pas avoir sonné l’alerte à temps.
Par ailleurs, déclencher les aboiements des chiens par le passage de la caravane, revient à attribuer aux dromadaires et aux bédouins les vertus d’un stimulant, ce qui pourrait laisser croire que le reste du temps, en l’absence des caravaniers, les chiens n’aboient pas.
Or, il est notoire qu’un chien qui n’aboie pas ou qui est aphone est un chien inutile et Dieu sait que dans les douars et à la campagne on ne s’encombre pas du superflu.
Tout le monde doit travailler : le dromadaire bosse et le chien aboie, faute de quoi, on ajouterait au dérèglement climatique, le dysfonctionnement dans la vie de nos campagnes et la chatte ne reconnaîtrait plus ses petits ; pour rester bucolique.
Prenons garde donc à laisser aboyer les chiens au passage de la caravane, ne serait-ce que pour leur laisser l’illusion d’être de bons gardiens. La caravane passera inéluctablement et sans le moindre regard pour les chiens.
Saad Khiari
Cinéaste, auteur