L’invasion par la Russie de l’Ukraine, grenier à blé de la Mer Noire, impacte lourdement le marché mondial de cette denrée, en premier lieu les principaux pays/clients importateurs des deux belligérants. L’objet d’une étude réalisée par Henri-Louis Vedie, Docteur d’état en sciences économiques (Paris Dauphine) et membre du PCNS, est d’analyser les conséquences de cette guerre pour l’Afrique, continent où le pain est un aliment de base. Ce qui nous conduit, tout d’abord, à rappeler les données générales de ce marché, avec une Russie et une Ukraine respectivement au premier et cinquième rangs mondiaux des pays exportateurs, avec une Union Européenne qui, suite à ce conflit, apparaît être une alternative plus crédible que celle américano/ canadienne, compte tenu de sa proximité avec les pays concernés directement par les conséquences de cette crise. L’analyse, ensuite, des pays les plus dépendants du blé russe et ukrainien montre l’importance de cette dépendance africaine, avec 16 pays regroupant 40% de la population du continent, qui en dépendent à hauteur de 56% et plus. A ces 16 pays il faut ajouter les pays qui ont une dépendance inférieure à 56%.
Au total donc, ce sont 16 pays africains regroupant 374 millions d’habitants, soit près de 40% de la population africaine, qui dépendent donc à 56% et plus du blé russe et ukrainien. C’est considérable. D’autant plus considérable que d’autres pays africains, dont la dépendance du blé russe et ukrainien est inférieure à 50% ne sont pas pris en compte par cette approche. C’est le cas de l’Algérie, du Maroc et du Nigeria. Trois pays qui, concernant leurs importations de blé, sont respectivement au deuxième, troisième et quatrième rangs africains. Ce qui nous conduit à préciser maintenant la dépendance aux importations de blé, quel que soit le pays fournisseur.
L’Algérie, le Maroc et le Nigeria importent plus de 17 Ms de tonnes de blé, majoritairement ni russe ni ukrainien. L’Algérie est le second importateur africain de blé, derrière l’Egypte, avec des exportations estimées sur la campagne 2021/2022 à 7,7 M, qui s’ajoutent aux 3,6 Mt produites sur le sol algérien. Mais depuis 2021, l’Algérie s’est rapprochée de la Russie pour évincer les exportateurs européens, français particulièrement. Cela va prendre du temps, pas sûr que l’invasion de l’Ukraine accélère le rapprochement. Le Maroc, troisième importateur de blé du continent, produit du blé en quantité variable selon les conditions climatiques. Ainsi, en 2021, de bonnes conditions climatiques ont permis de réduire les importations de blé de 0,7 Mt, passant sous la barre des 5 Mt, estimées à 4,5 Mt. Ce qui caractérise les importations marocaines, c’est la diversité des fournisseurs. Ainsi, on y trouve l’Ukraine (25%), la Russie (11%), la France (40%) et le Canada pour la quasi-totalité de l’importation du blé dur. Le Nigeria, pays le plus peuplé du continent, voit ses importations de blé augmenter régulièrement depuis deux ans, dépassant désormais les 5 Mt, avec des estimations de 5,5 Mt pour la campagne 2020/2021. A l’inverse, la diversification d’approvisionnement, dont ont fait preuve l’Algérie, le Maroc et le Nigeria est à souligner. Mais, globalement, c’est près de 700 millions de personnes qui vont être directement impactées pour leur consommation de blé par leur dépendance du blé russe et /ou ukrainien.
Pour l’auteur, la guerre en Ukraine impacte durement le marché mondial du blé de par l’importance des exportations provenant de la Russie et de l’Ukraine, environ 30% des exportations mondiales. Et la paralysie des grands ports de la mer d’Azov et de la mer Noire, déséquilibrant gravement les échanges mondiaux, n’arrangent rien. Ce qui est certain c’est que cette crise va impacter durablement l’approvisionnement en blé et son prix. Une crise à double volet : l’approvisionnement et le prix. Celui de l’approvisionnement, tout d’abord, compte tenu du nombre de pays africains dépendant du blé russe et ukrainien, un sur deux selon la CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement). Parmi ces pays, ceux qui risquent d’en connaitre rapidement les conséquences pour leur approvisionnement sont, bien sûr, l’Egypte, la RD Congo et la Tanzanie, les plus peuplés. Mais, globalement, c’est l’ensemble des pays subsahariens qui inquiètent grand nombre d’experts, compte tenu de stocks bas, avant la crise. Concernant les pays d’Afrique du Nord, deux sont particulièrement menacés par cette crise : la Libye et la Tunisie. La Libye qui dépend pour ses approvisionnements de l’Ukraine à 60% et de la Russie à 15%, et qui doit trouver en urgence des alternatives, étant au bord de la rupture de stock de blé, estimé à un mois.
Concernant le volet prix, entre avril 2021 et fin mars, le cours du blé tendre est passé de 230 euros à un niveau record de 376 euros. Mais cette envolée des cours du blé commence dès août 2021, avec des cours atteignant 270 euros, dépassant les 300 euros en décembre 2021, pour retomber ensuite aux alentours de 270/280 euros, jusqu’à février 2022, pour s’accélérer ensuite. Première remarque, la crise ukrainienne n’est pas à l’origine de cette flambée des cours mais l’a amplifiée. Comme cela a été déjà constaté lors de la crise financière de mars 2008, la tonne de blé atteignant alors 292 euros, ou lors du printemps arabe, la tonne de blé rebondissant à 277 euros.
Pour conclure, l’auteur souligne la nécessité de toujours diversifier ses approvisionnements et de conserver, si possible, la souveraineté nationale dans des domaines aussi sensibles que l’alimentaire. Diversifier ses approvisionnements, c’est ce qu’a su faire le Maroc et le Nigeria, par exemple. C’est malheureusement ce que n’a pas su faire l’Egypte. Conserver sa souveraineté alimentaire, c’est avoir une agriculture privilégiant d’abord les cultures vivrières, le blé en est une, lorsqu’on a la chance de pouvoir le faire. C’est ce que n’a pas fait l’Algérie, qui fut à un moment de son histoire le grenier à blé de l’Europe…
H.Z (avec documentation du PCNS)