Publicité au Maroc : entre persuasion et dérives, quels enjeux pour la protection des consommateurs ?
Par El Mostapha BAHRI, Economiste
Dans deux précédents articles[1], nous avons soulevé la question de l’application de la loi sur la liberté des prix et de la concurrence. Il a été mentionné que dans plusieurs pays, l’application de cette loi ne posait pas de problèmes, alors qu’au Maroc, depuis la première version de 1999, notre administration peine à trouver la bonne voie pour sa mise en œuvre.
Dans le présent article, nous allons présenter une autre loi, qui d’ailleurs est complémentaire de la première, et qui rencontre les mêmes difficultés, à savoir, la loi n°31-08 édictant des mesures de protection du consommateur du 18 février 2011. L’objet de cet article portera sur un seul volet de la loi, à savoir la publicité. D’autres dispositions rencontrent les mêmes problèmes au niveau de leurs mises en œuvre et qui feront l’objet d’autres articles.
S’agissant de la publicité, personne n’ignore son rôle dans le commerce. En plus de sa fonction informationnelle du consommateur sur les produits et services, notamment le fait d’amener les clients potentiels à prendre des décisions, la publicité reste un moyen de persuasion redoutable qui peut créer des besoins. De même, elle contribue à construire et à renforcer l’image de marque. Elle stimule la demande et augmente les ventes. Elle est utilisée enfin comme moyen pour augmenter la valeur perçue d’un produit ou service tout en renforçant les messages positifs sur la marque.
En résumé, la publicité est un outil essentiel pour attirer l’attention, générer des leads, convertir des prospects en clients et maintenir une relation à long terme avec eux, tout en soutenant les objectifs commerciaux globaux.
Cependant, est-ce qu’au Maroc, la publicité se focalise sur les objectifs assignés comme moyen positif ou dépasse-t-elle le cadre pour lequel elle a été conçue ?
A suivre les informations publiées par certains médias, la publicité n’est utilisée dans notre pays que comme moyen d’augmenter les ventes et ce, en recourant à la publicité mensongère qui promeut des réductions inexistantes et allant parfois jusqu’à escroquer les clients. Ce comportement a amené l’interpellation du ministre de l’industrie et du commerce par une question écrite adressée par un conseiller parlementaire de la Confédération Démocratique du Travail (CDT), qui a déclaré : « Malgré les mesures importantes prises pour protéger les consommateurs, certaines pratiques continuent de saper ces dispositions. De nombreux commerces, en particulier pendant les périodes de vacances, affichent des publicités mensongères sur leurs vitrines, comme des “liquidations totales”, pour attirer les clients, profitant de l’absence d’un cadre légal régulant ces pratiques »[2].
Dans le même article, les défenseurs des consommateurs ont attiré l’attention sur la pénurie d’agents et d’inspecteurs chargés de surveiller la véracité de ces publicités, leur nombre ne dépassant pas 80 à l’échelle nationale[3].
A notre humble avis, deux aspects méritent d’être traités, pour mettre en lumière la problématique posée, à savoir le cadre juridique et le volet des ressources humaines.
S’agissant du cadre juridique, il convient de souligner que les pouvoirs publics n’ont mis en place une loi pour la protection du consommateur qu’en 2011 et son décret d’application n’a vu le jour qu’au mois de septembre 2013 , alors que Sa Majesté Le Roi « dans le discours prononcé le 20 août 2008 à l’occasion de la Fête du Trône, avait appelé à l’instauration d’un Code sur la consommation »[4]
D’ailleurs, le texte qui a été préparé a rassemblé toutes les dispositions éparpillées au niveau de l’arsenal juridique marocain pour élaborer un texte spécifique à cet épineux sujet. Le projet a été complété par d’autres dispositions pour établir un texte juridique complet, tel est le cas de la publicité comparée, des ventes en soldes, le démarchage, les ventes à distance, les crédits à la consommation, les crédits immobiliers, etc.
A noter que le volet de la publicité a été également traité par la loi n° 77-03 du 7 janvier 2005, relative à la communication audiovisuelle.
Les articles consacrés à la publicité par la loi sur la protection du consommateur, interdisent toute publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur.
D’un autre côté, le texte a introduit pour la première fois le concept de la publicité comparative, mais elle n’est autorisée que si elle est loyale, véridique et qu’elle n’est pas de nature à induire en erreur le consommateur.
Par ailleurs, et lors de toute publicité par courrier électronique, le fournisseur est tenu à respecter plusieurs obligations détaillées par la loi[5].
Quant à la mise en œuvre de la loi, elle n’a fait l’objet que de peu d’attention de la part du gouvernement ; sachant que toute loi ou règlement n’a de valeurs qu’à travers son application.
Il y a lieu de rappeler que contrairement à ce que les défenseurs des consommateurs qui ont signalé la pénurie d’agents et d’inspecteurs chargés de surveiller la véracité de ces publicités (Nombre ne dépassant pas 80 à l’échelle nationale), le nombre d’enquêteurs est très élevé (plusieurs centaines si on prend en considération les enquêteurs des divisions économiques des préfectures et provinces).
D’ailleurs, le problème n’est pas lié au nombre mais au profil.
En effet, la loi sur la protection du consommateur dans son article (166) stipule ce qui suit : « outre les officiers de police judiciaire, les enquêteurs spécialement commissionnés à cet effet par l’administration (de l’industrie et du commerce), sont qualifiés pour procéder à la recherche et à la constatation des infractions aux dispositions de la présente loi »
De ce fait, il ressort de la lecture de cet article, la multiplicité des intervenants dans l’application des dispositions de la loi concernant la protection du consommateur. Sur le terrain, il y a lieu de relever une diversité d’intervenants avec plusieurs casquettes. Des enquêteurs relevant du ministère de l’Intérieur au sein des divisions économiques, pour l’application de de la loi n° 31-08 relative à la protection du consommateur du 8 février 2011, de la loi sur la liberté des prix et de la concurrence n° 104-12 du 30 juin 2014 (tel que modifiée et complétée) et de la loi n°77.15 du 7 décembre 2015 (entrée en application le 1er juillet 2016), qui constitue le cadre légal principal interdisant la fabrication, l’importation, l’exportation, la commercialisation et l’utilisation des sacs en plastique.
En plus de ces enquêteurs, il y lieu ajouter ceux qui relève du département de l’industrie et du commerce et d’autres cadres habilités à relever spécialement les infractions concernant l’endettement.
La problématique ne réside pas dans le nombre, mais dans le profil des cadres en charge de cette mission. Ce qui a été constaté c’est la faiblesse, voire l’absence totale de toute formation. Le domaine de la consommation nécessite des cadres à la hauteur de la mission qu’ils seront appelés à accomplir. Des formations théoriques en marketing et des formations pratiques assurées par des experts particulièrement étrangers qui nous ont devancés dans le domaine de la consommation.
Cette loi sur la consommation est loin d’être une loi facile à appliquer. Cette dernière, nécessite des échanges d’expériences, des séminaires, des rencontres et des formations continues et permanentes, pour suivre les évolutions réalisées dans le domaine du commerce électronique et des techniques utilisées en ce qui concerne la publicité, qui se développent crescendo.
Ce volet de la formation, constitue-t-il une priorité dans l’agenda des responsables en charge de la loi sur la consommation. Il parait que c’est le nombre de cadres à commissionner qui a primé dans les priorités du ministère de l’Industrie et du Commerce, ministère de tutelle de cette loi, qui défend en même temps les intérêts des commerçants, des industriels et des prestataires de service.
Une telle formation des enquêteurs est de nature à professionnaliser ce métier à l’instar de l’expérience du Ministère de l’Intérieur des années quatre-vingts qui a formé des contrôleurs des prix au niveau de l’Ecole de perfectionnement des cadres de Kénitra (Actuel Institut Royal de l’Administration Territoriale) pendant une année et des contrôleurs-adjoints des prix au sein des centres de formation administrative. A noter qu’en France le personnel d’enquête est sélectionné sur la base d’un concours et passe une année de stage avant de pouvoir exercer sur le terrain.
Le troisième grand problème est l’absence de toute coordination entre les différentes catégories d’enquêteurs. Il s’agit d’une loi qui régit la consommation au sein de notre pays et qui veille sur les intérêts du consommateur. L’objectif des enquêteurs, quelle que soit leur appartenance, est de surveiller les différents types de fournisseurs et être au courant des techniques de vente pratiquées. De même, un échange d’information et un contact permanent permettra la création des conditions d’une transparence et d’une concurrence loyale pour les agents économiques et partant protéger les intérêts des toutes petites entreprises (TPE) et des PME et partant des consommateurs.
Un dernier aspect qui exige également une réflexion immédiate concerne la procédure judiciaire appliquée pour traiter les infractions. Bien que la loi ait instauré des sanctions strictes pour dissuader les pratiques de publicité mensongère et autres violations, la lenteur dans le traitement des dossiers liés à la consommation réduit considérablement l’efficacité des actions des enquêteurs et ce, malgré les efforts déployés par les tribunaux.
En conclusion, il est proposé ce qui suit :
En conclusion, la problématique de la publicité mensongère et de la protection du consommateur au Maroc est complexe et multifacette. Elle nécessite une approche holistique qui combine un cadre juridique robuste, des ressources humaines bien formées et une coordination efficace entre les différents acteurs. La mise en œuvre de ces mesures contribuera non seulement à protéger les droits des consommateurs mais aussi à promouvoir une concurrence saine et loyale et à stimuler la confiance dans le marché marocain.
[1] La Nouvelle Tribune, Versions électroniques du 20/12/2023 et du 27/12/2023
[2] Les fausses publicités interpellent le ministre… et les défenseurs des consommateurs alertent sur le manque d’inspecteurs. https://www.hespress.com/ du 17 mars 2025.
[3] Op. Cit., ci-haut.
[4] https://fnh.ma/ du 18 janvier 2024.
[5] Site du Ministère de l’industrie et de commerce, https://mcinet.gov.ma