Professeure Ouafa Mkinsi
La réputation de la Professeure Oufa Mkinsi, rhumatologue, ex-cheffe du service de Rhumatologie au CHU Ibn Rochd, n’est plus à faire, au point où malgré son départ à la retraite, elle continue à remplir sa mission hospitalière de façon bénévole et que sa consultation journalière ne désemplit pas ! Car ses patients, d’hier et d’aujourd’hui, savent quel engagement et quelle passion elle met à accomplir sa mission médicale, avec empathie, dévouement et abnégation. Mme Ouafa Mkinsi est une belle personne qui mérite admiration et respect !
La Nouvelle Tribune : Professeure Mkinsi, votre renommée en rhumatologie vous précède. Vous l’avez construite à l’Hôpital où vous exercez depuis longtemps pouvez-vous nous retracer votre parcours ?
Mme Ouafa Mkinsi :Vous savez, mon engagement en médecine a été motivé assez tôt dans ma vie, avec la maladie de ma mère que j’ai accompagnée dans les hôpitaux. Cela a été un long parcours avec les deux facettes que la situation imposait, c’est-à-dire être, d’une part, côté patient et donc avoir le feed-back de ma mère sur tous les aspects de la relation du patient avec les personnes chargées de l’accueil des malades, avec le personnel paramédical, avec les médecins, et même l’état des structures de soins.
D’autre part, être étudiante en médecine et découvrir les bons et les moins bons aspects de la médecine au Maroc et ailleurs. Ma défunte mère appréciait tout particulièrement un des professeurs qui la soignait et j’ai été moi-même touchée par les compétences, l’humanisme et toutes les qualités que ce médecin mettait au service de la pratique de l’art de soigner.
A l’époque, j’étais en première année de médecine, et ce fut pour moi un enseignement fort, avant même que je ne suive mon premier stage de médecine !
Par ailleurs, j’ai eu la chance au cours de mon cursus universitaire, de rencontrer des professeurs de très grande qualité, qui m’ont également motivée à emprunter la voie de l’enseignement me permettant ainsi d’approfondir et de transmettre ce que j’apprenais. C’est dire tout l’amour que je ressens pour mon métier d’enseignante et de médecin.
Et la rhumatologie ?
J’avais d’abord choisi la médecine interne au côté du Professeur Abdellatif Berbich, paix à son âme, qui était un excellent néphrologue et interniste. C’est au sein de son équipe que j’ai travaillé avec la Professeure Renée Assouline, la première rhumatologue et enseignante en la matière.
J’ai soutenu ma thèse sur les maladies osseuses avec elle et j’ai donc décidé de choisir comme spécialité, la rhumatologie. On a coutume de dire que la rhumatologie est «la fille aînée» de la médecine interne, et c’est parti de là pour moi. D’ailleurs, j’ai choisi le « cursus plein » qui aboutit au titre de professeur agrégée de l’enseignement universitaire.
Depuis, je suis très attachée à l’hôpital et à l’enseignement. Je n’ai pas suivi, les collègues de ma génération et de ma promotion qui à un moment ont quitté l’hôpital public. Je crois que je devais suivre cette voie, qui est toujours la mienne.
Je considère que l’exercice de ma spécialité et l’enseignement se nourrissent mutuellement. L’enseignement est un espace où vous êtes constamment dans la formation, des autres certes, mais aussi la vôtre du fait que pour transmettre, il vous est nécessaire de mettre à jour vos connaissances et vos compétences techniques.
Cela s’impose à vous et constitue un vrai sacerdoce ! Notre formation post-universitaire impose de suivre des séminaires, des congrès souvent internationaux et de suivre les différentes publications relatives à notre spécialité.
C’est pourquoi, les malades se pressent aux portes de vos consultations et que votre réputation n’est plus à faire !
Vous savez que c’est l’autre versant de ma pratique, car j’estime que la médecine ne se conçoit pas sans l’exercice quotidien et le contact avec les patients.
J’exerce un métier que j’aime profondément surtout que l’hôpital offre l’opportunité et même la chance de travailler en équipe. Cela permet de proposer aux patients des thérapeutiques innovantes.
La rhumatologie est une spécialité qui a énormément progressé depuis 20 ans, grâce au fait que l’OMS et l’ONU ont, de concert, décrété la décennie 2000-2010, décennie des os et des articulations.
Des budgets de recherche très conséquents ont alors été engagés, ce qui a énormément fait progresser le diagnostic et la thérapeutique de nombre de maladies ostéo-articulaires. Aussi, un des objectifs de mon passage dans le CHU Ibn Rochd a été de faire en sorte que nos patients puissent bénéficier de moyens d’exploration et de thérapeutiques innovantes, au même titre que ce qui se fait dans des services de rhumatologie ailleurs et ce, quel que soit leur niveau socio-économique. De plus, le second objectif était d’avoir une structure d’accueil et donc un service de rhumatologie à la hauteur des aspirations de l’équipe soignante et des patients.
Professeure Mkinsi, justement, la plupart des services du CHU, ont été rénovés grâce à la dynamique de leurs chefs, quid du votre ?
Il faut d’abord que je vous relate l’historique de l’implantation ou des premiers pas de la rhumatologie au CHU de Casablanca. Lorsque j’y suis arrivée en 1991, j’ai commencé dans le service de gastro-entérologie où quelques lits avaient été dévolus à la Rhumatologie. A l’époque, il n’y avait pas de service dédié à cette spécialité. Une année plus tard, l’hôpital a affecté des locaux à la rhumatologie, mais les lieux étaient délabrés. Peu à peu et grâce à la contribution de bienfaiteurs que je ne remercierais jamais assez, ont été financés la reconstruction et l’équipement du service de Rhumatologie, chose faite depuis près de 10 ans.
En parallèle, l’Association marocaine de Lutte antirhumatismale, l’AMLAR créée depuis quinze ans et reconnue d’utilité publique depuis 11 ans, est toujours présente à nos côtés et a permis de nous accompagner dans ce projet, grâce à la contribution de nombreux mécènes de la Société civile.
Elle permet ainsi de financer des analyses biologiques, des examens d’ imagerie tels que radiographies, scanners et IRM, mais aussi des traitements de fond de rhumatismes inflammatoires chroniques et de maladies osseuses, tout cela étant destiné en priorité aux patients à revenus limités.
Je préside cette association, où j’ai rencontré des gens extraordinaires qui m’ont prouvé que la volonté de bien faire était réelle dans notre pays. Ces donateurs sont essentiellement d’anciens patients ou des parents de patients que je tiens ici à remercier.
C’est ce qui nous permet aujourd’hui de disposer de trentedeux lits d’hospitalisation en sus de ceux de l‘hôpital de jour, d’une unité de kinésithérapie, d’une unité d’explorations d’imagerie, d’une unité de prise en charge de la douleur et d’une unité d’enseignement. Je dois dire que j’ai pris ma retraite, mais je continue d’exercer en qualité de bénévole afin de poursuivre mes activités et d’accompagner autant que faire se peut, l’association dans les services qu’elle rend.
Madame Mkinsi, sur le plan personnel et alors que vous êtes bénévole, quelles sont vos motivations personnelles pour votre fin de carrière ?
L’association m’a permis de prendre en charge un certain nombre de patients, et je serais gênée de les abandonner, surtout les démunis auxquels je consacre une consultation pleine, le vendredi.
De plus, il y a encore des donateurs qui sont suivis par moi et pas question également de les abandonner. Vous savez dans les pathologies que l’on traite en tant que rhumatologue, handicap physique et douleur sont au premier plan et si ces maladies handicapantes sur le plan physique sont traitées à temps, des désagréments majeurs peuvent être évités.
C’est ce que nous avons constaté chez des patients ayant accédé aux soins tardivement et donc ayant rendu ces soins plus difficiles et plus coûteux.
C’est pourquoi grâce à notre association, nous avons organisé depuis 15 ans, plus de 23 consultations ambulatoires dans plusieurs quartiers de Casablanca, mais aussi dans la province de Casablanca et dans plusieurs régions du sud du pays, pour que certains malades puissent bénéficier assez précocement d’une prise en charge au service, soit à travers une hospitalisation, soit par un suivi et une prise en charge salvatrice.
J’ai rencontré beaucoup de femmes dans les différents services du CHU et à de hauts postes, est-ce une fierté pour vous ?
Actuellement, dans le monde entier, la médecine se féminise. Je pense que les femmes sont plus aptes à être empathiques, à s’occuper des autres et en même temps, et le Maroc n’échappe pas à la règle, les filles étudient et veulent à tout prix accomplir des cursus d’études supérieures, faire des carrières importantes. Certaines de nos promotions d’étudiants comptent entre 70 et 80% de filles.
De plus, il faut savoir qu’à l’hôpital, en tant que femmes nous avons les mêmes salaires que les hommes et nous pouvons accéder aux mêmes postes et nous sommes, à ce niveau, une bonne illustration de la nécessaire égalité des genres et donc de la parité. A ce propos, il faut rendre hommage à nos parents qui nous ont aidées, nous leurs filles. Ils appartiennent à une génération qui voulait à tout prix que les filles étudient.
C’est une chance inouïe qui s’offre aux Marocaines que de participer à œuvrer dans cette société et à continuer de construire ce pays.
Une dernière question sur la Covid19, que pouvez-vous nous en dire ?
Aujourd’hui, au CHU, on commence à voir le bout du tunnel ! Tous les CHU du pays, ont été des centres Covid, où l’on a réservé des services entiers de réanimation pour les patients. Et, incontestablement, il y a eu des efforts énormes pour que les patients soient correctement pris en charge, tant du côté des équipements que du travail des équipes au dévouement incomparable, surtout au niveau de la réanimation. Mais désormais, il est vrai que les choses s’améliorent sur le front de la lutte contre la pandémie.
D’une façon générale d’ailleurs, on observe que l’Afrique a été relativement épargnée par la Covid-19, en dehors de l’Afrique du Sud qui est un cas à part. Notre continent a, quelque part, vécu une épidémie relativement modeste, contrairement aux pays européens par exemple.
La jeunesse de nos populations compte pour beaucoup à ce niveau.
De plus, on a rapporté que la vaccination contre le BCG protège du coronavirus. Cette vaccination est obligatoire pour chaque nouveau-né et exigée pour son inscription à l’état civil, alors qu’en Europe et aux Etats-Unis, on n’administre plus le BCG depuis des années.
Enfin, troisième élément, le climat joue un rôle réel puisque la chaleur semble inactiver le virus. Par ailleurs, des études ont démontré que certaines populations africaines subsahariennes côtoient des animaux qui sont touchés par d’autres coronavirus qui ont des protéines communes avec le SARS COVID et ces populations ont donc développé une immunité anticoronavirus. C’est pourquoi l’Afrique et notamment le Maroc ont quelque peu échappé à une pandémie plus grave.
Entretien réalisé par Afifa Dassouli
Qualités et titres du professeure Ouafa Mkinsi
-Professeure de l’Enseignement supérieur en Rhumatologie.
-Ex-Cheffe du Service de Rhumatologie au CHU Ibn Rochd de Casablanca
-Ex-Responsable de la Commission pédagogique à la FMPC Ex-Vice-Présidente de l’Universite Hassan II -Ain Chock Présidente de l’AMLAR Professeure en Rhumatologie bénévole au CHU Ibn Rochd
-Professeure en rhumatologie à la Clinique Californie, Casablanca