Évoquer la personnalité de la Professeure Hakima Lakhdar, dermatologue de renom, c’est avant toute chose souligner ce qui a caractérisé ses vingt-cinq années passées au CHU Ibn Rochd de Casablanca, c’est-à-dire le don de soi, l’abnégation, le sens de l’humain et la reconnaissance envers ses maîtres. Aujourd’hui dans le privé, elle a gardé les mêmes constantes qui ont fait d’elle et font toujours un modèle et un exemple des capacités de cette Femme marocaine qui, où qu’elle soit, fait montre de responsabilité, de dévouement et de compétence.
La Nouvelle Tribune : Madame Lakhdar, vous avez construit votre renommée de professeure en dermatologie à l’Hôpital Ibn Rochd à Casablanca où vous avez longtemps exercé. Avant d’en parler, pouvez-vous expliquer à nos lecteurs, pourquoi en êtes-vous partie ?
Professeure Hakima Lakhdar: J’ai longtemps été professeure au CHU de Casablanca et j‘ai quitté l’hôpital public en 2005. J’ai fait partie de cette fameuse opération «DVD» (départ volontaire). Elle nous avait été présentée comme un dégraissage, on avait compris que l’on n’avait plus besoin de nous ! A l’époque, j’étais cheffe du service de dermatologie avec trente-huit médecins dont huit enseignantes. Quand la première candidate est venue me déposer sa demande de départ, j’ai donné un avis favorable, considérant qu’elle était seule responsable de ses choix. Mais d’autres membres de mon équipe ont suivi, avec la même réaction de ma part. Je me suis alors interrogée sur la question parce que j’étais la plus ancienne du service. J’avais exercé vingt ans en tant que cheffe de service, après avoir pris la succession du Professeur Rollier.
Par ailleurs, ayant pratiqué quelques heures par semaines dans le secteur privé, quelques années après que feu SM Hassan II l’ait autorisé, et sachant que l’accès de plusieurs patients à l’hôpital, relevait du parcours du combattant, j’ai suivi le mouvement des partants. Au final, à la cérémonie de notre départ, nous étions plusieurs dizaines d’enseignants de la Faculté de médecine à quitter le CHU ! Mais vous savez, j’ai gardé de merveilleux souvenirs de mon expérience à l’hôpital, nous y avons réalisé des choses formidables !
Si vous le permettez, professeure, nous allons y revenir, pouvez-vous d’abord, nous raconter comment et pourquoi, avez-vous embrassé la carrière de médecin, et nous retracer votre cursus ?
Je fais partie d’une fratrie de neuf enfants, en septième position, et j’ai eu la chance de bénéficier d’un climat familial particulier. Mon père, qui était fonctionnaire, considérait que faire des études était primordial, je n’ai fait que suivre l’exemple de mes aînés. Il était algérien et ma mère marocaine, il avait eu la chance de faire des études dans son pays natal, Il avait une grande ouverture d’esprit, que partageait également mon entourage familial. Pour ce qui concerne la médecine, dès l’âge de cinq ans, je disais que je voulais être médecin. Et, à 17 ans, mon baccalauréat en poche, j’ai intégré la faculté de médecine à Rabat. Ma détermination était telle que, même mariée à dix-huit ans et mère de deux enfants par la suite, je n’en ai pas moins poursuivi mes études, présenté et réussi les concours.
Vous savez, je dois aussi ma réussite à la chance que j’ai eue de faire des rencontres, qui m’ont beaucoup aidé. La première d’entre elles, fut avec le Professeur Chkili, dans le service duquel j’effectuais un stage de neurologie en sixième année de médecine. C’est lui, qui m’avait incité à passer le concours d’internat. J’ai choisi de le faire à Casablanca et j’ai été reçue. Pour mon premier stage d’interne, j’ai intégré le service de pneumologie du Professeur Bartal. Pour le second, celui de gynécologie obstétrique, avec le Professeur Boutaleb. Puis, j’ai intégré pour six mois le service de réanimation médicale avec le Professeur Zaid, afin de me former aux situations urgentes et graves, en qualité de médecin.
Ces trois stages de six mois chacun, étaient éprouvants, nous étions une promotion de trois femmes internes au côté d’une trentaine d’hommes. Nous abattions un travail colossal parce qu’en 1978, l’hôpital Ibn Rochd, où nous exercions, était le seul établissement hospitalier, pour Casablanca et sa région. Je me suis beaucoup impliquée dans tous ces services, mais je n’arrivais pas à faire un choix définitif pour ma spécialité.
Puis, une occasion s’est présentée, en octobre 1979, celle d’un poste en dermatologie, dans un service dirigé par un médecin français qui exerçait aussi dans le secteur libéral, le Docteur Rollier. Le service comptait 76 lits, un seul interne et un chef de service qui venait de 7h50 à 10h du matin. Le Docteur Rollier, qui était une sommité mondiale, m’a épaulée faisant de moi sa fille spirituelle. Et sur ses conseils, je me suis inscrite en CES à Montpellier. Puis, j’ai fait un stage d’échange à l’hôpital Saint Louis à Paris chez le très renommé Professeur Antoine Puissant. J’ai toujours eu la chance d’avoir des mentors, d’être coachée par des personnes valeureuses, compétentes, simples et très humaines.
De là à devenir Professeure universitaire en médecine, quelles ont été les étapes suivantes de votre cursus ?
En fait, j’ai continué à passer d’autres concours pour grimper les échelons successifs en publiant en même temps plusieurs «titres et travaux». C’est ainsi que 4 ans après le concours d’internat, j’ai passé celui de maitrise d’assistanat, puis en 1987, le concours d’agrégation. Avec la précision que j’ai commencé à enseigner en tant que maître-assistante, bien avant l’agrégation. L’étape après l’agrégation a porté sur l’organisation, le développement et l’amélioration des conditions de travail du service de dermatologie, ce qui a peut-être permis de rendre cette spécialité plus attrayante en intéressant plus d’internes et de médecins en formation. A chacune des étapes de ce cursus long et difficile, l’équipe, de plus en plus étoffée, travaillait dans un climat de partage, de respect et de bienveillance !
Pouvez-vous nous parler du professeur Rollier, qui a marqué la dermatologie au Maroc ?
En effet, le professeur Rollier était un bourreau de travail, en tant que patron du service de dermatologie à l’hôpital. Il était mondialement connu pour ses travaux en léprologie et c’est grâce à lui que la lèpre a été quasiment éradiquée au Maroc. Il a passé quarante années au Maroc au service de la dermatologie.
Et son exemple m’a permis d’étendre le champ d’intervention de cette spécialité. J’ai contribué à introduire dans ce service la dermatologie chez l’enfant, l’allergologie, la pathologie de l’ongle et du cheveu et autres spécialités.
Au niveau international, l’équipe de Casablanca était connue parce que nos travaux étaient étoffés et exhaustifs.
Et notre réputation a permis de réaliser des études avec les plus grands laboratoires pharmaceutiques mondiaux, ce qui, au départ, n’était absolument pas acquis.
Professeure Lakhdar, vous avez été membre fondatrice de l’association Gildi, qui a beaucoup fait pour votre service de dermatologie, pouvez-vous nous expliquer comment ?
Vous savez que l’hôpital public au Maroc bénéficie beaucoup de l’apport associatif de la société civile pour certaines disciplines. Ce soutien vient en complément de l’action des pouvoirs publics, pour l’amélioration de la prise en charge des malades et du parcours de soins.
En ce qui concerne la dermatologie, en 2001, la création de la Société marocaine de Dermatologie pédiatrique et celle de l’association Gildi (ma peau) pour venir en aide aux personnes démunies et atteintes de maladies dermatologiques, ont aidé à l’amélioration des soins rendus aux malades du service. GILDI, en particulier, a d’abord pris à sa charge la rénovation du service dans son intégralité. Les partenaires financiers ou contributeurs étaient et sont toujours des entreprises comme le groupe Alliances, mais aussi des donateurs, personnes physiques. Après la rénovation, qui a duré six mois, l’association a commencé à prendre en charge les traitements des malades démunis, ce qu’elle continue à faire d’ailleurs aujourd’hui.
Revenons à la rupture que vous avez vécue avec votre départ de l’hôpital, comment avez-vous rebondi ?
J’ai eu la chance d’avoir oeuvré vingt-cinq années au CHU durant lesquelles je me suis épanouie tout en travaillant beaucoup. J’ai fait des rencontres admirables et je n’ai eu aucun regret lors de mon départ parce que j’ai considéré que j’avais fait ma part.
J’estimais par ailleurs qu’il fallait laisser la place aux autres d’autant que le service de dermatologie était très bien équipé, en matériels de pointe notamment.
Et, je n’ai volontairement pas voulu faire de transition. J’ai quitté le 31 août ; un mois après, j’étais déjà installée dans le cabinet que j’occupe encore aujourd’hui, parce que mes responsabilités envers mes patients étaient restées les mêmes. J’ai continué à travailler comme à l’hôpital !
Par ailleurs, j’ai gardé des liens très forts avec l’environnement scientifique, national et international. Je suis membre de la Société Marocaine de Dermatologie que j’ai présidée, membre fondateur et ex-présidente de la Société marocaine de dermatologie pédiatrique, membre du Collège des dermatologues privés de Casablanca, CODEPCA, membre de la Société française de Dermatologie et de l’Académie américaine de Dermatologie, AAD et j’assiste à de nombreux congrès chaque année.
Même en travaillant seule dans le secteur libéral, je me suis rendue compte que l’on pouvait prendre en charge des pathologies lourdes, complexes et parfois vitales (cancers de la peau, maladies auto-immunes, inflammatoires et infectieuses). Il ne faut surtout pas croire que la dermatologie n’est que la partie cosmétologie et médecine esthétique, de plus en plus médiatisées !
Pour terminer cet entretien, comment avez-vous vécu la survenance de la pandémie du nouveau coronavirus ?
Au moment du premier confinement, en mars dernier, je faisais, comme certains médecins, des consultations bénévoles à distance, par l’envoi de photos des patients et l’utilisation de WhatsApp. Et il faut savoir que le poids du Covid, a entraîné des conséquences pour les personnes immunodéprimées. J’ai eu à soigner plus de maladies infectieuses, de zona, etc.
D’ailleurs, la Covid-19 est d’abord et avant tout une maladie virale, comme la grippe, l’herpès ou le sida. Les traitements de ces maladies n’existent pas pour l’instant.
Il est essentiel que les gens aient confiance et acceptent la vaccination car c’est le seul moyen qui permettra d’en finir avec cette pandémie et toutes les conséquences gravissimes qu’elle entraîne en obtenant l’immunité collective de la population marocaine.
Entretien réalisé par Afifa Dassouli
Qualités et titres du Professeure Hakima Lakhdar:
-Professeure Spécialiste en Dermatologie Vénérologie
-Ancienne cheffe de service Dermatologie au CHU Ibn Rochd
-Ancienne enseignante à la Faculté de Médecine de Casablanca
-Ex-Présidente de la Société Marocaine de Dermatologie, SMD Ex-Présidente
-Fondatrice de la Société Marocaine de Dermatologie Pédiatrique Fondatrice de l’Association Gildi
-Médecin Dermatologue dans le secteur libéral à Casablanca