Avoir la vocation, opter pour le service public, assumer avec fierté un tel choix, voilà les idées fortes qui caractérisent la professeure Asmaa Quessar, hématologue.
Mais, son engagement ne se limite pas à observer avec honneur le Serment d’Hippocrate !
Elle s’est engagée avec détermination dans le soutien et l’assistance aux patients atteints de maladies graves, déstabilisantes à la fois pour ceux qui en souffrent, mais aussi leurs familles, en partenariat avec des associations de la société civile, comme AGIR, mais également avec des bénévoles, des bienfaiteurs, pour fournir l’aide et les moyens que l’État ne procure pas toujours.
Un parcours exceptionnel pour une Femme admirable !
La Nouvelle Tribune :
Professeure Asmaa Quessar, à l’occasion du 8 mars, jour dédié à la Femme, je me voue chaque année à mettre en avant la Femme marocaine et notamment celles dont il faut souligner les mérites et vous en faites incontestablement partie !
En tant que professeur en hématologie, pouvez-vous exposer à nos lecteurs votre parcours personnel ?
Mme Asmaa Quessar :
Tout d’abord, je tiens à vous remercier pour votre intérêt et pour ce privilège, me considérer parmi les porte-paroles de la gente féminine marocaine pour le 8 mars est un honneur.
Pour répondre à votre question, je suis en effet professeur d’hématologie à la Faculté de Médecine et de Pharmacie de Casablanca. J’y suis arrivée après un long parcours.
Je suis fière d’avoir fait ce parcours dans l’école marocaine, dans ses 2 composantes, publique et privée. J’avais fait le primaire dans une école privée, Sidi Mohamed Ben Youssef, (devenue par la suite groupe scolaire Bennis). Puis, tout le secondaire au lycée Al Khansa, de l’observation jusqu’au bac.
Enfin, en 1975, j’ai intégré la Faculté de Médecine et de Pharmacie de Casablanca que je n’ai plus quittée depuis.
En optant pour une carrière universitaire, je suis devenue membre du corps enseignant de la faculté et j’y ai occupé le poste de Vice-Doyen, chargée de la Recherche entre 2009 et 2013.
Si vous avez choisi la vocation de médecin, comment et pourquoi cette spécialisation en hématologie ?
J’aimais beaucoup les sciences naturelles, les sciences de la vie, j’avais de bonnes notes et ainsi le chemin était tout tracé.
Mes parents m’encourageaient à faire des études en Pharmacie, mais je n’aimais pas le côté « ‘officine ».
Je devais au départ faire mes études en France, à Paris V où je m’étais inscrite et j’avais même obtenu une bourse.
Seulement, à quelques semaines de la rentrée universitaire, le gouvernement marocain avait annoncé l’ouverture de la Faculté de Médecine et de Pharmacie de Casablanca, FMPC.
C’était une aubaine pour mes parents qui ont imposé leur veto à mon projet d’étudier en France et je suis restée au Maroc !
J’ai choisi l’hématologie tout à fait par hasard. Je devais faire carrière en Médecine Interne et j’avais pratiquement accompli tout le cursus. Mais deux de mes amis, pionniers de l’hématologie nationale, m’avaient incitée à opter pour l’hémato.
J’avais en fait choisi plutôt une équipe qu’une spécialité et je leur dois ma carrière en Hématologie
L’hôpital demande par définition plus de sacrifices dans l’exercice de votre profession, pouvez-vous expliciter les raisons de votre décision d’y exercer ?
Je ne considère pas mon dévouement comme un sacrifice, c’est un choix !
Que je sache, personne ne travaille gratuitement à l’hôpital, en optant pour l’hôpital, j’ai assumé !
En fait, je ne travaille pas dans un hôpital, je travaille dans un centre hospitalo-universitaire.
Je considère que c’est une excellente école. Je dirais même que c’est la meilleure école de la vie et pour apprendre son métier.
Je suppose que vous entendez par « sacrifice », le salaire, les moyens, etc., je considère toutefois que les avantages sont nettement supérieurs, ne serait-ce que pour le
travail pluridisciplinaire.
On sait que vous vous battez non seulement pour guérir vos patients, mais pour leur faciliter le parcours de malades face à un fléau qu’est le cancer, comment ?
L’annonce du cancer à une famille, à un patient, est une catastrophe à laquelle personne ne s’attend, personne n’est préparé. Ajouté à cela, bien souvent, les situations des familles sont assez précaires et la maladie vient rompre cet équilibre !
Je pense que pour un médecin, « se battre » pourrait avoir deux sens, se battre pour réunir les conditions optimales, sub-optimales pour traiter les patients et lancer le défi à la maladie cancéreuse pour la vaincre. On néglige souvent le ressenti de l’équipe soignante, qui se bat aussi et qui nécessite beaucoup de soutien.
Pouvez-vous partager avec nous la situation des malades concernés ? Le manque de moyens de l’hôpital en général et celui où vous exercez en particulier, et comment vous faites face à l’obligation de recourir à d’autres moyens pour procurer les médicaments à vos malades ? Est ce que la société civile et les laboratoires vous aident ?
Vous voulez dire le manque de médicaments dans le pays? C’est un grand, grand, grand problème aujourd’hui, ressenti dans tous les établissements sanitaires.
Ainsi, il est insensé de ne pas trouver l’eau bicarbonatée pour les perfusions !
Ce n’est peut-être pas le cadre pour en parler, en interview, mais cela mériterait bien des journées de réflexions et de travail pour trouver les solutions idoines. Votre rôle, en tant que titre de presse est considérable également !
La société civile a joué, joue et jouera, je suis certaine, un rôle prépondérant en matière de santé et de cancer parti-culièrement.
Le chemin parcouru et beaucoup d’acquis ont été obtenus grâce à l’apport des ONG. Les exemples sont très nombreux.
Je considère même que la société civile peut contribuer davantage à l’amélioration de notre système de santé. La santé a un prix et il est de plus en plus onéreux.
Professeure Quessar, y a-t-il, selon vous, une réelle conscience de la société civile ?
Il me semble que le rôle de la société civile et des ONG est considérable. Il y a une dynamique qui se met en place, une prise de conscience fort appréciable dans notre pays.
L’apport de la société civile doit être considéré comme une valeur ajoutée, doit être plus structuré et venir en complément des programmes du Ministère de la Santé et des hôpitaux.
Plusieurs pays opèrent avec la société civile comme maillon incontournable de la chaine de soins. C’est le cas pour notre service avec AGIR.
Depuis 1983, cette association de soutien aux malades du sang et enfants cancéreux nous accompagne.
Elle joue un rôle complémentaire de l’activité de l’hôpital et des professionnels.
AGIR apporte un soutien, permet d’améliorer les conditions de travail, (mise à niveau des locaux et renforcement
de l’équipe soignante par le recrutement de ressources humaines), et assure l’achat de médicaments non disponibles à l’hôpital.
Le programme de greffes de cellules souches hématopoïétiques où greffes de moelle avait été initié, pour la première fois au Maroc en 2004, grâce à la contribution de l’association AGIR.
Je ne pense pas que l’on puisse travailler sans la contribution de la société civile !
C’est une occasion pour rendre hommage à tous les membres d’AGIR, mais également aux nombreux bienfaiteurs, bénévoles …, à la société civile pour son apport précieux dans le traitement des patients au quotidien.
Une plateforme d’accompagnement des malades est en projet, sous votre supervision.
Quels en sont le contenu et les objectifs ? De qui émane cette initiative, qui la finance et comment entrera-t-elle en application ?
Le flux des patients étant important et ces derniers ont la particularité d’être fragiles de part leur maladie.
Ces patients nécessitent une surveillance étroite.
Notre projet avec Melle Yasmina Benchekroun, qui est ingénieur, était d’accompagner ces patients à distance via une plateforme.
Cet outil permet au malade de garder le contact 24h/24h avec l’équipe du service (coordinatrice et un médecin de garde) via son smartphone.
Ainsi, beaucoup de conseils, de soins, sont prodigués sans déplacement des patients et ne viennent à l’hôpital que ceux dont les soins ne peuvent se faire à domicile.
Ce projet se base sur l’importance de l’éducation thérapeutique des patients car « un patient averti sera mieux traité » !
Selon vous Professeure, la politique du Ministère de la Santé est-elle en bonne voie en matière de réformes et de prise en charge des malades ?
Indiscutablement, la politique du Ministère de la Santé est en marche. Peut-être pas avec la célérité que le pays et les attentes nécessitent.
Maintenant, il faudrait aussi que le ministère ait l’intelligence de concilier entre ses différents secteurs, privé et public, pour prendre le même train, tous ensemble dans Al Bouraq !
Quant au rôle des professionnels, il est incontournable pour le choix de la médecine de demain au Maroc.