A l’heure où BMCE Bank Of Africa vient d’annoncer une augmentation de capital de 6 milliards de dirhams avec l’élargissement de son tour de table à un nouvel actionnaire étranger, un constat s’impose :
Les trois plus grands banques marocaines que sont Attijariwafa Bank, la BCP et BMCE Bank Of Africa, détiennent un capital social qui tourne autour de 2 milliards de dirhams chacune quand leurs capitaux propres se comptent en dizaines de milliards de dirhams.
En effet, AWB a un capital social de 2,1 Mrdh et des capitaux propres de 50,5 Mrdh, BCP 1,8 Mrdh de capital social et 41,5 Mrdh de capitaux propres et BMCE Bank 1,79 Mrdh ce capital social et 23,8 Mrdh de capitaux propres. Cette disproportion générale entre ces deux indicateurs de santé financière des banques impose une mise au point de grande importance :
La notion des fonds propres est centrale et fondamentale pour une banque ! C’est sur la base de ses fonds propres qu’elle va bâtir sa capacité à octroyer des crédits, sa capacité à absorber les pertes, sa capacité de solvabilité et sa capacité de liquidité.
En effet, les fonds propres d’une banque traduisent son dernier rempart contre toute détérioration de sa situation financière et en même temps la base de sa sécurisation.
Bâle et ses déclinaisons
Cette même notion a d’ailleurs beaucoup évolué à travers le temps et les différents comités de Bâle I, II et III et continuera dans ce sens puisque l’on parle déjà de Bâle IV.
L’objectif réglementaire étant que celle-ci évolue pour que les fonds propres se restructurent afin de remplir leur fonction première, celle de constituer la digue qui va permettre à une banque de résister à tous les chocs.
Bien sûr, la banque centrale a pour mission première de veiller à ce que les fonds propres des banques marocaines respectent la réglementation en la matière et les normes internationales, pour faire face à toute éventuelle défaillance.
La règle veut que les fonds propres des banques se constituent du capital, des réserves et reports à nouveau et des instruments de financement que sont les obligations perpétuelles et les dettes subordonnées, lesquelles sont considérées comme des quasi fonds propres à concurrence de 50% des fonds propres.
Et pour cause, les banques ne peuvent pas les rembourser sans l’accord de la Banque centrale.
Ce qui explique pourquoi les taux d’intérêt rémunérateurs de ces instruments de financement bancaire sont beaucoup plus élevés que ceux des obligations normales. C’est en connaissance de ce risque que les investisseurs optent pour cette catégorie d’obligations à un taux de 5 à 6% quand les normales sont à peine à 3,5% ou 4% sur le moyen terme.
Ils prennent le risque que demain, BAM constatant une défaillance, interdise à une banque le remboursement de son émission subordonnée et qu’ils ne pourront pas récupérer le capital, même s’ils continueront à toucher leurs intérêts.
Ou encore, dans le cas des obligations perpétuelles, que celles-ci soient transformées en capital.
Il faut retenir que ces dettes de refinancement bancaire sont assimilées au niveau international à des fonds propres.
Leur régime juridique est diamétralement opposé aux obligations normales.
C’est pour ces raisons précises que les banques raisonnent en termes de capitaux propres essentiellement dont le capital social n’est plus qu’un élément parmi d’autres.
Au Maroc, les capitaux propres des banques se sont beaucoup renforcés pour se conformer aux règles de Bâle. Après une hausse de 4,3% en 2016, les fonds propres des banques ont vu leur rythme de progression s’accélérer à 6,1% du fait des reports d’une partie des résultats dégagés.
Ils ont totalisé près de 114 milliards de dirhams, soit une part des ressources, stable de 9,1%.
Une banque ne suit pas le régime d’une société anonyme où le capital est le dernier rempart du fait de la perpétuation des dettes subordonnées aux conditions de BAM.
C’est pourquoi il y a souvent une disproportion entre le capital qui reste faible par rapport aux émissions obligataires qui, elles aussi, sécurisent autant la santé financière d’une banque.
Cependant, les réglementations de Bâle jugeant la santé des banques sur leurs fonds propres a introduit dès Bâle II une distinction entre ceux de première catégorie et deuxième catégorie.
Puis Bâle III a introduit le Tier 1 se composant du capital et des réserves comme noyau dur des fonds propres pour que les investisseurs puissent savoir quelle est la part des fonds propres appartenant intégralement à la banque et ceux qui font l’objet de ses refinancements.
Et le ratio de solvabilité imposé par BAM, de 12%, traduit la capacité de la banque à octroyer des crédits en liaison avec ses fonds propres.
C’est un effet multiplicateur car chaque fois qu’une banque accorde un crédit de 100, il faut qu’elle mette 12 de sa poche.
Le rôle de la Banque centrale
De plus Bank Al-Maghrib a la latitude d’augmenter ce dernier pour certaines banques comme coussin contra-cyclique comme vient de le faire la BCE de peur d’un retournement de conjoncture auquel il leur faut se préparer.
Au Maroc, BAM juge aussi au cas par cas. Si une banque vient la voire pour une acquisition à l’étranger ou engager un gros budget d’investissement pour le développement d’agences par exemple, elle va jauger ses fonds propres et se demander si elle a assez de fonds propres pour les financer, sachant que les banques marocaines sont gérées par des capitaux propres tout justes conformes à la réglementation.
C’est certainement le cas de BMCE Bank Of Africa aujourd’hui qui a dans le pipe des projets d’importance.
L’augmentation de capital va intervenir pour disposer des fonds propres additionnels destinés à financer sa croissance, nationale et internationale.
Il est patent donc que les banques marocaines connaissent un dilemme, soit disposer de capitaux propres tout juste conformes aux exigences réglementaires, soit disposer d’un matelas confortable pour conforter leur résilience contre les chocs extérieurs.
Et, à ce jour, aucune d’elles n’a subi un choc généré par leurs externalisations en Afrique où les risques sont cependant multiples, politiques, financiers, et autres… Normalement, la Banque centrale est censée apprécier le niveau des fonds propres des banques et réagir à leur moindre petite insuffisance.
Elle adresse un courrier établissant un tel constat et demande un calendrier stipulant les engagements de ladite banque en termes d’augmentations de capital.
Il s’agit donc d’un processus qui s’étale sur une période allant d’une à deux années pour concrétiser les corrections qui s’imposent.
Certes, la Banque centrale accompagne les banques qui sont dans de telles situations, mais les banques marocaines sont devenues des acteurs internationaux du fait de leurs implantations en Afrique, en Europe, etc., et se plient à la réglementation de leurs pays d’accueil.
D’où les exigences réglementaires en phase avec la doctrine internationale.
L’insuffisance des fonds propres est un problème récurrent au sein de notre système bancaire qui oblige par une recapitalisation les banques à se renforcer.
La dernière augmentation de capital de BMCE était intervenue en 2012 pour 75,MDh après deux souscriptions en 2010 de 25 et 100 MDh.
C’est aussi le cas d’Attijariwafa Bank qui vient de procéder à une augmentation de capital en décembre 2018 par une souscription en numéraires sans droits préférentiels de plus de 63 MDh, les précédentes datant de 2013 pour 23 MDh et 2012 avec deux souscriptions en mai et juillet respectivement de 21 et 58 MDh.
Enfin, pour la Banque Centrale Populaire, la dernière augmentation de capital s’est faite en décembre 2015 pour 91 MDh.nLes précédentes étaient intervenues en 2012, en juin pour 82 MDh et en décembre de 86 MDh.
Il ressort de tout cela que malgré que ces banques procèdent régulièrement à des augmentations de capital par souscriptions en numéraires ou incorporations de réserves, la part du capital dans les capitaux propres reste faible quand ces derniers se comptent en dizaines de milliards de dirhams!
Afifa Dassouli