
C’est objectif, le Maroc connait une dynamique de développement indéniable depuis quelques années déjà. Les réformes structurelles, les infrastructures, l’industrialisation renouvelée, le soft power qui augmente la cote de popularité mondiale du Maroc depuis la Coupe du Monde au Qatar, les arrivées de touristes en conséquence, les échéances dont le pays sera hôte en 2025 puis en 2030, le satisfecit régulièrement renouvelée des partenaires et instances internationaux ; tout cela indique une tendance positive et prometteuse pour le Royaume dont les bénéficiaires sont directement ou indirectement les Marocains. Tout ceci est indéniable. Mais, c’est une lame de fond qui peine encore à être visible pour nombre de nos concitoyens, encore plus pendant des échéances qui pèsent lourdement sur leurs dépenses comme le mois sacré de Ramadan.
Pourtant, le prix de la viande a fortement baissé après l’annonce de l’annulation des festivités de l’Aid El Kébir, et les pluies récentes tombent à pic pour soulager à la fois le stress hydrique et les esprits. Mais cela ne suffit pas à épancher le problème, parce que pendant ce mois, la consommation et donc la demande explosent, avec pour conséquence directe un impact à la hausse des prix du côté de l’offre, souvent entre les mains d’intermédiaires peu vertueux. L’État régule, contrôle et sévit, mais autant que possible, tant les circuits sont nombreux et tant la transaction finale du vendeur à l’acheteur est difficilement contrôlable. D’autant que les prix ne sont pas forcément ou systématiquement affichés.
Ce qui est le plus inquiétant, ce n’est pas la frénésie consumériste, mais le fait que pour beaucoup de nos compatriotes, ce sont les biens de première nécessité qui sont concernés. Ce sont les villes périphériques, le monde rural, les villages, qui trinquent même quand il pleut. Les infrastructures y sont moins développées et les pluies torrentielles ont un impact terrible sur un quotidien déjà difficile. D’ailleurs, les images de la province d’Al Haouz, qui semble loin d’être reconstruite, témoignent d’une réalité différente et bien moins glamour.
Alors, oui, la capillarité du développement, de la croissance, des opportunités, prend du temps à s’étendre au bénéfice de tous. Oui, il y a des choses qui sont faites pour accélérer le mouvement, comme par exemple la réforme de la régionalisation. Mais, la temporalité est souvent longue, pas de quoi alléger les portemonnaies d’ici demain.
En attendant, les réseaux sociaux se font le relais de ces difficultés, souvent de manière tronquée et sans contexte, mais les témoignages de mécontentement sont nombreux, de ceux qui peinent à payer leurs traites autant que de ceux qui se plaignent des prix des produits alimentaires de base. Le coût de la vie est devenu une préoccupation majeure de nos concitoyens, si ce n’est la première. Il faut en prendre la mesure.
Alors que faire face à cette dichotomie pour ne pas dire ce schisme qui semble parfois un trou béant entre le Maroc qui bouge et celui qui peine ? L’État peut-il mobiliser plus de moyens pour accélérer ses réformes, dont celle sociale en tête ? Le Gouvernement pourrait-il être plus rassurant, plus présent auprès de l’opinion publique ? A quelques encablures à peine de la prochaine échéance électorale en 2026, rien n’est moins sûr quand on connait la propension à faire de la politique politicienne dans ce contexte. Surtout que par ailleurs, il n’est pas improbable avec ce qu’il se passe à l’international, que des facteurs exogènes (re)viennent s’ajouter à la pression économique à tendance inflationniste que connait le pays, et servent de boucs émissaires aux bilans politiques à venir.
Heureusement, il nous reste une réponse sociétale efficace et solidement ancrée dans nos traditions communes face à l’adversité que traverse certains, sous nos yeux. La solidarité. Prendre conscience des difficultés des autres et contribuer à les atténuer quelque peu par une aide, qu’elle soit financière, alimentaire, utilitaire, au-delà même, et surtout, du mois de Ramadan, là est la vraie mesure des valeurs de notre société. Pour toutes les raisons précitées, c’est le moment d’en faire plus ou de continuer à faire. Pour apporter sa pierre à l’édifice sans en retirer une en échange.
Zouhair Yata