
Dans un livre publié en décembre 2020 sous l’égide de la Direction des Études et des Prévisions financières, DEPF, en partenariat avec le think tank « The Policy Center for the New South », PCNS, trois éminents économistes, MM. Abdelali Attioui, Bernard Billaudot et Adnane Chafiq, se sont intéressés à une thématique majeure :
« Les implications du mode d’insertion du Maroc dans l’économie mondiale sur sa croissance et sur son développement : passé et avenir ».
Ce livre, aussi documenté qu’exhaustif, permet de comprendre les avatars, échecs et demi-réussites de la politique économique suivie depuis près de quarante années, mais séquencés en deux périodes, 1982-1998 et 1998-2018, ainsi que les projections de ces chercheurs pour l’avenir.
Et c’est sans doute parce qu’il présente nombre de constats et propositions, sinon iconoclastes, du moins parfois dérangeants, que le Ministère de l’Économie et des Finances l’a parrainé sans faire siennes toutes les analyses, laissant aux auteurs la responsabilité de leurs propos.
Pour les besoins de cette présentation humblement journalistique, on s’intéressera à la seconde période étudiée, 1998-2018, dont la date de départ marque la fin du Programme d’Ajustement Structurel, appliqué à notre pays sous la férule du Fonds Monétaire International entre à partir de 1982 et qui traduisait l’abandon d’une stratégie de développement autocentrée. Celle-ci était marquée notamment par un fort endettement intérieur et extérieur engagé dès le milieu de la décennie 70 et que le Royaume ne pouvait plus assumer à partir de l’entame des années 80.
1998-2018, c’est l’expression du choix assumé du libéralisme et de l’ouverture à l’international, avec une moyenne de croissance du PIB sur ces dix années de 5,1% l’an, malgré la survenance en 2008 de la crise économique et financière mondiale consécutive à celle des subprimes aux États-Unis.
En effet, cette crise internationale, qui a touché de plein fouet notre principal partenaire, l’Union européenne, a eu pour conséquence la réduction drastique de la demande adressée au Maroc par nos clients européens, se traduisant notamment par une baisse conséquente du PIB entre 2008 et 2013, dont le rythme moyen annuel s’est établi sur cette période à 3,2%.
Et si la croissance est revenue en Europe dès 2013, si la demande adressée à notre pays s’est redressée, si le tourisme est reparti de façon plus que notable, le PIB national n’a jamais plus retrouvé ses performances passées, s’établissant, entre 2013 et 2018, autour d’une moyenne annuelle de 2,8% seulement.
Pourtant, sur ce long momentum, le Royaume avait développé une nouvelle stratégie industrielle axée sur « les nouveaux métiers du Maroc », notamment dans les industries mécaniques, (aéronautique, automobile) et électriques, qui a réellement porté ses fruits en termes d’exportations, avec un bémol d’importance, l’absence de progression de la part de l’industrie manufacturière, (textile), dans l’ensemble des activités marchandes en termes de valeur ajoutée.
Et les auteurs d’établir trois constats qui sont bien évidemment valables en ce début de 2021, mais aussi sur la période non étudiée par l’ouvrage, 2019 et 2020 : – Le rythme de croissance tendanciel du PIB marchand ne s’est pas nettement accéléré dans le cadre du choix de l’ouverture.
– Après 2013, une fois enregistrés les effets négatifs sur l’économie marocaine de la « crise de 2008 » (et ses suites en UE), l’activité marchande non agricole n’a pas connu une nette reprise se poursuivant à moyen terme.
– Il n’y a pas eu globalement une dynamique d’industrialisation.
Cela signifie, clairement, l’échec de la politique officielle de développement et d’industrialisation notamment axée sur l’ouverture à l’international, la stratégie des accords de libre-échange, l’insuffisance des effets des délocalisations industrielles implantées dans notre pays malgré leur multiplication à la faveur de la stratégie des zones franches où les taux d’intégration sont restés en deçà de nos attentes.
Bien évidemment, la conséquence en a été la régression du PIB annuel se traduisant par sur toute la période étudiée et jusqu’à aujourd’hui en termes de faiblesse de création de richesses génératrices d’emplois, de bas niveau des emplois crées, mais aussi d’incidences directes sur les Budgets publics, notamment ceux dédiés à l’Éducation et à la Santé.
Parmi les facteurs qui expliquent cette régression ou, du moins, stagnation du développement économique et cette insuffisance de la croissance, on citera notamment une sous-industrialisation dépendante et la persistance d’un mode de production domestique ou traditionnel, c’est-à-dire différent des modes industriel et marchand, et axé sur la réciprocité et non l’échange.
On arrêtera là l’évocation de cet ouvrage si riche en formulant l’espoir que ses analyses pertinentes et ses conclusions probantes seront parvenues en temps voulu à nos éminents experts qui composent la Commission Spéciale pour un nouveau Modèle de Développement et qu’ils auront su en tirer la substantifique moelle avant la présentation officielle à SM le Roi de leurs conclusions finales dans quelques semaines.
Fahd YATA