Politique : Quand Benkirane rallume la Lampe…
Une grille de mots croisés générée à partir de cet articles.
Dans la saga Harry Potter, Voldemort, réduit à une ombre sans corps, parvient malgré tout à reprendre vie, porté par un mélange d’obstination, de croyances anciennes et de fidélités souterraines. Le PJD n’a peut-être pas la noirceur du Seigneur des Ténèbres, mais la comparaison vaut sur un point précis, malgré l’effondrement électoral de 2021, malgré treize sièges qui avaient tout d’une épitaphe politique après deux législatures consécutives, le parti de la Lampe tente aujourd’hui de se reconstituer, mèche par mèche, discours après discours. À l’approche de 2026, la flamme vacillante n’est plus totalement éteinte. Elle crépite, elle clignote, elle cherche à reprendre sa place dans la nuit politique marocaine.
Ce retour a bien sûr un visage, un style et une méthode en la personne de Abdelilah Benkirane. Et, il n’a rien changé parce qu’on ne change pas une équipe qui gagne. Le PJD, quand il veut briller, revient à son Zaïm, loquace, provocateur, théâtral, toujours excessif, mais rarement inaudible. Benkirane, qui n’a qu’un seul objectif, celui d’occuper le champ médiatique quel qu’en soit le prix, sait que le bruit vaut mieux que le silence, que la polémique offre plus d’oxygène qu’un programme, et que provoquer la réaction des adversaires est déjà une victoire symbolique. C’est la vieille tactique du contexte saturé en faisant en sorte que toute la scène regarde dans sa direction, même pour le critiquer.
Ainsi, depuis deux mois, il enchaîne les saillies avec une constance presque mécanique. Une fois contre le ministre de la Justice, qu’il accuse de manquements éthiques et fiscaux ; une autre contre le chef du gouvernement, sommé de démontrer qu’on peut gouverner autrement que par la technocratie et les réseaux d’affaires ; puis contre Laftit, accusé d’avoir « fait perdre » des sièges au PJD en 2021, comme si les urnes avaient été truquées contre la Lampe. À chaque fois, le procédé est le même, déplacer la question de la performance politique vers celle de la probité personnelle, pour sous-entendre que la gouvernance actuelle souffre d’un déficit moral majeur, et en déduire que le PJD, malgré ses propres angles morts, représenterait une alternative plus saine et plus juste.
Alors cette stratégie n’est peut-être pas subtile, mais elle est cohérente et efficace. Benkirane recompose le récit de son parti autour d’un axe simple, les autres ont échoué, faute d’intégrité et faute de vision, eux ont péché par naïveté mais pas par corruption, par maladresse mais pas par duplicité. C’est un récit partiel, contestable, complètement déconnecté de la mémoire collective, mais qui fait mouche auprès de sa base qui n’a pas disparu. L’effondrement de 2021 n’est plus une sanction électorale, mais une anomalie orchestrée par l’appareil administratif, un moment d’égarement national qu’il s’agit de réparer. En politique, se présenter en victime injustement battue vaut parfois plus que revendiquer un bilan.
Cette rhétorique fonctionne d’autant mieux que le terrain lui est favorable dans un contexte où le gouvernement enchaine la gestion des crises sociales, notamment la colère de la jeunesse des mois passés, qui a ouvert une brèche dans laquelle Benkirane s’engouffre allègrement. Là où l’exécutif parle chiffres et stratégies, il parle sentiments, dignité, valeurs, famille, moralité publique. Là où les ministres s’excusent avec prudence, il exige des démissions en salve. Là où le gouvernement agit en techniciens, il se présente en tribun, même sans arguments.
Bien entendu, cette résurgence de la Lampe n’efface ni les paradoxes ni les incohérences. Mais l’exercice d’équilibrisme est sa spécialité, le curseur n’est jamais poussé trop loin. Le PJD joue à la fois la prudence institutionnelle et la contestation morale. Il soutient la jeunesse quand elle proteste, puis l’enjoint à rentrer chez elle pour éviter le chaos. Il dénonce l’intervention de l’administration dans les scrutins, mais continue de rappeler son attachement absolu à la monarchie exécutive. Il critique la gouvernance économique tout en évitant soigneusement de proposer une alternative crédible.
Mais qu’on le veuille ou non, l’opération de réanimation est en cours. La Lampe, que l’on croyait réduite à une veilleuse, retrouve une intensité. Benkirane occupe à nouveau l’espace, provoque les ministres, réveille les réseaux militants, polarise les débats. Ses critiques agacent les uns et irritent les autres, mais elles rappellent au pays que le PJD n’a pas dit son dernier mot. Et dans un paysage politique où le vide narratif est souvent plus présent que la clarté, une petite lumière peut raviver une flamme incandescente, à nos risques et périls.
La question désormais n’est donc pas de savoir si Benkirane fait polémique puisqu’il en vit. Elle est de savoir si cette stratégie suffira pour transformer une résurrection médiatique en renaissance électorale. Voldemort avait ses Horcruxes, le PJD, lui, n’a peut-être que son Zaïm, mais cela pourrait bien suffire.
Zouhair Yata
