Une nouvelle et violente polémique anime depuis plusieurs jours la sphère des réseaux sociaux, la scène politique et les milieux intellectuels.
La cause de tout ce vacarme, accompagné très souvent de déclarations péremptoires, d’insultes proférées sur les pages Facebook et autres Instagram, de déclarations du Chef du gouvernement ou d’assertions assénées par certaines figures de la société civile, n’est autre qu’une petite crêpe, appelée communément « baghrir ».
Ce baghrir donc, à son corps défendant bien certainement, a échoué non dans l’assiette d’un enfant se réjouissant de consommer cette crêpe bien rissolée au miel, mais dans un manuel d’enseignement distribué par l’Éducation Nationale et destiné aux enfants en classe de 2è année Primaire.
Et voilà donc nos doctes défenseurs de la pureté de la lange arabe de s’élever contre cette intrusion, laquelle d’ailleurs, dans le manuel en question, est accompagnée de deux de ses consœurs « pâtissières », la « Briouate et la Grhiba »…
Face à ces « gardiens du temple », les promoteurs de la Darija, ceux qui rêvent de remplacer l’Arabe classique par un dialecte certes authentiquement marocain, mais dont les variantes sont aussi nombreuses que nos régions, y sont allés de leurs arguments, au nom de l‘adaptation à nos spécificités locales et l’enrichissement d’une langue qui ne serait pas celle qu’utilisent au quotidien nos concitoyens !
Alors, en cette affaire, qui est dans l’erreur, qui dans la vérité ?
On constatera, tout d’abord, que cette question ne mérite sans doute pas d’enflammer à si haut point les esprits et que les arguments échangés doivent rester de bon niveau, en respectant les idées d’autrui, afin que le débat soit mené entre personnes intelligentes et éduquées.
Car, faire un fromage pour une crêpe, si l’on ose dire, n’est pas à proprement parler une question primordiale, sacrée et cela ne relève aucunement d’une volonté cachée de certains de massacrer la langue arabe telle qu’elle est enseignée depuis des lustres dans nos écoles, collèges, lycées et facultés.
Tout au plus s’agit-il d’une maladresse de quelque responsable d’édition, avalisée ou ignorée par les inspecteurs qui ont à charge le contrôle du contenu des livres scolaires.
L’irruption de termes relevant de la Darija et consacrant, en tout bien tout honneur, certains délicieux gâteaux de notre pâtisserie nationale, (encore qu’ils soient appelés différemment d’une région à l’autre du Maroc), ne méritait certainement pas cette levée de boucliers de nos puristes qui crient au scandale et à la dénaturation de l’Arabe dit classique.
Et, pour rester dans l’esprit de cette polémique qui n’aurait jamais dû atteindre une telle ampleur, l’on pourrait traduire en français un proverbe bien de chez nous, « les funérailles battent leur plein et l’on enterre un rat » !
Car, au demeurant, la question n’est pas tant d’insérer quelques mots de Darija pour des manuels destinés à de jeunes enfants, et encore moins de vouloir insidieusement remplacer l’une de nos deux langues officielles (avec l’Amazigh) par un dialecte.
La seule problématique qui mérite débat est celle de procéder à une approche innovante et moderne de l’apprentissage de notre langue arabe.
En fait, ce n’est donc pas une question de « baghrir », mais plutôt d’outils pédagogiques, de méthodes d’enseignement, de formation des formateurs et de mise à disposition des enfants d’éléments cognitifs à la fois modernes, facilement assimilables, basés bien évidemment sur le respect des fondamentaux linguistiques de l’Arabe.
Mais, en respectant tout cela, pourquoi interdire et s’interdire quelques intrusions mineures et non iconoclastes !
Comme chacun sait, en effet, une langue, pour rester vivante, s’enrichit chaque jour d’apports étrangers sans que l’on songe à rejeter des néologismes qu’imposent les évolutions sociétales, l’ouverture à autrui, les nouvelles technologies, etc.
Les langues française, anglaise et d’autres encore, acceptent ces évolutions et apports. Certaines, même, connaissent des processus de simplifications grammaticale, orthographique, voire syntaxique, sans que les débats que ces changements induisent ne se traduisent par des schismes, des anathèmes, des postures outrancières.
Or, rares sont ceux aujourd’hui qui nient la gravité de la crise qui affecte notre système d’enseignement public.
La question posée n’est pas celle d’un petit texte dans un petit manuel pour une petite immixtion d’éléments linguistiques tirés de la Darija.
L’affaire est autrement grave et préoccupante et il est triste de constater que les esprits qui s’agitent sur le baghrir ne regardent que par le petit bout de la lorgnette.
S’il n’est pas et n’a jamais été à l’ordre du jour officiellement d’appauvrir ou de dénaturer la langue arabe, dans son enseignement le plus correct, il est encore plus déplacé de croire au complot contre notre langue nationale qui est et reste principale, primordiale, première.
La Darija dans la rue, l’Arabe dans les livres et manuels, l’Amazigh reconnu et mis à sa légitime place, en une altérité parfaite avec la précédente, tandis que l’ouverture sur le monde et notre environnement commandent également de faire une belle place aux langues étrangères.
Voilà ce qui devrait, humblement pensé et dit, être la règle chez nous.
Et une simple crêpe n’aurait jamais dû faire monter la pâte à diatribes aussi haut !
Fahd YATA