La jeune Nada Aggadi
Nada Aggadi est élève de terminale S au Lycée Lyautey de Casablanca. Malgré son jeune âge, elle cumule déjà une expérience conséquente dans l’associatif, ayant travaillé comme assistante de garderie à la Maison de l’Enfant, ou encore auprès d’une association soutenant les enfants atteints d’un handicap mental. Sa technique pour créer un contact avec les enfants ? « J’utilise l’art pour former des liens avec eux », explique-t-elle. C’est ainsi qu’elle s’est intéressée à la bande dessinée (elle a participé au Festival de Casablanca), le théâtre (elle a écrit deux pièces), ou encore la poésie.
Dans le cadre de ses cours, elle devait écrire un poème sur la ville de Casablanca. Et plutôt que d’en aborder le côté architectural ou historique, elle a préféré se concentrer sur les Casablancais eux-mêmes. « Je pense que ce sont ses habitants qui font une ville, et pas ses monuments », avance Nada. Un choix évident, quand on sait que la jeune fille compte poursuivre des études de psychologie et de neuroscience aux Etats-Unis. Son poème, intitulé « Les Cinq Piliers de Casablanca », dépeint un tableau sombre des Casablancais et de leurs travers, dans une ville où se mêlent incivisme et piété, misère et culture du luxe, et où les klaxons rythment les journées de ses habitants. Une œuvre d’une maturité certaine, avec une approche intelligente du sujet, et qui mérite d’être découverte.
SB
Les Cinq Piliers de Casablanca
Boulevard d’Anfa, au milieu de voitures rutilantes,
Déambulent des mendiants, des handicapés, aussi des enfants cherchant à attirer l’attention d’âmes pures.
Tandis qu’ils tentent de vendre mouchoirs, porte-clés et contrefaçons.
Leurs plaintes et gémissements se fondent dans la mélodie assourdissante des klaxons,
Les Casablancais habitués à les côtoyer, passent sans un regard,
Les plus compatissants marmonnent nonchalamment « Que Dieu vous donne »
Puis soupirent tristement, illusion d’un profond désenchantement.
Les autres, se donnent bonne conscience en se rappelant leur Zakat annuel.
À Casablanca, le mois de ramadan est un moment de paix et de manifestation de foi.
Ainsi avant la rupture du jeûne, nombreuses sont les insultes
Et les joutes verbales, délicatement échangées entre les automobilistes en nage.
Les femmes quant à elles, privées de maquillage, se consolent à l’idée d’une perte de poids par le régime divin,
N’oublions pas les plus malicieux, à l’horloge interne désynchronisée, qui se réveillent d’un long sommeil
Quelques minutes avant le « Ftour », reposés et détendus après une journée fructueuse.
Ce n’est qu’après le repas mérité et attendu, que les Casablancais se rendent sur Ain Diab, dans les enseignes les plus connues
Pour se féliciter à coup de sodas, de pizzas et autres digestifs, de leur conduite vertueuse.
La vie des Casablancais est rythmée par les appels à la prière,
Douces berceuses dont les paroles se mêlent au tumulte urbain.
Le vendredi est une occasion de multiplier les œuvres pieuses.
C’est le moment de la grande prière, mais surtout des rendez-vous administratifs avortés,
Ainsi, les fidèles délaissent toutes leurs activités pour la rencontre céleste.
Dès lors, les routes se trouvent bloquées par une horde de croyants.
Agenouillés sur le trottoir, les voies de tramway ou les avenues.
Assourdis par le bruit des autos, ils écoutent religieusement le sermon de l’imam,
Très vite oublié une fois les tapis pliés.
À Casablanca, toutes les occasions sont salutaires à l’évocation de Dieu.
Dans les grands lycées français, ou étudient les plus pieux,
S’enchainent les invocations de type « si Dieu veut ».
Et bien souvent les opportunités de jurer sur la mère de famille
Sont trop belles pour être gâchées.
Avec un si grand respect des mots, il est tout à fait compréhensible
Que la profession de foi islamique ne soit qu’une courte phrase accessible.
Comme le zakat, le ramadan et la prière ne suffisent pas à absoudre les casablancais,
Il leur restera le pèlerinage aux Lieux Saints.
Sidi Abderrahmane, l’ilot des voyantes et des marabouts accueille les âmes en détresse
Les dépouilles de coqs égorgés, les peaux de bœufs écorchés s’empilent sur les rochers
Tandis que les « chouwafates », prodiguent aux casablancais d’innombrables conseils,
Le rocher noir, exutoire par excellence au sort qui leur est jeté
Par cette Ville outragée, brisée, martyrisée
Que ses habitants peinent tant à aimer.
Nada AGGADI