Le projet de loi de finances 2024, présente, comme il est de mise, ses principales orientations basées elles-mêmes sur la politique du gouvernement de l’heure. Ainsi, le financement des réformes sociales en cours s’avère continuer à figurer comme une de ces priorités et relève de l’élargissement de l’AMO d’une part mais également de l’introduction d’un revenu minimum pour les personnes recensées par le registre social unifié.
Le PLF 24 s’articule également autour de différentes dépenses soutenues en faveur de l’éducation et de la santé, pour aller dans le sens d’une priorisation du social pour longtemps. Mais aussi, des investissements publics qui continuent à s’imposer, même si la mise en œuvre de véhicules d’accompagnement de l’investissement privé, lancé par la loi de finance précédente, devrait commencer à donner ses fruits, sachant que des projets sont déjà dans le pipe du Fonds d’Investissement Mohamed VI.
Par ailleurs, le PLF 2024 se concentre tout particulièrement sur la continuation des réformes en cours dont la plus importante, celle sur la fiscalité, largement entamée en 2023 et dont 2024 sera la dernière ligne droite. En effet, les mesures fiscales contenues dans le projet de la loi de finances pour l’année 2024, s’inscrivent dans le cadre de la mise en œuvre progressive des dispositions de la loi-cadre n°69.19, portant réforme fiscale et approuvée par le Parlement. Et rappelons-le, elle-même étant le fruit d’un débat approfondi au cours des Assises Nationales sur la Fiscalité tenues les 03 et 04 mai 2019.
Ainsi, après avoir initié la réforme de l’impôt sur le revenu, IR, et de l’impôt sur les sociétés, IS, par la loi de finances 2023, le PLF 2024 engage la réforme de la TVA qui sera mise en œuvre progressivement sur une période de 3 ans, soit de 2024 à 2026.
Donc, différentes étapes assorties d’un calendrier précis à horizon 2026, pour donner une vision claire aux opérateurs économiques, sont détaillées par le PLF 2024, (voir encadré ci-joint).
Mais, au-delà des changements des taux de TVA que cette dernière manche de la réforme fiscale implique, il est nécessaire de rappeler ses principaux objectifs.
Le premier d’entre eux est d’ordre social, il consiste en l’introduction d’exonérations de TVA pour soutenir le pouvoir d’achat des ménages et en atténuant l’inflation. Pour ce faire, en 2024, l’exonération de la TVA sera généralisée à tous les produits de base de large consommation.
Puis, sur le plan économique, il s’agit d’assurer la neutralité de cette taxe sur la valeur ajoutée, en en atténuant l’effet du butoir sur les entreprises, engendré par la différence des taux appliqués en amont et en aval des chaînes de production de biens et services.
Concrètement la réforme va faire correspondre les taux actuels de cette taxe qui sont de 7%, 10%, 14 % et 20% à 2 taux uniquement fixés à 20% et 10% à l’horizon 2026, ce, en élargissant son champ d’application. Car, le sens premier de la grande réforme fiscale porte sur l’instauration d’une certaine équité fiscale pour garantir que chacun contribue aux dépenses publiques selon ses capacités, à travers l’intégration du secteur de l’informel, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, ainsi que la rationalisation de certaines incitations fiscales.
En effet, elles sont en soi spécifiques et surtout particulières et répondent à la gravité de la situation de « détournement » d’impôts dus à l’État par les entreprises quelle qu’en soit la nature juridique.
D’autant qu’aujourd’hui, avec la numérisation fiscale, il est facile pour l’État de calculer la TVA collectée et non versée aux impôts. Ne serait-ce que celle versée par les différentes administrations à leurs fournisseurs d’un côté, que la DGI ne retrouve pas dans la TVA collectée et versée, par les mêmes entreprises prestataires de ces dernières.
C’est pourquoi, le PLF 2024, introduit certes des réajustements de taux de la TVA, mais aussi et surtout des mesures qui ne sont pas qualifiées gratuitement de spécifiques. Car, elles consistent à conforter les contribuables à assister l’État dans sa politique de transparence et d’efficacité fiscale, en les responsabilisant de deux façons. La première en renforçant leur rôle de percepteur fiscal, qu’ils jouent déjà dans le principe même de collecter la TVA sur leurs clients, de déduire celles payée à leurs fournisseurs et de déterminer eux-mêmes la TVA à payer à la DGI.
La seconde va encore plus loin en associant ces derniers à la détection de fraudes fiscales. Il s’agit de « l’institution du principe de solidarité entre les dirigeants d’entreprises, (directement ou indirectement) en ce qui concerne la responsabilité en matière de la TVA ».
Ces mesures dites spécifiques au régime de la taxe sur la valeur ajoutée, sont beaucoup plus importantes que le simple ajustement des taux de TVA pour instituer les deux taux, de 10% et de 20% !
Car trois mesures ingénieuses contenues dans le PLF 2024 vont rentrer en applications en 2024 pour obliger à la vigilance les opérateurs économiques censés collecter la TVA pour le compte de l’État, jouant ainsi le rôle de percepteur fiscal. Elles s’adressent à ceux qui ne remplissent pas leur rôle en la matière, détournant tout simplement des montants colossaux de TVA dus.
L’État se doit d’engager dans ce dernier round de la réforme fiscale, une guerre directe et continue contre l’économie informelle ou semi-informelle caractérisée par le trafic de fausses factures notamment.
Le principe « d’autoliquidation de la TVA » incarne la première mesure introduite par la PLF 24.
Il s’agirait d’un nouveau régime dit d’autoliquidation de la TVA, qui permettrait aux entreprises passibles de la TVA d’aller au-delà de leur responsabilité normale de collecter la TVA auprès de leurs clients, d’en déduire celle payée à leurs fournisseurs et de reverser le solde à la DGI.
Elles pourraient dorénavant calculer ou plutôt évaluer le montant de la TVA sur leurs achats effectués auprès des fournisseurs situés hors champ d’application de la TVA ou exonérés sans droit à déduction, qui en clair sont censés tricher, et de procéder à la déduction de ce montant dans leur déclaration de TVA. Cette mesure favorisant les TPME n’est « qu’un prêté pour un rendu », car la seconde mesure spécifique du genre institue un nouveau régime en matière de TVA, celui de la retenue à la source (RAS) qui engage les opérateurs économiques à « repérer » les mauvais contributeurs et de retenir à la source le montant de TVA inclus dans leurs factures pour le reverser à l’État tronquant ainsi le montant de paiement des factures concernées, en ne leur payant que le hors taxe de ces dernières.
Heureusement, cette RAS ne sera effectuée par les clients assujettis sur le montant de la TVA due au titre des opérations imposables effectuées par les fournisseurs de biens et de travaux, que si ces derniers ne présentent pas à leurs clients, l’attestation justifiant leur régularité fiscale. De plus, cette RAS sera opérée au titre des opérations de prestations de services visées à l’article 89-I (5°, 10° et 12°) du CGI, dont la liste est fixée par voie réglementaire, à hauteur de 75% du montant de cette taxe. Seront exonérées les opérations dont le montant est inférieur ou égal à 5 000 MAD dans la limite de 50 000 MAD par mois et par fournisseur de biens, travaux et services.
Entre l’autoliquidations de la TVA, d’une part, la Retenue à la source de la TVA d’autre part, et la solidarité des entrepreneurs, le PLF 24 innove en matière de contrôle du reversement de la TVA à l’État. Rappelant et renforçant le rôle de collecteurs, d’intermédiaires et de percepteurs aux entreprises. Tout en les associant au recouvrement de la TVA de leurs fournisseurs mauvais payeurs, lesquels se trouvant ainsi dénoncés n’auraient d’autres choix que de rentrer dans le rang et de déclarer eux-mêmes leur TVA.
Pourtant, l’introduction de ces nouveaux régimes de l’autoliquidation et de la retenue à la source vont peser sur les entreprises transparentes, les obligeants à remettre en cause leurs relations avec leurs fournisseurs. Ils pourraient tout simplement choisir de ne travailler qu’avec ceux qui sont transparents qui peuvent leur délivrer une attestation de transparence fiscale téléchargeable sur un simple clic sur le site de la DGI. Ce qui non seulement ne rendrait pas le service attendu à l’État par ce régime et ainsi peut être renforcerait l’informel ?
Afifa Dassouli
Des nouveaux taux de TVA : vers une dichotomie, entre 10 et 20%
I : Ceux, à l’encontre de l’inflation, en faveur du pouvoir d’achat des citoyens :
1) Exonération de TVA des produits de base et de large consommation que sont :
– Tous les médicaments et matières premières entrant dans leur composition (actuellement assujettis au taux de 7 %) ;
– Toutes les fournitures scolaires et les matières premières entrant dans leur composition (actuellement assujettis au taux de 7 %) ;
– Le beurre dérivé du lait d’origine animale (actuellement soumis au taux de 14 %), tandis que les autres types de beurre resteront soumis à la TVA au taux de 20 % ;
– Les conserves de sardines, le lait en poudre et le savon de ménage (actuellement soumis au taux de 7 %).
2) Exonération mise à jour des produits et équipements utilisés pour l’hémodialyse qui sont exonérés à l’intérieur et à l’importation.
3) Pour atténuer l’effet du butoir, instauration de deux taux de TVA 10 et 20%, les mesures économiques suivantes sont prévues dans le PLF 24 :
– Harmonisation progressive du taux de la TVA appliquée à l’eau ainsi que les prestations d’assainissement et la location de compteurs d’eau qui est actuellement de 7 %, pour l’augmenter à 8 % en 2024, 9 % en 2025, pour atteindre 10 % en 2026;
– Harmonisation progressive du taux de la taxe sur la valeur ajoutée appliqué sur l’énergie électrique qui est de 14% actuellement en le rehaussant à 16% en 2024, 18% en 2025 pour atteindre 20% en 2026,
– Harmonisation progressive du taux de TVA appliqué à la location de compteurs d’électricité, qui est actuellement de 7 %, pour l’élever à 11 % en 2024, 15 % en 2025 pour atteindre 20 % en 2026 ;
– Réduction progressive du taux de la taxe sur la valeur ajoutée appliqué à la production de l’énergie électrique de sources renouvelables de 14 % appliqué actuellement à 12 % en 2024 pour atteindre 10 % en 2025 ;
– Harmonisation progressive du taux d’imposition de la taxe sur la valeur ajoutée appliqué au sucre à travers son augmentation de 7% appliqué actuellement, à 8% en 2024, à 9% en 2025 pour atteindre 10% en 2026 ;
– Harmonisation progressive du taux d’imposition applicable aux opérations de transport de voyageurs et de marchandises en le passant de 14 % appliqué actuellement, à 16 % en 2024, à 18 % en 2025, pour atteindre 20 % en 2026 ;
– Harmonisation progressive du taux d’imposition applicable aux prestations de services rendues par tout agent démarcheur ou courtier d’assurances en le ramenant de 14% appliqué actuellement, à 12% en 2025, pour atteindre 10% en 2026.
II : Ceux en faveur de l’élargissement de l’assiette fiscale :
1- La réinstauration de l’obligation de conservation des biens d’investissement inscrits dans un compte d’immobilisation pendant cinq (5) ans ;
2- La suppression de l’exonération de TVA pour les biens d’équipement destinés à l’enseignement privé ou à la formation professionnelle ;
3- L’élargissement du champ d’application de la TVA pour appréhender le commerce électronique au titre des services fournis en ligne par des sociétés non-résidentes à des clients installés sur le territoire national, conformément aux meilleures pratiques internationales dans ce domaine et en adoptant la résidence habituelle des clients.
4 :Des mesures d’harmonisation et de clarification des règles d’assiette à travers :
– La clarification du régime fiscal applicable aux locations d’immeuble en matière de TVA avec précision des opérations à caractère commercial ;
– L’harmonisation de la sanction de 15 % applicable en cas de dépôt de déclaration créditrice hors délai avec les sanctions des règles générales ;
– La clarification du délai de forclusion lié à l’exercice du droit à déduction de la TVA fixé à un an, en appliquant la sanction de 15% de l’impôt dû et déduit hors du délai précité avec un minimum de 500 dirhams ;
– L’exonération de la TVA à l’intérieur des redevances et doits de licence dont la valeur est incluse dans la base d’imposition de la TVA à l’importation ;
– La déductibilité des cotisations sociales des professionnels, travailleurs indépendants et des personnes non-salariés du résultat net selon le Régime du résultat net réel (RNR) et le régime du résultat net simplifié (RNS).
III : Mesures pour la lutte contre la fraude fiscale et la réforme du secteur informel à travers :
1 : L’institution au principe de solidarité entre dirigeants d’entreprises ( directement ou indirectement en ce qui concerne la responsabilité en matière de versement de la TVA :
2 : La simplification des procédures fiscales en cas d’abus de droit en supprimant la disposition relative au recours devant la commission consultative du recours pour abus de droit et maintenir le droit de recours devant la commission nationale du recours fiscal (CNRF) ;
3 : L’amélioration de la procédure d’examen de l’ensemble de la situation fiscale des personnes physiques de manière à garantir les droits du trésor et des contribuables et à limiter les pratiques frauduleuses et la non-déclaration de certaines revenus professionnels, et ce à travers l’évaluation de l’ensemble des revenus et des dépenses des contribuables en prenant en considération les avoirs liquides détenus sur des comptes bancaires ouverts en leurs noms propres ou au nom de toute autre personne, tout en améliorant les procédures visant à garantir les droits des contribuables;
4 : Réinstauration de la mesure relative à la régularisation volontaire de la situation fiscale des contribuables (article 7 de la loi de finances pour l’année 2020) parallèlement à la révision de la procédure d’examen de l’ensemble de la situation fiscale ;
5 : Réinstauration de la contribution libératoire relative à la régularisation spontanée au titre des avoirs et liquides détenus à l’étranger (article 8 de la loi de finances 2020) ;
6 : L’unification du traitement fiscal relatif aux droits d’enregistrement applicables aux actes d’attribution de locaux ou terrains par les coopératives et les associations à leurs membres en les soumettant aux taux applicables selon le droit commun (5% ou 4%).