Philippe Gillet, CSO chez Sicpa
Ce jeudi 18 avril, M. Philippe Gillet, Chef de l’Innovation au sein de SICPA, prendra la parole au SIAM au sein d’un panel d’experts sur le thème de la digitalisation appliquée au monde agricole.
Chercheur et scientifique de haut niveau, M. Gillet est aussi Président des conseils scientifiques de la Région Ile de France et de l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) depuis 2016.
Son intervention traitera « Des semences à la transformation agroalimentaire, les apports des technologies digitales ».
Dans l’entretien qu’il a bien voulu accorder à La Nouvelle Tribune-www.lnt.ma, M. Gillet explique à nos lecteurs les enjeux de la digitalisation de l’agriculture et de ses différents secteurs.
La Nouvelle Tribune :
Qui aurait pu croire que le digital toucherait un jour ce pilier du secteur primaire que constitue l’agriculture ?
Quels sont les domaines où cette révolution des nouvelles technologies est déjà productrice d’effets positifs ?
M. Philippe Gillet :
Il est vrai que le « digital » est immatériel et évaluer ses impacts dans un secteur qui est ancré dans la réalité n’est pas évident.
Notre compréhension des systèmes agricoles a significativement progressé depuis une dizaine d’années par les nombreuses données collectées et a permis, par exemple, de mieux appréhender l’irrigation, la sélection d’espèces nouvelles mieux adaptées au changement climatique ou encore de comprendre les mécanismes d’appauvrissement des sols.
Il semble donc logique que de plus en plus d’exploitations s’intéressent aux technologies digitales. SICPA peut donc désormais s’adresser à des partenaires qui saisissent tout l’intérêt d’un « mix » liant le digital et la sécurité matérielle.
Notre expérience a démontré l’intérêt de cette approche dans le domaine de la traçabilité sécurisée, par exemple pour protéger une production, sa conformité aux standards et ainsi rassurer les consommateurs.
On parle certes de digitalisation, mais cela concerne-t-il les process, les produits ou les structures de production ?
Aucun secteur n’échappe aujourd’hui à la digitalisation et c’est une chance car nous pouvons ainsi travailler sur l’ensemble de la chaine alimentaire, de la ferme à l’assiette. Les process en jeu peuvent être optimisés pour répondre aux enjeux qui sont aujourd’hui ceux de tous les pays du monde : produire plus en supprimant les pertes tout au long des processus de transformation, améliorer les rendements tout en respectant le renouvellement des sols, minimiser les intrants pour protéger la santé humaine et animale.
En quoi le monde agricole peut-il profiter de ces apports nouveaux, sachant que cela suppose notamment des « équipements » pour l’utilisation du digital ? La campagne marocaine est-elle prête pour la digitalisation. ?
Les équipements sont essentiels. Il y a les capteurs qui produisent les données comme par exemple les caméras hyper-spectrales sur les drones, les mesures météo fines ou finalement l’agriculteur lui-même qui reste le « capteur » intégrateur. Il n’y a pas de raison que l’agriculture marocaine ne soit pas prête pour cette agriculture digitale.
Le smartphone est en passe de devenir, comme dans d’autres secteurs tel que la médecine, l’interface entre le monde réel du champ et celui des données.
L’expérience de SICPA en Afrique de l’Ouest montre par exemple son utilité pour renseigner citoyens et consommateurs sur la légitimité des produits, leur conformité, le respect des règles tout au long de la chaîne de production.
Le « big data » accroche lui aussi désormais l’agriculture. Que pouvez-vous nous dire en termes d’applications et d’usages pour le monde rural marocain, les institutions qu’il agrège, etc.
Le « big data » et surtout les résultats que l’on peut en extraire par l’intelligence artificielle deviennent une sorte « d’engrais digital » pour les différents secteurs du domaine agricole.
L’agriculteur y verra une manière de faire de l’agriculture de précision plus prédictive. Les institutions gouvernementales pourront vérifier plus efficacement l’impact de leurs politiques publiques.
La Blockchain est incontestablement un outil révolutionnaire dans la configuration digitale. Comment concevoir son application dans l’économie agricole marocaine où se côtoient des secteurs traditionnels et moderne, des zones bour et d’autres irriguées, etc. ?
Dans un monde où la confiance dans l’économie est de plus en plus menacée, il est impératif de rassurer le producteur et le consommateur en démontrant que l’origine des produits et les procédés de la chaine de transformation sont conformes aux différentes réglementations.
Il en va de la crédibilité des professionnels. Un agriculteur souhaite aussi que ses produits de qualité soit reconnus et que les mécanismes de certification que les protègent ne soit pas détournés.
Aujourd’hui les technologies digitales permettent d’introduire une traçabilité globale et transfrontalière dans les chaines de production de l’agriculture et des industries agroalimentaires.
L’intégrité des données, le suivi digital sécurisé des transactions et la preuve de leur validité bénéficient d’outils issus des technologies de type « blockchain ».
En tant qu’expert et « Chief Scientific Officer » chez SICPA, quel peut être l’apport de cette entreprise à l’agriculture marocaine. Quels sont les objectifs poursuivis par votre participation au SIAM 2019 ?
Au Maroc, nos solutions et services se concentrent aujourd’hui, sur la traçabilité, la réconciliation fiscale et le contrôle de production des produits les plus touchés par le commerce illicite.
Les intrants agricoles font eux partie des projets encore à l’étude, d’où l’importance de partager l’expérience de SICPA dans d’autres pays où nos technologies sont déjà à l’œuvre depuis plusieurs années (e.g. l’Italie, le Pakistan ou encore le Brésil – où la technologie SICPA protège la qualité et l’origine des semences) afin de les confronter au contexte et aux attentes du Maroc.
Nous attendons beaucoup de ces échanges avec les opérateurs marocains lors du SIAM.
De plus, notre implantation au Maroc revêt un rôle stratégique sur le continent : d’une part le Royaume a depuis longtemps saisi l’importance et les enjeux de la traçabilité sécurisée pour ses citoyens. D’autre part, le pays est riche de nombreux talents connaissant bien le contexte régional.
Ceci explique pourquoi nous avons implanté ici un centre d’excellence appelé à rayonner : nos équipes, experts et ingénieurs marocains seront logiquement sollicités pour la mise en œuvre de nos autres projets dans la région. Le SIAM est une occasion de croiser et d’échanger avec de tels talents.
Entretien réalisé par
Fahd YATA
Who is M. Philippe Gillet
Philippe Gillet a rejoint SICPA en 2017 en tant que Chief Scientific Officer. Il est chargé de mener les réflexions stratégiques et transversales à l’entreprise et d’apporter des solutions marchés qui permettent la sécurisation de produits physiques et digitaux. Il est particulièrement actif dans la digitalisation des services de l’Etat, la sécurité de la chaine de valeur agro-alimentaire, le marquage du pétrole et du gaz naturel, ainsi que l’Identité et les documents de valeur à l’ère du numérique. Philippe Gillet apporte au monde de l’entreprise un solide parcours scientifique. Il a tout d’abord étudié les Sciences de la Terre à l’Ecole normale supérieure à Paris, pour ensuite enseigner sur la formation et l’évolution de la Terre et du système solaire dans des universités prestigieuses comme l’Ecole normale supérieure de Lyon. Actif dans le management de la science, de l’innovation et de l’enseignement, Philippe Gillet a entre autres dirigé l’Institut National des Sciences de l’Univers du CNRS (1999-2003). Dans le cadre de ce mandat, il a développé la recherche opérationnelle par la création des Observatoires de Recherche en Environnement (eau, sol, systèmes agricoles). Il a présidé l’Agence Nationale de la Recherche française (2007) et l’Ecole normale supérieure de Lyon (2003-2007). De 2007 à 2010, il a dirigé le cabinet de la Ministre française de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur, Valérie Pécresse. Il rejoint l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) en 2010 en tant que Vice-Président pour les Affaires Académiques. Dans le cadre de ses fonctions il a aussi assuré la direction du programme européen Human Brain Project. Bien que CSO chez SICPA, il a gardé une activité de recherche à l’EPFL et il est aussi Président des conseils scientifiques de la Région Ile de France et de l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) depuis 2016.