Le Premier ministre Nawaz Sharif, le 15 juin 2017 à Islamabad © AFP/Archives AAMIR QURESHI
La destitution pour corruption du Premier ministre pakistanais vendredi crée une vacance de pouvoir à la tête d’un Etat à l’histoire mouvementée et doté de la puissance nucléaire, mais elle ne devrait pas déstabiliser le pays à long terme selon des analystes.
Nawaz Sharif, « disqualifié » de son poste par la Cour suprême suite à la révélation d’un scandale sur son patrimoine et celui de ses enfants, aura échoué à devenir le premier chef de gouvernement du Pakistan à aller au terme de son mandat de cinq ans.
Mais bien que l’armée ait de fait dirigé le pays pendant la moitié de ses 70 ans d’histoire, les experts jugent cette fois peu probable que le pouvoir échappe à nouveau aux civils. Il a même de bonnes chances de rester aux mains du parti de M. Sharif, le PML-N.
« Dans un pays aussi volatil que le Pakistan, il y a de bonnes raisons de s’inquiéter lorsqu’un Premier ministre est destitué », souligne Michael Kugelman, analyste au Wilson Centre à Washington.
« Mais mon impression est que tout va finalement s’ajuster. Un successeur va être choisi et l’actuel gouvernement va terminer son mandat », souligne-t-il.
Le Pakistan, né conjointement avec l’Inde de la décolonisation en 1947 des Indes britanniques, est la seule puissance militaire nucléaire du monde musulman. Mais l’ histoire de ce géant de près de 200 millions d’habitants reste marquée du sceau de l’instabilité.
La situation s’est cependant améliorée ces dernières années avec un net recul de la violence, ainsi qu’une embellie économique.
Les élections législatives de 2013, première transition démocratique d’un gouvernement civil à un autre dans l’histoire du pays, avaient à ce titre été accueillies comme un pas en avant historique.
– Sans aura nationale –
M. Sharif, bien que chassé du pouvoir, reste à la tête de son parti, lequel est majoritaire au Parlement et des rangs duquel devrait logiquement provenir son successeur.
Le système parlementaire pakistanais demeure solide en dépit de la décision de la Cour suprême de faire tomber un Premier ministre démocratiquement élu, estime l’analyste politique Hasan Askari.
« M. Sharif va mettre en avant quelqu’un du parti. Evidemment sa personnalité n’aura pas autant de poids (que celle de Sharif). Mais pour le moment on peut dire que le jugement ne s’est pas avéré déstabilisant » pour le pays, souligne-t-il.
La disgrâce de M. Sharif ouvre-t-elle pour autant de nouveaux horizons aux partis d’opposition, alors que les prochaines législatives sont prévues en juin 2018?
Le chef de l’opposition, l’ex-champion de cricket Imran Khan, a fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille et appelait depuis des mois à la démission du chef du gouvernement.
Mais son parti, le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI), qui gouverne l’une des quatre provinces du Pakistan, peine à s’imposer comme une formation d’envergure nationale.
Le PTI « est à l’origine des poursuites contre le Premier ministre, donc il devrait être le principal bénéficiaire (de sa chute) en termes de réputation et de crédibilité », souligne M. Askari.
Mais il en bénéficierait davantage en cas d’élections anticipées, alors que l’opinion publique est de son côté, note-t-il. Or, il paraît plus probable que le PML-N manoeuvre pour que le scrutin se tienne comme prévu en 2018.
« Ce parti (le PML-N) se paye le luxe de ne pas devoir affronter un adversaire formidable, avec une aura nationale », note M. Kugelman.
« Cette sentence ne change pas la donne pour le PTI », renchérit le spécialiste de politique Rasul Bakhsh Rais. « La seule chose qui change est que Nawaz Sharif n’est plus Premier ministre ».
La réaction immédiate des Pakistanais à l’éviction de M. Sharif a été plutôt modérée, estiment les analystes. Si chaque camp s’est fendu de déclarations enflammées, peu de gens sont descendus dans la rue, suggérant que les Pakistanais considèrent que le PML-N est toujours aux manettes.
M. Sharif et sa famille devront désormais vivre avec le soupçon qu’ils ont accumulé illégalement une énorme fortune au détriment des citoyens. Mais certains estiment que la Cour suprême pourrait être jugée encore plus durement.
« Quand l’histoire sera écrite, cela va rester comme une série de décisions prise par la justice pakistanaise contre des gouvernements élus par le peuple », souligne l’avocat constitutionnaliste Yasser Hamdani.