La tendance dans les paiements au niveau mondial évolue inexorablement vers une disparition du cash. Dans certains pays comme la Finlande, le paiement en liquide ne représente qu’à peine 1% de toutes les transactions ! Le Maroc, comme nos lecteurs le savent, est très en retard à ce niveau, et on estime que chaque année, les transactions en cash à travers le pays représentent l’équivalent de 1200 milliards de dirhams. De plus, les cartes de crédit (à 82%) et les chèques (à 76%) ne sont utilisés que pour retirer du liquide.
Pourtant, se passer du cash offrirait d’énormes opportunités, surtout pour les populations les plus reculées (problèmes de sécurité, de mise à disposition, de déplacements, etc.). C’est ainsi que dans le cadre de la stratégie nationale d’inclusion financière, le paiement mobile est un levier très important, qui demandait une proposition de valeur attractive.
L’interopérabilité totale, première au niveau mondial
Si plusieurs banques et établissements de paiement ont déjà lancé leur solution de paiement mobile, il manquait encore un élément crucial parmi les exigences de Bank Al-Maghrib (BAM) pour que la technologie soit véritablement déployée. En effet, et c’est une première au niveau mondial, la banque centrale avait demandé que l’ensemble de ces solutions soient interopérables, c’est à dire qu’elles soient toutes compatibles entre elles. Après plusieurs mois de test, voilà qui est fait. Ainsi, BAM et l’Agence Nationale de Réglementation des Télécommunications (ANRT) ont tenu, mardi à Rabat, une conférence de presse pour annoncer officiellement la mise en route au Maroc de ce nouveau moyen de paiement par téléphone mobile, appelé « m-wallet ». Il permet de réaliser, de manière électronique et dématérialisée, des opérations de paiement de commerçants, de transferts d’argent de personne à personne, ainsi que des opérations de retrait et de dépôt d’espèces.
« Le paiement mobile domestique est un nouveau projet qui va être déployé au plan national et un instrument qui va faciliter certaines opérations quotidiennes du citoyen marocain », a indiqué le DG de BAM, Abderrahim Bouazza. « Le titulaire d’un téléphone mobile, qui a déjà un compte auprès d’une banque ou auprès d’un établissement de paiement, peut transférer de l’argent à un bénéficiaire et peut également payer ses achats auprès d’un commerçant en utilisant le m-wallet qui se trouve au préalable dans son téléphone portable », a expliqué M. Bouazza, notant qu’ « il suffit donc au titulaire du compte d’indiquer sur son téléphone le numéro de téléphone du bénéficiaire afin que l’opération soit effectuée instantanément, en temps réel, et de manière électronique ».
Selon le DG de BAM, il suffit de compléter la table de correspondance entre les numéros de téléphone et les m-wallet afin que l’écosystème puisse démarrer avec les établissements qui sont à déployer ce nouvel instrument. Ainsi, d’ici la fin du mois, environ une dizaine de solutions seront opérationnelles.
Pour sa part, le directeur général de l’ANRT, Azelarab Hassibi, a expliqué les utilisateurs visés par le paiement mobile ont tous été associés lors de la conception de ce système, notamment les commerçants, et ce à travers une dizaine de focus groupes qui ont discuté des tenants et des aboutissants de cette solution de paiement au fil des deux dernières années.
Sécurité et disponibilité
Selon le PDG de Hightech Payment Systems (HPS), Mohamed Horani, le système utilisé par « m-wallet » est sécurisé, et il a été audité par un certain nombre d’organismes internationaux et certifié conforme aux exigences internationales en matière de sécurité, mais également en matière de protection des données personnelles. De plus, le système est redondant, pour assurer une disponibilité supérieure à 99%, et il se veut performant en cas de montée en charge des volumes. M. Horani a également rappelé que la procédure d’homologation, qui demande une batterie de tests, est, et sera, ouverte aux nouveaux acteurs potentiels.
Pour réduire au maximum le poids des investissements, « nous avons capitalisé sur l’infrastructure monétique existante », précise M. Hasssibi, mais également de « l’extraordinaire couverture mobile que nous avons au Maroc ». Et pour s’assurer du bon fonctionnement du système dans la durée, « nous avons un comité stratégique qui rassemble tous les acteurs de l’écosystème », ajoute-t-il.
Opération de charme au niveau national
Pour que le paiement mobile soit un succès au Maroc, il doit être largement adopté par les clients d’un côté, mais surtout par les commerçants qui devront se doter de comptes professionnels. Et l’on sait que nombre de petits commerçants ont une grande préférence pour le cash, notamment pour des raisons fiscales.
Conscient de l’obstacle que cela représente, M. Bouazza annonce le lancement d’une « stratégie nationale de communication et de sensibilisation début 2019, une fois que tout l’écosystème sera prêt. De plus, plusieurs propositions de dispositions fiscales ont été transférées au ministère de l’Economie et des Finances, et le DG de BAM espère en voir apparaître certaines dès la loi de Finance 2019.
D’autres incitations sont prévues, comme la gratuité de certaines opérations (notamment le transfert de petits montants), et M. Bouazza fait du pied au ministère du Commerce en ajoutant qu’il y a « des mesures à prendre pour subventionner ce nouveau marché ».
Selon M. Horani, les commerçants se rendront compte que refuser ce nouveau moyen de paiement risquera de leur faire perdre du terrain face à leur concurrents, et que, ainsi « cela va devenir un business indispensable ».
D’ici 5 ans, Bank Al-Maghrib table sur un marché de 6 millions d’utilisateurs et 51 000 agents/commerçants, pour 1,3 milliard de dirhams de transactions. La réalisation de ces objectifs sera un grand pas en avant pour la stratégie de développement digital du Maroc.
Selim Benabdelkhalek