Les représentants de l'Iran et des 5 membres du conseil de sécurité de l'Onu lors de l'annonce de l'accord sur le nucléaire iranien le 2 avril 2015 à Lausanne © AFP/Archives FABRICE COFFRINI
Il y eut des larmes, des rires, des engueulades, des nuits sans sommeil. La négociation sur le nucléaire iranien, au-delà de ses enjeux énormes, fut aussi une incroyable aventure humaine entre diplomates internationaux, notamment entre deux ennemis historiques, les Etats-Unis et l’Iran.
En « décertifiant » l’accord de Vienne, le président américain Donald Trump porterait un coup majeur à une négociation diplomatique sans précédent, qui, de Genève à Lausanne en passant par New York et Vienne, a réuni sur près de deux ans les représentants de sept pays: Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Chine, Russie, Allemagne, et Iran.
Le programme nucléaire iranien empoisonnait les relations internationales depuis 2003, et les discussions, débutées entre Européens et Iraniens, patinaient.
Mais en 2012, les Etats-Unis, dont le président Barack Obama avait fait du rapprochement avec Téhéran une de ses priorités, et l’Iran, entament des négociations secrètes à Oman. Et l’élection en 2013 du modéré Hassan Rohani ouvre la voie à des discussions sérieuses entre les grandes puissances et Téhéran.
Commence alors un marathon diplomatique ponctué de coups de théâtre, de psychodrames, et d’un travail intense sur un des dossiers les plus complexes qui soient: le programme nucléaire iranien.
L’objectif est de garantir le caractère strictement civil et pacifique de ce programme, en échange d’une levée des sanctions. Simple sur le papier, le défi technique est immense, et se heurte à la méfiance incommensurable entre Téhéran et les grandes puissances.
Pourtant, leurs diplomates s’activent et négocient d’arrache pied, sur le nombre de centrifugeuses, le droit à l’enrichissement d’uranium… autant de sujets techniques sur lesquels les ministres seront bientôt incollables.
« Ils pouvaient parler sans ciller d’hexafluore d’uranium ou de réacteur à eau lourde… », sourit à l’époque un diplomate occidental.
En novembre 2013 un premier accord intérimaire est conclu à Genève.
Pour autant, rien n’est acquis. « Il n’y a aucune confiance. Nous pensons qu’ils nous mentent, ils pensent que nous leur mentons », résume une source européenne en septembre 2014.
– ‘John’ et ‘Javad’ –
Mais les discussions s’enchaînent, à Lausanne, à Vienne. Et l’infatigable chef de la diplomatie américaine John Kerry ne ménage pas ses efforts, face au souriant et inflexible Mohammed Javad Zarif, « artiste » de la diplomatie, ancien ambassadeur iranien à l’ONU et excellent connaisseur du nucléaire.
Les ennemis apprennent à se connaître. « Nous avons vu deux pays qui ne se parlaient pas depuis 35 ans, passer tant de temps ensemble. C’est gratifiant de voir combien la confiance s’est construite », confie alors un haut responsable européen. Zarif et Kerry s’appellent par leurs prénoms, et une photo de « John » et « Javad » déambulant ensemble à Genève suscitera l’ire des faucons iraniens.
Nuits blanches dans les palaces suisses, crises et claquements de portes, propagande savamment distillée devant la presse… chacun avance ses pions dans l’immense partie de poker en jeu. L’accord est jugé « introuvable » ou « à portée de main » selon les jours.
« C’est dur, c’est sans concession. Il y a des moments de grande rigolade et de forte tension. C’est du théâtre, même si les enjeux sont énormes », raconte alors un négociateur européen, évoquant « une expérience humaine assez forte et inédite. « Des négociations comme ça, il n’y en a pas beaucoup », ajoute-t-il.
L’histoire retiendra peut-être une sortie de Zarif, lançant lors d’une séance tendue à la face de la cheffe de la diplomatie européenne Federica Mogherini: « ne menacez jamais un Iranien ». Et le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov de s’esclaffer: « ni un Russe ».
– Fémur et nez brisés –
La négociation a aussi blessé physiquement les participants. En juin 2015, lors d’une session diplomatique avec Zarif à Genève, John Kerry chute en vélo, se brise le fémur. Il viendra en béquilles lors du dernier round de négociations à Vienne, qui a abouti à l’accord historique du 14 juillet.
Sa négociatrice en chef Wendy Sherman confiera s’être brisé le nez et s’être fait une entorse de la cheville pendant les négociations. Elle hurlera aussi n’en plus pouvoir du « wiener schnitzel’, le plat autrichien par excellence.
Dans cette négociation hors normes, se sont aussi jouées des batailles d’égo, notamment entre Laurent Fabius et John Kerry, le premier soupçonnant le second d’être trop enclin à des concessions, tandis que l’Américain s’exaspérait des rodomontades du Français réclamant un « accord robuste ».
En novembre 2013, lors de la conclusion du premier accord intérimaire à Genève, Fabius sort le premier, en pleine nuit, pouce en l’air. « Une idée de génie, les journalistes n’ont retenu que ça », s’amuse une source de son entourage.
Après la conclusion de l’accord historique du 14 juillet 2015 à Vienne, John Kerry confia sur CNN que cette négociation fut « très difficile, très intense ».
Mais il faisait part aussi de son « respect » pour son homologue iranien, un « négociateur ôpiniatre, compétent, patriote ».
LNT avec Afp