Les fake news explosent en Afrique. À qui la faute ? Bien souvent aux partis politiques prêts à faire feu de tout bois lorsqu’il s’agit de critiquer leurs rivaux. Dernier exemple en date : les accusations de corruption dont fait l’objet le frère du président sénégalais, Aliou Sall.
« L’explosion des fake news en Afrique, une menace pour la paix sociale », titrait ainsi l’agence d’information économique africaine Ecofin, en février dernier. « Les fake news sont aujourd’hui considérées comme un facteur majeur de désordre social dans plusieurs pays d’Afrique », explique l’auteur.
De son côté, Samba Dialimpa Badji, Rédacteur en chef du bureau pour l’Afrique francophone d’Africa Check, une organisation à but non lucratif qui promeut « la précision des faits dans le débat public et dans les médias », confiait au micro de RFI, là aussi en février 2019, que les fake news « devenaient, de plus en plus, une arme de campagne électorale, utilisée par des candidats ou des partis politiques ».
Au Nigéria, par exemple, peu de temps après l’annonce de la candidature d’Atiku Abubakar, membre du Parti démocratique populaire (PDP), à la présidentielle 2019, un faux compte Twitter usurpant l’identité du nouveau candidat, remerciait l’« Association of Nigerian Gay Men (ANGAM) » pour son « soutien » et promettait que sa première décision en tant que président serait « d’abolir la législation anti-gay » promulguée en 2014, par l’ancien président nigérian, Goodluck Jonathan. Une fake news destinée à discréditer l’actuel vice-président du pays auprès de l’électorat conservateur du nord du pays, particulièrement influent.
Dans le même temps, le président sortant d’alors, Muhammadu Buhari, un musulman du nord du pays, était quant à lui accusé de vouloir appliquer la charia à l’ensemble du territoire. D’après le ministre nigérian de l’Information, Lai Mohammed, toutes ces fake news « menacent la paix, l’unité, la sécurité et la vie des Nigérians ».
Toujours en Afrique de l’Ouest, au Sénégal cette fois, là encore lors de la présidentielle 2019, la « fabrication de fake news a fait partie intégrante de la stratégie de campagne de certains candidats », affirme ainsi Samba Dialimpa Badji. Et quand bien même la course à la présidence est aujourd’hui terminée — Macky Sall ayant été réélu pour un second mandat —, le recours à la désinformation comme outil politique semble quant à lui s’être fait une place de choix dans le pays.
« L’affaire » Aliou Sall — Franck Timis
Tout commence le 2 juin dernier, avec un reportage, diffusé sur la BBC, retraçant l’arrivée de l’homme d’affaires australo-roumain, Franck Timis, alors à la tête de Petro-Tim, sur les champs Cayar offshore profond et St. Louis offshore profond en 2012 — situés au nord-ouest de Dakar —, son choix de s’attacher les services du frère cadet de l’actuel président du pays, Aliou Sall, pour 25 000 dollars par mois, ainsi que la vente successive de ses participations à la société Kosmos, et ensuite à British Petroleum (BP), une dernière transaction évaluée à 250 millions de dollars.
D’après la BBC, l’attribution des deux champs gaziers par Macky Sall à Franck Timis serait ainsi le fruit de versements de pots-de-vin à Aliou Sall. La chaîne d’information britannique va même plus loin, affirmant alors que les 250 millions de dollars perçus par Timis Corporation lors de la vente de ses participations à BP « n’était que le début et que la plus grande part du gâteau provient des royalties » : si l’on en croît les « détails du contrat » obtenu par les journalistes de la chaîne, BP versera, sur toute la durée de vie des permis d’exploitation, entre 9 et 12 milliards de dollars de royalties à Frank Timis. Autant d’argent qui ne viendra pas remplir les caisses du Sénégal donc.
Problème : comme le révèle la Lettre du Continent du 12 juin dernier, « il est peu commun qu’une société qui a vendu ses parts dans un champ continue de toucher des royalties sur la production dudit champ. L’usage dans l’industrie pétrolière est de simuler un échéancier de royalties pour estimer le prix d’une participation, mais il ne s’agit le plus souvent que de projections, et pas d’engagement ».
Dès lors, le procureur général de Dakar, qui s’est vu confier, le 10 juin, une enquête sur l’ensemble des « faits allégués », « aura bien du mal à étayer cette affirmation », précise la Lettre du Continent. D’autant que « ni le Département américain de la justice ni le Serious Fraud Office britannique ne se sont saisis du sujet. Pour qu’une enquête sur ce dossier aboutisse, les deux institutions juridico-financières savent qu’elles doivent non seulement prouver que Frank Timis versait des sommes injustifiées à Aliou Sall — celles qui l’ont été étaient couvertes par un contrat de consultant —, mais également que BP et Kosmos étaient conscients de ces arrangements et les ont couverts », poursuit le média.
Les doutes quant à la véracité des accusations qui frappent le président et son frère — qui les ont d’ailleurs démenties — n’ont pas empêché la presse sénégalaise de s’en donner à cœur joie, multipliant les jeux de mots sur le patronyme des deux hommes et les informations plus ou moins hasardeuses. Tout comme l’opposition, multipliant depuis les accusations et invectives, pour qui tout est bon pour salir l’image d’un président qui — paradoxalement — possède la réputation d’être intraitable vis-à-vis de la corruption.
« L’opposition semble bien décidée à ne pas laisser s’éteindre l’incendie allumé dans l’opinion publique sénégalaise », affirmait ainsi Jeune Afrique, dans un article publié le 12 juin. Reste désormais à savoir si les membres de l’opposition sénégalaise, au premier rang desquels Abdoul Mbaye, Thierno Alassane Sall, Mamadou Lamine Dialo ou encore Ousmane Sonko, qui n’ont de cesse d’accuser le président dans les médias, apporteront des preuves concrètes au procureur général dans le cadre de son enquête.
LNT avec presse