Bombardement hôpital Gaza

Nasser, l’hôpital assassiné deux fois : la guerre contre les témoins

Nasser, l’hôpital assassiné deux fois : la guerre contre les témoins

Bombardement hôpital Gaza

À Khan Younès, dans la bande de Gaza, l’hôpital Nasser a été visé par deux frappes israéliennes à quelques minutes d’intervalle. La première a éventré un étage du bâtiment. La seconde est tombée alors que journalistes, secouristes et soignants tentaient d’évacuer les blessés et de retrouver des corps sous les décombres. Vingt morts, au moins cinq journalistes, des membres de la défense civile et du personnel médical : un carnage assumé sous couvert d’« opération militaire ».

C’est une signature macabre qui se répète. Les « double frappes/double-tap » ; tirer une première fois, puis cibler ceux qui portent secours, sont dénoncées depuis longtemps par les ONG humanitaires. Ici, l’infraction est multiple et flagrante : frapper un hôpital, frapper des équipes médicales, frapper des journalistes, frapper des secouristes. Chacune de ces atteintes est en soi une violation grave des règles de la guerre. Les cumuler dans une même séquence relève d’un système, non d’un accident.

Nasser n’est pas un cas isolé. L’hôpital avait déjà été assiégé en 2024. Depuis octobre 2023, des dizaines d’établissements médicaux ont été touchés, certains rasés, des centaines de soignants tués. Les ONG parlent de « médicides » : une stratégie consistant à étouffer les soins pour épuiser une population entière.

La presse paie le prix fort. Le Comité pour la protection des journalistes recense près de 200 reporters tués depuis le début de la guerre, l’immense majorité palestiniens. C’est, à ce jour, le conflit le plus meurtrier de l’histoire contemporaine pour les journalistes. Leur élimination n’est plus un dommage collatéral : c’est une politique de l’ombre, une volonté de faire taire les témoins.

Combien de crimes de guerre dans ce seul épisode ? Au moins six chefs distincts peuvent être relevés : attaque contre un hôpital, contre des soignants, contre des journalistes, contre des secouristes, usage de la « double frappe », et disproportion évidente entre les pertes civiles et l’objectif militaire invoqué.

Mais la réalité dépasse ce cas : chaque jour, Gaza et la Cisjordanie sont le théâtre de bombardements sur des immeubles civils, de famines organisées, de déplacements forcés, de tirs sur des foules en quête d’aide. À l’échelle de la population, c’est un quotidien de violations systématiques. L’accumulation ne relève plus du drame accidentel mais de la politique assumée.

Comme si cela ne suffisait pas, Tel-Aviv a officialisé son feu vert au projet E1, qui prévoit de relier Jérusalem-Est aux colonies de Maalé Adoumim. Ce plan couperait la Cisjordanie en deux, rendant impossible un État palestinien viable. C’est un coup de grâce porté au droit international, si tant est qu’il existe, une provocation adressée à la communauté mondiale, qui répète ses « préoccupations » dans le vide.

Le déplacement de populations, l’installation de colons sur des territoires occupés : ce ne sont pas de simples gestes politiques, ce sont des violations majeures, reconnues et condamnées depuis des décennies. Israël, en annonçant ce plan, brandit ouvertement son mépris pour l’ordre international.

Bombarder un hôpital, puis ceux qui en sortent les blessés, c’est tenter d’éteindre à la fois la vie et le regard qui la raconte. Nasser devient le symbole d’une guerre menée non seulement contre un peuple, mais contre la vérité elle-même. Chaque missile abat un bâtiment, un soignant, un journaliste, et avec eux une parcelle de témoignage et d’espoir.

On peut discuter de géopolitique, de sécurité, de diplomatie. Mais au fond, il reste ce fait brut : à Gaza, on tue des civils, on affame une population, on bombarde des hôpitaux, on cible les reporters. Et pendant ce temps, on annonce de nouveaux plans de colonisation. L’histoire jugera. Mais aujourd’hui, il faut nommer les choses : ce sont des crimes, et ils se répètent chaque jour.

Ayoub Bouazzaoui

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