La réalisatrice Naomi Kawase le 1er juin 2017 à Tokyo © AFP/Archives Toru YAMANAKA
L’une des réalisatrices japonaises les plus encensées à l’étranger, Naomi Kawase, se dit prête à travailler avec Netflix pour se libérer du carcan des sponsors nippons qui étouffent, selon elle, la créativité du cinéma de son pays.
« Si une firme comme Netflix ou toute autre société de production étrangère a des moyens pour travailler avec une réalisatrice qui a acquis une réputation internationale, ce peut être une façon pour moi d’exprimer librement ce que je veux », a-t-elle lancé. « Je ne rejetterai pas une telle occasion que je vois plutôt comme un défi à relever ».
La cinéaste de 48 ans, habituée du Festival de Cannes, qui en fit en 1997 à 27 ans la plus jeune lauréate de la Caméra d’or, se confiait à l’AFP à Tokyo à son retour de la Croisette. Son dernier film, « Vers la lumière » (Hikari), de production franco-japonaise, était en lice pour la Palme d’Or.
La présence en compétition, pour la première fois, de deux films produits par Netflix dont « Okja » du réalisateur sud-coréen Bong Joon-ho avait créé la polémique à Cannes, alors que le géant américain de la vidéo en ligne a refusé de les sortir dans les salles françaises.
C’est en écoutant des propos de Bong Joon-ho, qui s’est publiquement félicité de la liberté donnée par la jeune société américaine partie prenante à son long-métrage présenté au festival, qu’elle est venue à envisager de prendre une voie similaire.
« Il dit que Netflix lui donne tout l’argent dont il a besoin et n’intervient pas », dit Mme Kawase, connue pour ses images travaillées et son oeuvre personnelle animée par la communion avec la nature et le rapport aux autres. « Il dit que c’est un environnement formidable pour les réalisateurs et je pense qu’il a bien raison », ajoute-t-elle.
– Oeuvres recyclées –
Selon Mme Kawase, les investisseurs japonais ne prennent pas le risque d’investir dans un film basé sur un scénario original dont ils ne peuvent pas prévoir les profits.
En ce sens, les cinéastes ici « ne sont pas vraiment en mesure de créer ce qu’ils veulent », d’autant que les sponsors sont, dit-elle, « obnubilés par la notoriété des acteurs: ils ne veulent que ceux qui peuvent rapporter de l’argent ».
« Par conséquent, nous devons chercher des financements étrangers, mais alors ces films peuvent ne pas être couronnés de succès au Japon », précise-t-elle.
Quelque 610 films ont été produits dans l’archipel l’an passé, dont beaucoup sont basés sur des mangas à succès ou des romans déjà déclinés en dessins animés ou séries TV et qui sont transposés en longs-métrages d’animation ou films incarnés par des stars du petit et grand écran. Les trois quarts des 40 plus gros succès de 2016 sont des adaptations d’oeuvres existant sur un autre support.
Ce « mediamix » tend à resserrer considérablement les possibilités de réaliser un film sur la base d’un scénario créé ex-nihilo, car la mécanique en oeuvre est celle d’un financement à tiroirs qui va vers les dérivés d’une même histoire exploitée à outrance. La plupart de ces films ne sortent pas à l’étranger et n’attirent pas les récompenses.
Le point de vue critique de Naomi Kawase, qui a aussi été à Cannes lauréate du Grand Prix en 2007 avec « Mogari no mori » (La forêt de Mogari), rejoint celui d’autres grands du septième art japonais, comme Hirokazu Kore-eda.
Le réalisateur de « Tel père, tel fils » avait dit fin 2016 à l’AFP « craindre que le cinéma japonais ne finisse par péricliter, à force d’être renfermé sur lui-même et de ne pas du tout se tourner vers l’étranger ». « Dans un contexte où l’objectif premier est de vendre, un contenu audiovisuel ne peut pas prendre de la hauteur en tant qu’objet culturel », soulignait-t-il.
« Plus de réalisateurs vont à l’avenir vouloir travailler avec Netflix ou Amazon. S’il reste comme il est, tout le secteur va couler », a-t-il dit à l’AFP.
LNT avec AFP