Quel est le comble pour un lancement digital quelconque ? Un bad buzz. Et il ne finit pas de s’amplifier dans le cas du désormais fameux #MoroccoTech. C’est tout le secteur de la tech, du digital, de l’IT, des startups, qui vit une sorte de #metoo depuis le lancement de la marque digitale marocaine.
Les règlements de compte n’en finissent pas dans cette histoire où on ne sait déjà plus qui croire. Les révélations de notre confrère le1.ma ont mis un coup de pied dans la fourmilière même si sa véhémence interroge.
Médias24 temporise en relayant les explications et éléments de langage bien huilés du ministère. Le Desk contribue à révéler le pot aux roses mais se fend finalement d’un article « d’enquête » qui reprend exactement la même chronologie, détaillant les mêmes arguments, usant de quasiment les mêmes expressions « de geek », que les réponses d’Amine Zarouk et Mehdi El Alaoui dans leur interview parue ce mercredi dans nos colonnes. Preuve s’il en est d’une communication bien pensée derrière la désinvolture affichée.
L’Economiste, arbitre le match en survolant la mêlée à coups d’éditoriaux inquisiteurs et prend la défense de ceux qu’on nomme les Sages mais qui pourtant ne se mouillent pas et ne prennent pas la parole ouvertement.
Même ni9ach21.com y trouve son compte avec un bel article de gauche qui doit rappeler des souvenirs d’engagement à beaucoup d’endormis qu’on n’entend plus.
Qui a dit que la presse au Maroc était unanime et sonnait toujours la même cloche ? Si l’avenir du digital est perdant dans cette histoire, c’est au moins un bel exercice d’expression démocratique qui se déroule en ce moment.
En réalité, les enseignements sont déjà clairs, parce qu’il n’y a rarement de fumée sans feu. Quel que soit le camp gagnant dans cette histoire, ce ne sera certainement pas la « Digital Nation » marocaine. Pourtant, l’heure est grave, le Maroc n’est même pas en retard, il patauge. Le lancement de MoroccoTech n’a été que le catalyseur d’une réalité bien connue par chez nous, il est très difficile de différencier le bon grain de l’ivraie !
Or, le salut de notre pays en termes d’inclusion sociale, de croissance économique, d’emplois sur des générations, de perspectives pour nos enfants, passe inexorablement par le digital. Pourquoi? Parce que d’abord, il y a un terreau favorable au Maroc, une jeunesse ultra connectée, autodidacte, anglophone comme 90% du web mondial, ayant de fortes appétences pour les sciences. Ensuite, parce que toute cette matière grise pourrait aider le Maroc à faire des bons en avant structurels, les fameux « Leapfrog » chers aux cabinets de conseil, dans des domaines où le différentiel à combler est colossal pour un pays sans ressources rentières, l’éducation, la santé, l’agriculture, l’administration pour ne citer qu’eux.
Parmi tous les belligérants de ce qui restera certainement comme le #MoroccoTechGate, parmi également tous les noms cités bien souvent malgré eux pour servir les agendas du moment, des compétences solides, expertes, incontestables existent au Maroc. Comme dans d’autres secteurs, nous avons déjà des top performers dans de nombreuses niches digitales, des mastodontes mondiaux solidement installés, et qu’on le veuille ou pas, un écosystème de startups dynamique.
Quel rôle peuvent jouer les pouvoirs publics?
D’une part, agir rapidement sur le cadre législatif, fiscal et juridique, encadrant l’activité digitale, l’innovation technologique, la blockchain, les cryptomonnaies, la data, tout le tralala incompréhensible pour le commun des mortels mais préalables indispensables à toute ambition digitale.
Connaitre les contraintes inhérentes aux activités des différentes entreprises du secteur et les adresser, c’est faciliter le développement naturel, la sélection naturelle même dans un secteur qui continuera à se développer par essence et où les meilleurs s’imposeront en plus grand nombre, entrainant avec eux l’emploi des jeunes. C’est une approche libérale mais le web est libéral, la technologie également.
D’autre part, c’est au niveau de l’éducation et de la formation que le bât blesse. Nos facs (pour ceux qui y arrivent) sont pleines à craquer d’aspirants juristes, gestionnaires et autres, sans aucun espoir de débouchés dans la vie active. C’est là que les pouvoirs publics peuvent avoir un impact fort, en obligeant une marche forcée vers une éducation entièrement repensée pour répondre aux métiers de demain. Formons des développeurs par milliers, ce sont les nouveaux ingénieurs du 21ème siècle, 1337×1337 !
Enfin, les pouvoirs publics devraient et pourraient se contenter d’abord de se concentrer sur leur propre digitalisation. Plutôt qu’un partenariat public-privé, c’est une date butoir pour la digitalisation de toutes les administrations qui devrait être la priorité. Et comme certains services publics ont excellé dans leur mutation numérique, cela ne devrait pas prendre autant de temps et de tergiversations.
Au fond, on a le sentiment que seule une belle et forte impulsion royale, à l’image de celle de la Biotech de Benslimane pour le secteur pharmaceutique marocain, pourrait siffler la fin de la récré et mettre tout le monde au travail.
Zouhair Yata