Amine Zarouk (g.) et Mehdi El Alaoui, Président et Vice-président de l’APEBI
Le lancement en grandes pompes de la marque MoroccoTech a généré une pléthore de réactions et de polémiques autour de l’événement et de ses organisateurs. Présentée à tort comme une initiative montée à la va-vite pour satisfaire les exigences du bilan des 100 premiers jours du nouveau Gouvernement, MoroccoTech est en réalité un projet de longue haleine, sur lequel pouvoirs publics et secteur privé ont collaboré longuement. Cheville ouvrière de ce mouvement, et donc cible principale des critiques, l’APEBI représentée par son Président Amine Zarouk et son Vice-président Mehdi El Alaoui, répondent dans cet interview aux interrogations soulevées par le lancement de MoroccoTech.
La Nouvelle Tribune : Pouvez-vous présenter MoroccoTech à nos lecteurs, de sa genèse à sa concrétisation lors de son événement de lancement ?
Amine Zarouk, Président de l’APEBI : A l’origine, l’APEBI a développé un programme ambitieux à l’arrivée du Covid qui a provoqué une réflexion avec comme objectif « Comment aider le citoyen durant cette période particulière ? ». Nous avons donc lancé l’opération HackCovid qui visait à aider toute start-up ou toute idée d’innovation qui peut servir le citoyen en lui offrant une accélération avec l’aide de l’APEBI. Dans ce contexte, nous avons organisé le 10 juin 2020 une conférence sur la thématique « Rôle du digital dans la relance industrielle post-covid ? » avec la participation du ministre My Hafid El Alamy qui y a déclaré compter fortement sur l’APEBI et a demandé que l’association fasse des propositions concrètes qu’il s’engagerait à mettre en œuvre.
Mehdi El Alaoui, Vice-président de l’APEBI : La mission était initialement donc plus large que le rôle sectoriel de l’APEBI mais au service plutôt d’une vision pour une « Digital Nation ». L’AUSIM a été impliquée fortement avec Maroc Numeric Cluster et MSEC pour produire 22 mesures représentées dans le “Pacte Maroc Digital”. Le Pacte a été présenté au ministre El Alamy en septembre 2020. Ces mesures étaient accompagnées de propositions budgétisées pour le projet de Loi de Finances PLF21 mais les contraintes que le Maroc a connu à cause de la pandémie ont relégué ces mesures comme non prioritaires. Cela a généré une forte déception des acteurs impliqués, mais nous avons compris que c’était tout à fait compréhensible dans le contexte. Les mesures ont été jugées trop ambitieuses parce qu’elles nécessitaient notamment des ajustements dans de nombreux secteurs qui ne sont pas sous la tutelle du ministère.
Amine Zarouk : Dès lors, notre initiative s’est reconcentrée sur le secteur du Digital et nous avons participé activement à la « War Room » du ministère dont l’objectif était de permettre de concrétiser l’engagement du ministre avant la fin de son mandat. Les mesures initiales ont donc été repensées avec par exemple la constitution d’une « Banque de projets » qui méritaient un accompagnement fort, mais aussi l’idée du développement d’une brand digital « Maroc » qui est une des actions prévues. De très nombreux acteurs du numérique étaient présents lors de cette War Room et sur une dizaine de propositions de noms pour cette marque digitale, le nom MoroccoTech a emporté quelque 70% des suffrages. Nous avons avec l’AMDIE travaillé sur le logo, d’où la cohérence avec la marque Morocco Now. Enfin, concernant le nom de domaine lié à la marque nouvellement créée, c’est l’ANRT qui a réservé le domaine morocco.tech pour le compte du ministère.
Mehdi El Alaoui : Le document initial, issu de ces différentes étapes fait une centaine de pages avec des budgets, des objectifs chiffrés d’emplois et de chiffre d’affaires, un document sur lequel l’APEBI s’est engagé après une longue période d’échanges et d’aller-retours avec le ministère. D’ailleurs, la signature du contrat cadre avec le lancement de la marque était prévu le 28 juillet 2021, mais il a été décalé par le ministère parce que le budget n’était pas sécurisé. En même temps, l’Assemblée générale de l’APEBI était prévue fin juillet et Moulay Hafid ElAlamy qui était l’invité, malgré toute sa bonne volonté, n’a pas réussi à obtenir les budgets à temps.
De nombreux acteurs dont en premier lieu le Ministère chargé de la Transition numérique, sont associés à ce lancement. Comment la transition s’est faite avec le nouveau ministère ?
Amine Zarouk : La Direction de l’économie numérique et l’ADD sont les bras armés du ministère depuis la nouvelle gouvernance, donc le dossier est passé naturellement de main en main avec des réunions de transition et une passation officielle entre les deux ministres. La nouvelle ministre a challengé tous les sujets à nouveau et l’APEBI, qui avait fait ses recommandations à la Commission spéciale pour le nouveau modèle de développement et au CESE, a retravaillé ses propositions dans ce cadre.
Mehdi El Alaoui : La ministre ayant ajouté une dimension directement issue des recommandations de la CSMD : l’impact direct du numérique sur le citoyen, la copie de l’APEBI a été revue pour intégrer, entre autres, un indicateur de performance pour mesurer l’impact sur la vie des citoyens de la feuille de route en discussion.
Parmi les critiques nombreuses qui ont été relayées depuis le lancement de MoroccoTech, celle d’une ambition démesurée est la plus inquiétante. Dans quelle mesure MoroccoTech a-t-elle les moyens de ses ambitions ?
Mehdi El Alaoui : L’APEBI avec le ministère, ont défini un budget pour atteindre les objectifs après d’âpres négociations parce qu’un contrat programme public-privé nécessite ce type de discussions. Comme il n’était pas possible de mobiliser tout le budget du premier jour, la priorité a été donnée à créer des synergies entre tous les programmes existants des ministères pour faire « matcher » les budgets existants avec les objectifs du contrat programme pour le numérique. Mais, au préalable, afin de coaliser ces actions sous le même étendard, il a été convenu de la nécessité du lancement de la marque MoroccoTech, qui est censée être là pour révéler les talents, les regrouper et favoriser leur reconnaissance.
Amine Zarouk : L’objectif de la marque MoroccoTech est d’abord de valoriser la production nationale pour favoriser son export à l’international. La stratégie de déploiement était donc basée sur une logique de « Lean management » afin de faire progresser la feuille de route malgré les contraintes. Lorsqu’on veut digitaliser la santé par exemple, il faut que les acteurs sectoriels puissent faire confiance à l’offre marocaine pour développer les compétences locales, garder les talents et les attirer de l’extérieur.
Mehdi El Alaoui : Donc oui, la stratégie est ambitieuse mais d’autres stratégies sectorielles l’ont été et ont réussi à l’image de l’automobile ou l’aéronautique ou encore les énergies renouvelables, donc c’est une position assumée. Cette stratégie est bien plus inclusive qu’elle n’en paraît avec la présence de l’écrasante majorité des représentants et acteurs du numérique lors de l’événement de lancement et pas uniquement l’écosystème des start-ups, mais aussi l’UM6P par exemple, ou les télécoms représentés doublement en tant que membres de l’APEBI et par l’ANRT. Par ailleurs, il est important de noter que l’APEBI n’est pas l’unique structure impliquée dans le lancement de MoroccoTech. A titre d’exemple, le Comité scientifique est présidé par le président de l’AUSIM et toutes les entreprises « showcasées » lors de l’événement ont été sélectionnées par vote à la majorité, le ministère ne votant pas en tant que garant de la transparence du process.
Concrètement, quelles sont les grandes lignes de la feuille de route de cette plateforme et quels en seront les jalons quantifiables en termes de réalisations ?
Amine Zarouk : Le plan d’action élaboré dans le cadre de MoroccoTech a identifié des écosystèmes prioritaires en la Fintech, l’Agritech, la HealthTech, l’offshoring des services IT, le GovTech, l’EdTech et l’e-commerce. Les mesures prévues sont inclusives avec notamment en priorité le renforcement de l’infrastructure, l’élargissement du marché digital local, la multiplication des zones d’accélération numérique, le soutien à l’export ainsi que l’accompagnement des entrepreneurs et investisseurs digitaux.
Mehdi El Alaoui : Il appartient désormais au ministère de mettre en place la mise en œuvre de ses actions pour répondre aux nombreuses attentes qui espèrent que le Maroc réussira à parcourir tout le chemin qu’il reste à faire pour concrétiser l’ambition de MoroccoTech.
Que répondez-vous aux critiques très virulentes de ces dernières semaines concernant votre bilan à la tête de l’APEBI dans le contexte concomitant du renouvellement des instances de l’APEBI avec le lancement de MoroccoTech ?
Mehdi El Alaoui : La critique est constructive, sauf les attaques ad hominem, contre lesquelles des procédures en diffamation sont en cours. Sur notre bilan à l’APEBI, le travail phénoménal sur ces deux ans a abouti à cette urgence de lancer le coup d’envoi de cette initiative. C’est un travail rassembleur, il y a eu des couacs mais par exemple le dépôt de la marque qui est à l’origine de cette fausse polémique est tout simplement une erreur d’interprétation dans la mesure où la proactivité de l’APEBI qui est une structure reconnue par les pouvoirs publics et qui donc ne peut rien « faire » dans ce domaine seule, avait pour but de sécuriser la marque. De même, le site web qui a été créé est uniquement destiné à la landing page de l’événement et le site en morocco.tech est en cours. En simple réflexe de geek qui n’est pas inconnu aux gens du métier et compte tenu du fait que le nom commençait à fuiter, il a été discuté qu’il fallait le déposer rapidement.
Amine Zarouk : Concernant le renouvellement des instances dirigeantes, le Conseil d’administration de l’APEBI qui s’est tenu en décembre dernier, a validé une feuille de route à l’unanimité qui a été suivie à la lettre en termes de procédure et l’appel à candidature a d’ailleurs été publié dans les colonnes de l’Economiste. Notre candidature en tandem a toujours été pensée comme telle. Mais, plutôt que de rempiler pour un second mandat à la Présidence de l’APEBI comme tous nos prédécesseurs, nous avons opté pour une formule qui nous permet de poursuivre nos efforts entamés depuis deux ans (nous avons par exemple connu une augmentation de 20% de nos membres) tout en réinjectant du sang neuf dans l’équipe, qui il faut le rappeler, agit de manière totalement bénévole.
En bref, pourquoi faut-il continuer de croire en MoroccoTech ?
Amine Zarouk : Tout d’abord parce que ce projet est une victoire de la persévérance pendant plusieurs années de différents acteurs dont nous faisons partie, à travers d’innombrables heures de travail, de réunions, de préparation des dossiers et de réflexions communes au service d’une vision pour le Maroc digital de demain.
Mehdi El Alaoui : La seconde victoire de ce projet ambitieux est d’avoir réussi à intégrer durablement ce sujet du développement et du financement du numérique dans l’agenda du Gouvernement tout en fédérant autant d’acteurs. Maintenant que l’APEBI a joué son rôle de catalyseur auprès des pouvoirs publics, les équipes du ministère travaillent désormais à la mise en œuvre concrète des mesures et seront au rendez-vous à l’heure des bilans.
Propos recueillis par Zouhair Yata