Mme Aqallal Laila
Laila Aquallal est une cadre chevronnée de la finance de marché, formée entre New-York et Paris, aujourd’hui directrice au sein de la CBAO, filiale du groupe Attijariwafa Bank au Sénégal. Forte d’une expérience professionnelle aussi riche qu’exhaustive, elle nous livre dans cet entretien à la fois son parcours et les enseignements qu’elle en retire, notamment en tant qu’expatriée.
La Nouvelle Tribune : Mme Aqallal Laila, vous êtes un haut cadre du groupe Attijariwafa Bank en Afrique, à CBAO au Sénégal, je vous remercie d’avoir accepté de participer à ce spécial dédié aux Marocaines qui rayonnent à l’international, pouvez-vous partager votre parcours avec nos lecteurs ?
Mme Aqallal Laila : Je vous remercie également de me donner cette occasion de partager mon parcours professionnel, même si je suis gênée de parler de ma personne.
Mais, pour la journée des droits de la femme et dans l’espoir d’inspirer des vocations, je me sacrifie volontiers à cet exercice.
Le chemin que j’ai parcouru est le reflet de mon tempérament. De fait, je n’aime pas la routine ni rester dans ma zone de confort. J’ai toujours préféré relever des défis et suis à la recherche de nouveaux horizons. C’est d’ailleurs ce qui caractérise mon parcours professionnel, puisque j’ai eu l’opportunité de vivre sur différents continents dont 6 ans en Amérique du Nord où j’ai notamment travaillé chez un leader de la banque d’affaires à New-York.
Après le drame du 11 Septembre 2001, j’ai quitté New-York pour m’installer en Europe. J’avais besoin de renforcer mon expertise en audit et analyse financière et un des BIG 4 était pour moi la bonne occasion.
Après 5 ans à Paris, j’ai décidé de rentrer au Maroc où à l’époque le défi était de mettre en place et de développer un certain nombre de nouveaux produits financiers. J’ai donc rejoint la salle des marchés d’Attijariwafa Bank où j’ai passé 5 années comme experte en change et matières premières.
Après plus d’une dizaine d’années dans les services financiers, j’ai pris la Direction Générale d’un groupe familial que j’ai structuré et rendu profitable en 5 années. Cette expérience m’a beaucoup appris sur l’environnement économique et industriel au Maroc ! Ensuite, je suis revenue à mes premiers amours, la banque et la finance, j’ai été responsable à la banque privée en conseil et gestion de patrimoine.
Après plus de 15 années au Maroc, j’ai à nouveau ressenti le besoin de repartir. J’ai sauté sur l’occasion, qui m’a été donnée au sein de AWB, d’aller à l’étranger sur notre continent ; que je connaissais déjà dans le cadre de mes voyages et activités associatives ; pour occuper une nouvelle responsabilité au Sénégal. Je suis aujourd’hui Directrice des Activités de Marché à la CBAO, filiale du Groupe AWB en Afrique de l’Ouest basée à Dakar.
Vous êtes en effet la 1ère et seule femme expatriée directrice sur le continent africain du Groupe AWB, comment le vivez-vous et est-ce une responsabilité d’ouvrir la voie ?
Sur un plan professionnel, être une femme marocaine nommée pour la première fois à un poste de direction sur le continent africain est à la fois un grand honneur pour moi et un immense challenge.
Le Sénégal est un pays à l’identité forte et affirmée. Dès mon arrivée, j’ai pris la mesure de l’engagement et l’investissement des équipes. Ceci a été pour moi une source de motivation supplémentaire pour m’adapter et cerner rapidement les enjeux.
Je tiens d’ailleurs à remercier mes collègues de la CBAO pour leur accueil chaleureux, leur bienveillance, leur disponibilité, qui ont grandement facilité mon intégration dans un nouveau milieu professionnel où les relations humaines sont au cœur du quotidien.
Avant mon installation à Dakar, j’avais déjà voyagé en Afrique (Kenya, Côte d’Ivoire Égypte, Rwanda, Ouganda etc.) et j’ai pu apprécier l’immense richesse culturelle et historique qui caractérise notre continent.
«On voyage pour changer, non de lieu, mais d’idées».
L’arrivée dans un nouveau pays, en découvrir la culture et l’histoire, force l’humilité et la remise en cause pour éviter l’écueil classique de l’expatrié : projeter son background, ses habitudes et façons de faire sur l’hôte.
Par ailleurs, en tant que femme, je mets un point d’honneur à montrer tous les jours que changer de pays et construire une carrière à l’international n’est pas incompatible avec la vie de maman!
On entend souvent des préjugés selon lesquels une femme ne peut pas s’expatrier ou ne pourrait pas occuper un poste de direction, est-ce le cas dans votre environnement ?
Personnellement, je pense que cet esprit de barrer la route aux femmes, est souvent lié à la culture et à la politique de l’entreprise.
Au sein du Groupe AWB, nous avons plusieurs femmes qui font partie du Top 30. Nous avons aussi la chance d’avoir une Direction Générale qui valorise exclusivement la compétence et les résultats.
Avec la Direction Générale de la CBAO, relever des défis et assumer les responsabilités dans de bonnes conditions est une exigence au quotidien, pour tous.
Mais, effectivement, dans certains environnements où les hommes prédominent, il est plus difficile pour une femme d’accéder à de telles responsabilités. Pourtant, inutile de préciser que les femmes ont beaucoup de potentiel et d’ambitions. Il faut dépasser ces réticences et préjugés quant à la capacité des femmes à accéder à des postes de responsabilités aussi bien au Maroc qu’à l’international. Je réclame haut et fort que les femmes ne doivent pas freiner leur ambition ! Il faut travailler, s’armer de patience, persévérer et trouver un sponsor qui saura reconnaitre plutôt la compétence que le genre.
Comment réussir son expatriation quand on est une femme ? Quels sont les accomplissements dont vous êtes la plus fière ?
Tout d’abord la réussite d’un projet d’expatriation n’est pas une question de genre.
«Que l’on me donne six heures pour couper un arbre, j’en passerai quatre à affûter ma hache».
Selon cet adage d’Abraham Lincoln, la clé du succès d’une d’expatriation repose sur une bonne préparation.
En ce qui me concerne, avant d’arriver au Sénégal, j’avais pris attache avec des personnes qui y ont vécu pour m’enquérir de leurs expériences et connaître les spécificités de ce beau pays.
Puis, j’ai effectué des recherches personnelles sur la grande histoire et la riche culture du Sénégal pour mieux comprendre les particularités et enjeux de sa société.
Une fois arrivée à Dakar, j’ai comme on dit, laissé une partie de mes certitudes derrière moi pour venir découvrir par moi-même le pays et accueillir ses différences culturelles.
Dès lors qu’on s’installe dans un nouveau pays, on se doit d’avoir une ouverture d’esprit, de la curiosité, la volonté et l’humilité de partager son expertise.
Que ça soit sur le plan professionnel avec mes collègues que j’apprends à connaitre et à apprécier, ou sur le plan personnel, en voyageant dans le pays, je vis une expérience extrêmement intéressante et enrichissante. Sans compter sur un fait établi, le Sénégal est un pays chaleureux qui a beaucoup de proximité culturelle avec le Maroc.
Si je dois ne citer qu’un accomplissement dont je suis le plus fière, c’est d’avoir relevé le défi de changer de vie en moins d’une année, et d’avoir réussi mes premiers pas d’intégration.
J’espère à travers mon parcours ouvrir la voie à d’autres femmes et inspirer toutes celles qui souhaiteraient s’expatrier et qui hésiteraient à franchir le pas.
Notre continent offre de nombreuses opportunités professionnelles et il faut que plus de femmes puissent les saisir.
Quels conseils aimeriez-vous partager avec les femmes compte tenu de votre parcours de vie ?
Je pense qu’en tant que femme nous avons beaucoup de croyances limitantes qui nous freinent dans nos ambitions. Souvent nous n’avons pas pleinement conscience de nos capacités et de notre potentiel. Les femmes doivent prendre conscience de leur valeur, avoir confiance en elles et se fixer des objectifs.
Il est important de se projeter et de se demander où l’on veut être dans 5 ans ou 10 ans. Cette trajectoire doit être le moteur aussi bien sur le plan personnel que dans la gestion de carrière. Il est aussi important d’être ambitieuse et d’avoir le courage de sortir de sa zone de confort. En un mot, il faut de l’audace et un brin d’inconscience pour faire bouger les lignes !
Entretien réalisé par Afifa Dassouli