Leurs histoires sont différentes mais leur misère est commune. Ce sont plusieurs dizaines de familles qui vivent, depuis des années, dans des conditions plus que difficiles, au collège Ziraoui, situé sur le boulevard portant le même nom.
Cela a commencé en 2012, lorsque les autorités ont procédé au déménagement des familles de l’ancienne médina et de l’Avenue Royale, dont les vies étaient en danger. En effet, leurs habitations étaient insalubres et risquaient de s’effondrer à n’importe quel moment. Ces évacués ont été placés dans des écoles et d’autres abris provisoires, en attendant d’être relogés dans le cadre de l’opération d’élimination des habitations menaçant ruine, à laquelle le ministère de l’Habitat avait alloué une enveloppe de 360 MDH.
7 ans après, plusieurs familles sont toujours logées dans le collège, sans perspective et sans certitude pour leur avenir. Ceux qui ont profité dee logements sont partis vivre dans les quartiers d’Errahma ou Lahraouiyine, ceux qui sont restés se posent mille et une questions sur la politique de distribution des appartements aux bénéficiaires.
« J’ai habité ma maison pendant 36 ans et j’ai été contrainte de quitter comme toutes les familles qui vivent ici. Je trouve anormal que ma voisine qui a habité l’immeuble à peine 7 ans a profité d’un appartement et pas moi ! Pourquoi, sur quels critères se basent-ils dans l’attribution des logements ? », s’interroge une sexagénaire. « Il y a des familles qui ont été relogées moyennant 70 000 Dh, d’autres 100 000 DH, à nous, on demande 200 000 DH, c’est insensé ! Nous n’avons pas de revenu fixe et la banque refusera de nous donner un prêt », s’insurge un père de famille.
Au début de l’opération d’évacuation dans les centres d’accueil, plusieurs familles ont refusé de quitter leur maison, au risque de perdre la vie, tout simplement parce qu’ils craignaient de voir le provisoire durer, et c’est malheureusement ce dont souffrent les pensionnaires du collège Ziraoui.
« Cela fait 7 ans que nous vivons dans ce collège, nous sommes parmi les premiers qui ont été évacués… Ici, nous vivons dans des conditions lamentables, dans l’indifférence des autorités et des responsables… Ma fille a été violée dès notre arrivée, elle avait à peine 13 ans. Elle a tenté de se suicider juste après et a survécu par miracle », témoigne une mère de famille.
Aujourd’hui, alcool, drogue et prostitution… sont le quotidien des habitants de ce collège, qui était censé être un refuge temporaire pour ces familles, mais qu’elles n’ont plus quitté depuis des années. Leur quotidien est une série de mésaventures en attendant des jours meilleurs.
« Il y a quelques jours, j’ai surpris un homme essayant d’entrainer mon fils de trois ans avec lui. Je vous laisse imaginer ce qui se serait passé si je ne l’avais pas surpris », nous raconte une mère scandalisée par ce qui se passe dans cette habitation. « Il n’y a aucune sécurité ici, n’importe qui peut entrer et sortir sans qu’il soit dérangé», ajoute-t-elle.
« Nous sommes oubliés ici, nous vivons comme les réfugiés syriens si ce n’est pire ! Et encore, eux ils ont fui la guerre, nous nous sommes ici dans notre pays et nous sommes traités comme des moins que rien ! », s’indigne une autre maman.
Certaines familles rencontrées refusent le relogement à Errahma en raison de son éloignement de leur lieu de travail et des frais de transport qu’ils devraient supporter en plus du loyer, alors qu’ils n’ont qu’un petit revenu. « Le père de famille qui est mort il y a deux semaines à Derb Maâizi avait été relogé à Errahma et avait dû revenir à sa maison parce qu’il n’avait pas supporté la vie là-bas. Il a donné un pot de vin, et on lui a ré-ouvert la maison. Quelques jours plus tard, le drame est arrivé », nous explique-t-on. « Pour les familles qui viennent des campagnes, un apparentement n’importe où à Casablanca est une aubaine, c’est pour cela qu’ils ont accepté de s’éloigner du centre-ville. Pour moi qui suis née au centre-ville et ai grandi ici, c’est inimaginable d’habiter ailleurs », affirme une mère de famille.
Les familles dénoncent la corruption et la non-transparence qui entourent le dossier des relogements, et ne savent plus à quel saint se vouer.
« Nos enfants n’ont pas un milieu sain où grandir, étudier et s’épanouir. Il y a des disputes tous les soirs, on a peur pour eux. Je ne veux pas que mon fils devienne un drogué ou un alcoolique parce que c’est le seul exemple qu’il a ici », déplore une maman. « Nos enfants fuient dans les immeubles avoisinant pour pourvoir étudier dans le calme et se concentrer sur leurs devoirs. Ils sont détruits mentalement ! », ajoute-t-elle.
En attendant, des salles de cours font office de chambres à coucher et de cuisine pour parents et enfants, sans aucune intimité ; les toilettes sont communes ; les salles de bains aussi… des conditions misérables qu’on peine à imaginer en plein Casablanca, en 2017.
Asmaa Loudni
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