Annonce du rétablissement des relations diplomatiques entre le Maroc et la République de Cuba
L’accord de rétablissement des relations diplomatiques au niveau des ambassadeurs entre le Royaume du Maroc et la République de Cuba, signé vendredi 21 avril à New York entre les représentants permanents de ces deux Etats à l’ONU, est une avancée fondamentale pour la diplomatie marocaine.
En effet, il n’y avait plus de lien formel et officiel entre Rabat et La Havane depuis 1980, date à laquelle le régime cubain avait cru bon de reconnaître la soi-disant RASD, entraînant ainsi la rupture avec le Royaume.
D’une pierre, plusieurs coups royaux
Affirmer qu’il s’agit là d’une avancée fondamentale est peut-être en deçà de la réalité et de l’importance stratégique de cette très belle matérialisation de la realpolitik appliquée aux relations interétatiques.
En effet, ce sont plusieurs objectifs majeurs de la diplomatie marocaine qui sont ainsi atteints pour une seule action.
Mais, au préalable, on reconnaîtra que cette normalisation maroco-cubaine est d’abord et avant tout le résultat de la vision stratégique personnelle du Roi Mohammed VI, qui réussit ainsi une nouvelle percée décisive dans la réalisation de l’un des objectifs majeurs de son règne, celui du rétablissement complet et définitif de la souveraineté et l’unité nationales.
Bien évidemment, on ne manquera pas de lier cette nouvelle victoire à toutes les précédentes et notamment le retour du Royaume au sein de l’Union Africaine au début de l’année, le succès planétaire de la COP22 tenue à Marrakech en novembre 2016, mais aussi la nouvelle dimension de la politique africaine du Maroc, exprimée par le fort rayonnement de notre pays à l’échelle continentale, tous azimuts.
Pour apprécier correctement l’impact et les conséquences de cette normalisation entre Rabat et La Havane, il convient en premier lieu de l’évaluer en termes de relations bilatérales.
Le Maroc, monarchie constitutionnelle et parlementaire, renoue avec Cuba, république socialiste à système de parti unique, (le Parti Communiste cubain).
Le premier pratique le multipartisme, l’économie de marché et l’ouverture sur le monde, tandis que le second, bien qu’évoluant rapidement vers la libéralisation, reste l’un des derniers bastions du « socialisme scientifique », de l’économie planifiée et quasiment autarcique, mais aussi de la pensée unique et de « la dictature du prolétariat ».
Deux modèles opposés, ce qui explique, en bonne partie, que Rabat et La Havane ont appartenu à deux camps différents lors de la guerre froide et de la division bipolaire du monde, jusqu’à la chute du Mur de Berlin, (1945-1989).
Un passé commun contre le colonialisme
Mais il n’en a pas été toujours ainsi. En effet, à l’aube des années soixante du siècle passé, la politique extérieure du Maroc était fortement influencée par les principes et idées du Mouvement des Non-Alignés.
Rabat, sous l’impulsion de feu Mohamed V, puis de feu Hassan II, oeuvrait activement à promouvoir la nécessaire décolonisation du continent africain, notamment en soutenant les mouvements révolutionnaires en lutte contre le colonialisme portugais, (Angola, Mozambique, Cap Vert, Guinée Bissau), contre l’apartheid sud-africain, (ANC, avec Nelson Mandela), mais aussi en faveur des nouvelles équipes dirigeantes africaines, comme le président Patrice Lumumba au Congo ex-belge.
Le Maroc était à cette époque le chef de file du Groupe de Casablanca, préfiguration de l’Organisation de l’Unité Africaine, fondée en 1963 à Addis-Abéba.
Des relations avaient été donc nouées avec des mouvements tiers-mondistes et le Royaume, sous la primature de Moulay Abdallah Ibrahim, avait reçu, en août 1959, Ernesto Che Guevara, alors ministre de l’économie cubaine, quelques mois donc à peine après la prise du pouvoir à La Havane de Fidel Castro et des « barbudos ».
En cette occasion, plusieurs accords bilatéraux avaient été conclus, notamment pour la livraison de sucre de canne cubain au Maroc et de phosphates marocains à Cuba.
De la baie des cochons à l’OSPAAL
Avec « la crise des missiles » intervenue en fin 1962 et l’entrée en vigueur du blocus américain contre l’île « révolutionnaire et marxiste-léniniste » située à 500 kilomètres des côtes de Floride, le Maroc, qui se rapprochait progressivement du bloc occidental, mit fin à l’accord bilatéral avec le régime castriste, sous la pression directe des Etats-Unis.
Bien évidemment, l’Algérie s’empressa de prendre la place du Maroc dans la politique cubaine en Afrique du Nord, notamment matérialisée par le soutien et la présence de plusieurs dizaines de maquisards de Fidel Castro à Alger durant « la guerre des sables », rapidement et facilement remportée par le Royaume contre l’Algérie (1963).
Autre facteur du refroidissement progressif qui s’installa entre les deux Etats, l’action de feu Mehdi Ben Barka, exilé du Royaume, et qui avait joué un rôle éminent dans la constitution de l’alliance anti-impérialiste montée par La Havane, l’Organisation de Solidarité avec les Peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique Latine, (OSPAAL ou Tricontinentale), avant son enlèvement et son assassinat à Paris en septembre 1965.
Les relations diplomatique perdurèrent néanmoins jusqu’au tout début de la décennie 80, marquées notamment par la présence dans les universités cubaines de plusieurs dizaines d’étudiants marocains, envoyés par les diverses organisations du mouvement progressiste national et les syndicats ou encore la liaison aérienne hebdomadaire assurée par la compagnie soviétique Aeroflot qui reliait Moscou à La Havane avec une escale à Rabat !
Avec le processus de récupération de nos provinces du Sud, entamé par la Marche Verte de novembre 1975, l’écart se creusa encore un peu plus dès qu’il apparut que Cuba, liée par son soutien inconditionnel envers l’Algérie, mettait armes, instructeurs et appareil diplomatique au service des séparatistes, en une exacerbation d’une vision tronquée par des présupposés idéologiques, des automatismes réducteurs et au mépris du droit des peuples au parachèvement de leur unité nationale.
La rupture officielle des relations diplomatiques en 1980 ne vint donc que consacrer un état de fait établi depuis plusieurs années, le Maroc refusant le double jeu et la politique du fait accompli.
La fin de l’utopie
Mais aujourd’hui, tout ceci est caduc, oublié, dépassé, grâce au coup diplomatique magistral opéré personnellement par le Roi Mohammed VI qui, à la faveur d’un séjour privé à Cuba, a réussi à renouer avec les dirigeants castristes.
La relance des relations diplomatiques bilatérales s’explique d’ailleurs parfaitement du point de vue cubain alors que le régime de La Havane a entrepris, depuis quelques années déjà, de procéder à une révision majeure de sa politique extérieure, mais aussi de son modèle de développement économique.
Cuba ne peut plus compter sur le soutien du « camp socialiste » depuis la chute du Mur, ce qui a a entraîné au cours des vingt dernières années l’exacerbation des difficultés que vivent au quotidien les Cubains.
Les amis latino-américains ne sont plus aussi riches qu’avant et Maduro, successeur du castriste Chavez, a plongé le Venezuela dans la misère après la dégringolade des cours mondiaux du pétrole.
La retraite de Fidel, quelques années avant sa mort, était annonciatrice d’un aggiornamento de la politique du régime cubain, et l’on a vu des évolutions, d’abord lentes et timides, puis de plus en plus affirmées, comme la visite de Barack Obama sur l’île, suivie du rétablissement des relations diplomatiques avec Washington, la généralisation des connexion à Internet, l’instauration d’une NEP à la cubaine avec quelques pans de l’économie concédés au secteur privé, la possibilité de disposer de dollars américains ou encore le concert gratuit des Rolling Stones sur la célèbre Place de la Révolution de la capitale !
Raoul Castro et son entourage ont compris que la page de la « revolucion », entamée dès les premiers jours de la guérilla dans la Sierra Maestra, au début de la décennie 50, était désormais définitivement fermée et que Cuba devait sortir au plus vite de son autisme et de son autarcie, sous peine de connaître, tôt ou tard, la fin promise à tous les régimes non démocratiques.
Et le fait même d’accepter la visite privée d’un roi, celui du Maroc de surcroît, représentait parfaitement la nouvelle ère qui s’imprime chaque jour un peu plus à La Havane.
Le séjour du Chef d’un Etat qui n’avait plus de relations diplomatiques avec Cuba depuis 37 années, était-il concevable s’il n’y avait pas, en « subliminal », le déroulement d’une stratégie mutuellement partagée par les deux protagonistes ?
Urbi et orbi, la nouvelle donne diplomatique marocaine
Pour le Royaume quant à lui, les gains, comme écrit plus haut, sont multiples avec ces retrouvailles diplomatiques.
On dira tout d’abord qu’il s’agit-là de l’illustration de la tendance « mondialiste » de la diplomatie telle que voulue par le Souverain et matérialisée par l’établissement de relations pérennes et soutenues avec tous les Etats qui comptent sur la planète.
Avec l’Europe, bien sûr, France et Espagne en tête, les Etats-Unis, certes, la Russie, la Chine, l’Afrique, (dans toutes ses sous-régions), mais aussi l’Amérique latine, l’Asie, etc.
Grâce au Roi Mohammed VI, le Maroc s’est véritablement ouvert au monde, en un dépassement bienvenu des contraintes idéologiques qui, dans le passé, avaient lourdement pesé sur nos alliances et amitiés extérieures.
Et, pour atteindre l’objectif escompté, c’est-à-dire la reconnaissance du bien-fondé et de la légitimité de notre revendication d’unité nationale et de recouvrement de notre souveraineté sur l’ensemble du territoire, il importait d’en finir avec les vieux réflexes nourris par la politique de la chaise vide ou du superbe isolement !
Cette démarche, patiente, minutieuse, a porté ses fruits, année après année, et le Royaume commence à les cueillir, un à un.
L’Union Africaine a retrouvé l’un des ses membres fondateurs, parce que désormais le Maroc ne craint plus d’affronter « les yeux dans les yeux » et dans les mêmes cénacles les mercenaires stipendiés du polisario.
Avec Cuba, la stratégie est identique, même si La Havane est encore proche de l’Algérie.
L’annonce de la conclusion de l’accord maroco-cubain a plongé dans la consternation la classe dirigeante algérienne et il n’y a qu’à lire les commentaires dépités de la presse de nos voisins pour le percevoir.
Mieux encore, alors que les dirigeants séparatistes s’étaient émus de l’annonce du séjour privé du Roi Mohammed VI à Cuba, les assurances fournies par l’ambassadeur de ce pays à Alger n’ont pas tenu très longtemps.
Les craintes des mercenaires n’étaient pas vaines et la visite du ministre cubain à Tindouf au lendemain de l’accord bilatéral de New York aura sans doute le même effet faiblement soporifique, car tout le monde comprend désormais que pour l’Algérie et son rejeton mercenaire, « le mal est déjà fait car le ver est dans le fruit »…
Gageons donc que les jours et les semaines à venir réserveront d’autres (agréables à nos yeux) surprises, mais aussi que la réconciliation maroco-cubaine augure de beaux lendemains entre les deux pays. Cuba Si !
Fahd YATA