Des bâtiments et le minaret d'une mosquée endommagés par la guerre civile à Marawi, aux Philippines, le 17 octobre 2017 © AFP TED ALJIBE
A première vue, on pourrait croire que les rangées de bâtiments dévastés sont le résultat d’un puissant séisme. Mais les lambeaux de murs troués de balles témoignent en réalité de la guerre urbaine la plus longue de l’histoire philippine.
« Personne ne voulait de ça », a lancé mardi le président Rodrigo Duterte, proclamant la « libération » de la grande ville méridionale « de l’influence des terroristes » après quasi cinq mois de combats avec des jihadistes fidèles au groupe Etat islamique (EI).
La veille, les soldats philippins avaient abattu Isnilon Hapilon, « émir » de l’EI pour le Sud-Est asiatique et leader des combattants.
La bataille pour reprendre Marawi a duré plus de quatre fois plus longtemps que la campagne des Etats-Unis pour libérer Manille des forces d’occupation japonaises à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Pour la sauver de jihadistes qui voulaient créer un « califat » dans le Sud-Est asiatique, l’armée philippine a pulvérisé Marawi, capitale musulmane de l’archipel essentiellement catholique.
Une équipe de l’AFP a vu mardi des volets en métal et des murs criblés de trous. Des bouts de métal tordu encombraient les trottoirs, les rues étaient jonchées de douilles. Des scènes qui évoquent la destruction subie par des villes du Moyen-Orient comme Alep ou Mossoul.
D’après le ministre de la Défense Delfin Lorenzana, il faudra 1,1 milliard de dollars pour reconstruire Marawi.
Au rez-de-chaussée de certains immeubles, les soldats inspectent avec précaution des trouées à peine assez grandes pour laisser passer un homme.
– tactiques inédites –
Elles montrent que le millier de jihadistes qui ont pris certains quartiers de la ville le 23 mai ont mis en oeuvre des tactiques de guérilla urbaine qui ont initialement déconcerté les soldats philippins.
En perçant des trous dans les murs, les islamistes ont transformé des centaines d’immeubles du centre-ville en labyrinthe de tunnels improvisés. Cela leur a permis d’échapper à une campagne sans merci de bombardements aériens, aux avions espion américains et australiens ainsi qu’aux drones.
Ils ont pris des otages, s’en servant comme boucliers humains, comme cuisiniers, comme brancardiers ou pour creuser les tombes de leurs morts.
Ils ont également contraint les otages à piller les maisons à la recherche de liquide et d’armes, et même à combattre à leurs côtés, selon l’armée philippine.
« Ces terroristes emploient des tactiques de combat qu’on a vues au Moyen-Orient », a déclaré à Singapour l’amiral Harry Harris, chef du commandement Pacifique de la marine américaine.
C’est aussi la première fois que des factions inspirées par l’EI unissaient leurs forces pour combattre à une si grande échelle dans la région, a-t-il ajouté.
Les affrontements ont fait près de 1.100 morts, dont 164 soldats et policiers philippins. Un millier de soldats ont également été blessés.
La plupart ont été victimes d’engins explosifs improvisés, de tireurs embusqués, de bombes incendiaires et de roquettes tirées à l’épaule.
Quarante-sept civils ont été tués tandis que près de 400.000 autres ont pris la fuite. « Nous ne voulions pas vous infliger cela », a dit M. Duterte à l’intention des déplacés. « Mais les circonstances nous ont vraiment obligés à agir ».
– combattants étrangers –
Les autorités estiment que les jihadistes, parmi lesquels des étrangers venus de Malaisie, d’Indonésie et même de Tchétchénie, ont constitué des stocks d’armes et de nourriture pendant des semaines, voire des mois, avant de lancer l’assaut.
Ils ont également transformé les mosquées — cibles interdites pour l’aviation et l’artillerie – en nids de snipers, en dépôt de munitions et en cachettes.
« Au début, on a été surpris parce qu’on a l’habitude de combattre dans les zones montagneuses, loin des centres de population », a expliqué le chef de l’armée philippine, le général Eduardo Ano sur Radyo Singko.
Petit à petit, l’armée s’est adaptée aux nouvelles tactiques de combat, se procurant des équipements mieux adaptés comme des fusils de précision et des véhicules blindés, a-t-il ajouté.
Environ 880 jihadistes ont été tués, selon l’armée. Les combats se poursuivaient mercredi dans un quartier proche de la rive du lac de Lanao.
Ce vaste plan d’eau a servi aux combattants comme voie d’approvisionnement en nourriture, carburant, armes et hommes. Quand l’armée a resserré son étau ces dernières semaines, c’est devenu une route pour s’enfuir.
Les autorités se refusent à donner un calendrier pour le retour des habitants déplacés.
Il faut rétablir l’alimentation en électricité et en eau potable mais surtout éviter l’infiltration de nouveaux islamistes, souligne Zia Alonto Adiong, porte-parole des autorités de Marawi.
« On ne veut pas de nouvel incident qui nous obligerait à repartir en mode évacuation ».
LNT avec AFP