En marge du 12è colloque international des Finances publiques, qui s’est tenu à Rabat en fin de semaine dernière, La Nouvelle Tribune a posé 3 questions à M. Omar Raissouni, Inspecteur des Finances et intervenant lors de ce colloque.
La Nouvelle Tribune :
M. Raissouni, vous avez noté lors de votre interventions plusieurs pistes à explorer pour une meilleure justice fiscale. Quels sont, selon vous, les trois chantiers les plus urgents ?
M. Omar Raissouni :
D’abord, il faut avoir plus de moyens face aux personnes qui sont dans une situation de non-conformité fiscale. C’est quelque chose de très important, parce que nous avons encore beaucoup de pratiques de non-conformité, qui sont, d’un côté, génératrices d’injustice sociale, et qui de l’autre ne permettent pas à l’Etat d’avoir plus de moyens pour pouvoir aussi assurer la justice sociale à travers la dépense (l’éducation, la santé, les infrastructures de base, etc.).
Deuxièmement, nous avons aussi un certain nombre de dépenses fiscales qui sont très importantes. Nous avons dépassé 33 MMDH pour 309 mesures évaluées, alors qu’il y a 418 mesures recensées. Donc il reste de la marge pour recenser un supplément de dépenses, et ces dépenses ne cessent de croître. Il faut ainsi, à un certain moment, mettre un terme à ce développement des dépenses fiscales, de manière à les rationnaliser, garder les dépenses fiscales qui sont justifiées, qui atteignent l’objectif économique et social pour lequel elles ont été créées, et éliminer toutes celles qui n’atteignent pas cet objectif. Il faut que cette logique soit constamment respectée, à l’occasion de chaque Loi de Finance, et qu’il puisse y avoir à chaque fois une évaluation.
Le troisième est celui du barème de l’IR. Je crois qu’il est temps, tout en ayant les moyens à travers un élargissement de l’assiette, d’avoir plus de justice fiscale à travers l’IR, qui est un impôt qui touche les personnes physiques. Nous avons encore beaucoup de zones d’injustice sociale à ce niveau. Comme j’expliquais lors de mon intervention, le barème de l’IR va de 2 500 à 15 000 dhs/mois, ce qui est une zone où il y a des contribuables modestes et moyens. Et le taux marginal de 38% commence déjà à 15 000 dhs/mois. Je pense qu’il y a une marge pour essayer d’augmenter les tranches, et peut-être même d’augmenter le taux marginal, pour toucher plus la classe aisée, et surtout, intégrer au niveau de la base d’imposition sur le revenu, tous les revenus, quelle qu’en soit la nature. C’est une question aussi d’équité fiscale, pour que tout le monde contribue de la même manière.
Vous avez également mis le doigt sur la question du contrôle fiscal. Pourriez-vous nous donner plus de détails ?
En fait, le contrôle fiscal a connu une évolution très positive sur le plan législatif. Maintenant, nous avons un arsenal législatif qui est tout à fait capable d’appréhender toutes les situations de non-conformité. Au niveau opérationnel, il y a aussi eu des avancées. Nous faisons beaucoup plus de contrôles. Cela rapporte beaucoup plus d’argent, bien que ce ne soit pas le principal objectif. Mais cela reste, malgré tout, largement insuffisant, par rapport à la couverture de la population fiscale vérifiable. Nous avons une population fiscale qui est importante, et on n’en vérifie que 1%. Je parle là de vérification sur place, qu’elle soit générale ou ponctuelle. Il y a aussi des interventions à partir du bureau, que l’on appelle sur pièces, mais l’essentiel reste de toucher le maximum de personnes.
Malgré tout, nous restons bien en dessous de la couverture qui permet de faire jouer au contrôle fiscal son rôle dissuasif. Parce que le plus important, ce n’est pas ce qu’il rapporte, c’est que les gens qui ne sont pas dans la conformité fiscale puissent intégrer le risque de contrôle fiscal pour améliorer leurs déclarations spontanées. Nous avons un système essentiellement déclaratif, 93% des recettes sont spontanées, contre 7% suite à l’action de l’administration. Donc ce qui est important, c’est que la masse des gens améliorent leur déclaration et intègrent le système, pour que les recettes spontanées augmentent de façon significative. Il faut qu’à ce niveau, le contrôle fiscal puisse être performant, et pour cela, il faut multiplier les interventions de l’administration, qu’elle soit tout le temps présente, qu’elle joue un rôle de veille permanente, pour que les contribuables fraudeurs puissent considérer que le risque fiscal est présent.
Vous aviez soulevé le point de la confiance des contribuables envers l’administration, notamment dans le traitement des réclamations. Comment l’améliorer ?
Quand on parle de justice fiscale, on a tendance à penser aux questions de barèmes. Mais il y a aussi la pratique de la fiscalité, qui est aussi du ressort de l’administration fiscale. Et celle-ci peut être source d’injustice fiscale, par ses interventions. C’est pour cela que je disais qu’il reste des zones d’amélioration.
Evidemment, la dématérialisation est une avancée très importante au Maroc, et elle est salutaire dans l’amélioration de la relation avec le citoyen. On peut considérer que c’est un acquis. Actuellement, 76% des recettes spontanées sont télépayées.
Maintenant, il y a quelques zones à améliorer. Par exemple, tout ce qui est pouvoir d’appréciation de l’Administration. Si ce pouvoir n’est pas bien encadré, il peut aboutir à des situations d’abus, et donc d’injustice fiscale vis-à-vis des contribuables. J’ai notamment donné l’exemple des taxations d’office. Il ne faut pas que cela aboutisse à des impositions excessives, ou insuffisantes. Il y a aussi des situations de détermination des valeurs locatives, en fiscalité locale, ou alors les remises de majoration de pénalité. C’est un pouvoir qui est entre les mains de l’Administration, et plus vous l’encadrez, moins vous avez de risques d’injustice fiscale vis-à-vis des contribuables.
Entretien réalisé par Selim Benabdelkhalek