La Trésorerie générale du Royaume a accueilli en fin de semaine dernière la onzième édition du colloque international de finances publiques, en partenariat avec la Fondation Internationale des Finances Publiques, Fondafip, sur le thème « Finances publiques et Souveraineté des Etats ». M. Noureddine Bensouda, Trésorier général du Royaume, hôte de cet important colloque, en explique pour nos lecteurs les principales idées-forces.
La Nouvelle Tribune :
M. Bensouda, la 11ème édition du Colloque International sur les Finances Publiques, tenue à la Trésorerie Générale en fin de semaine dernière, a porté sur « Finances publiques et Souveraineté des Etats ». Ne s’agit-il pas d’un sujet innovant, qui s’inscrit comme une conséquence de la crise économique et financière qui a sévi dans le monde au cours des 10 dernières années ? Dans votre rapport introductif, vous avez admis que la souveraineté des Etats était affectée par une perte de leur indépendance. Dans quelle mesure ce constat peut-il être relativisé en fonction de la richesse des Etats ?
M. Noureddine Bensouda :
Depuis la première édition du colloque international des finances publiques en 2007, le choix a été fait d’aborder des thématiques d’actualité portant sur les finances publiques.
Certes, la crise économique et financière a eu des conséquences importantes et à des degrés divers sur les économies de plusieurs pays et sur leur souveraineté financière, aussi bien développés qu’émergents ou en voie de développement.
Cependant, d’autres facteurs impactent la liberté de prise de décision en matière de finances publiques, comme cela a été rappelé par plusieurs intervenants à ce colloque. Il s’agit notamment de la mondialisation, de l’essor du numérique, des marchés financiers, des organisations internationales, des agences de rating, etc…
Il s’agit donc pour tous les pays et indépendamment de leur richesse et de leur développement économique, de s’adapter à ce contexte mondial et de faire des choix en toute responsabilité pour en tirer les meilleurs avantages.
Cette souveraineté a muté de politique, nationale, intérieure extérieure et sécuritaire vers des aspects monétaire, budgétaire et fiscal. Quels sont les impacts sur les sociétés, quels sont donc les impacts de ces mutations sur les besoins et les attentes des citoyens et l’amélioration de leur qualité de vie ?
Il ne s’agit pas de mutation, mais plutôt d’acceptions et de connotations du concept de la souveraineté, en fonction du contexte et des objectifs des spécialistes qui s’y intéressent.
Ainsi, la souveraineté peut être politique, nationale, intérieure et extérieure pour les spécialistes du droit. Elle peut être monétaire, budgétaire et fiscale pour les économistes et les experts en finances publiques.
Toutefois, il convient de relever que sous l’effet des différentes crises économiques et financières et leurs impacts sur le vécu des citoyens, ceux-ci s’intéressent beaucoup plus à la souveraineté économique et financière des Etats qu’aux dimensions de souveraineté d’ordre politique.
Si la souveraineté atteint des limites avec la mondialisation, l’internationalisation des économies, et les accords commerciaux, dans quelles mesures les gains économiques attendus par les Etats de leur ouverture se traduisent-ils par une perte de leur souveraineté ? N’est-ce pas là une contradiction ?
Il est vrai que sous l’effet de la mondialisation, du numérique, de l’influence des marchés financiers, etc., la souveraineté des Etats s’érode, mais elle n’est pas réduite à un niveau où les Etat ne peuvent plus prendre de décisions souveraines.
Certes, les marges de manœuvre des Etats peuvent parfois être réduites sous l’effet des crises, de l’endettement excessif, du manque de ressources financières pour faire face aux dépenses publiques, etc. Mais l’Etat ne disparait pas pour autant.
En effet, c’est au moment des crises que l’on a le plus besoin de l’Etat et de la puissance publique.
L’exemple de la crise économique et financière de 2008 est édifiant à ce titre.
C’est d’ailleurs grâce aux interventions des Etats que les effets de cette crise ont pu être jugulés.
Vous énoncez des exemples de perte de souveraineté dans le cadre de l’UE qui impose des agrégats économiques normatifs ou encore les politiques monétaires des banques centrales et la supervision des institutions internationales. Ne pensez-vous pas que les Etats pourraient mieux sauvegarder leur indépendance en commençant par respecter les règles de la bonne gouvernance, ne pas laisser filer leurs déficits budgétaires, leur endettement et leurs sorties sur les marchés internationaux ? Les Etats ne sont-ils pas pris aujourd’hui à leur propre piège ?
Il y a lieu de faire une distinction entre deux types de limitation de la souveraineté.
La première limite consiste en l’abandon volontaire d’une partie de la souveraineté par les Etats lorsqu’ils adhérent à une zone économique, monétaire ou de libre-échange, comme c’est le cas pour les pays de l’UE, de la zone euro, de l’OMC, et qui en assurent les conséquences en termes de bénéfices économiques et commerciaux, et en termes de respect des règles propres aux zones en question.
Il y a la deuxième limite à la souveraineté économique, lorsque face à la dégradation de leurs finances publiques ou de leur balance des paiements, les Etats sont contraints de faire appel à l’intervention des organisations financières internationales, tel que le FMI, qui interviennent au niveau de la gestion financière publique en incitant les pays à mener les réformes nécessaires à ce titre.
Les Etats peuvent également faire appel au marché financier international et dans ce cas, ils doivent accepter l’évaluation de leur gestion financière publique par les agences de notation.
Quelles précautions devrait prendre le Maroc, qui n’a peut-être pas autant perdu sa souveraineté, dans sa double stratégie de développement économique et d’ouverture vers l’Afrique l’Europe et le reste du monde ? La perte de la souveraineté économique est-elle inéluctable dans l’avenir pour tous les pays ? Dans ce cas, ne doit-on pas veiller à une meilleure intégration économique mondiale qui profiterait plus à tous les peuples ?
Pour pouvoir tirer profit des bienfaits de la mondialisation et de l’économie numérique, il faut être responsable, savoir mener les réformes qu’il faut et les mettre en œuvre dans les meilleurs délais possibles.
Il faut ensuite disposer de finances publiques saines, c’est-à-dire, procéder à une bonne programmation budgétaire, mobiliser tout le potentiel fiscal, adapter les dépenses au niveau des recettes, exécuter la loi de finances conformément à ce qui été prévu et en rendre compte dans les meilleurs délais.
Entretien réalisé par Afifa Dassouli