L’investissement est le moteur et la condition première de la croissance. Une telle vérité est pleinement partagée par le Ministre de l’Économie et des Finances, M. Mohamed Boussaid.
Mais comment assurer les flux financiers que nécessite une croissance économique forte, soutenue et pérenne ? L’Etat, premier opérateur économique et premier investisseur du Royaume, engage des fonds importants pour cet objectif. Mais il ne saurait être le seul. Institutionnels, opérateurs privés, investisseurs étrangers, tous ont leur part à fournir dans la réalisation de ce défi majeur, le seul à même de garantir l’emploi, la prospérité et le développement.
Dans l’entretien, fort exhaustif, qui suit, le ministre Boussaid en explique les fondements, les étapes et les conditions
La Nouvelle Tribune: Lors de votre premier mandat, vous avez concentré notamment vos efforts sur les principaux fondamentaux du pays et vous êtes arrivé à des résultats probants. Je citerai entre autres, un solde ordinaire « normal » et la perspective prochaine d’un déficit budgétaire maîtrisé.
Comment appréhendez-vous votre second mandat de Ministre de l’Économie et des Finances, dans un contexte d’exigence de croissance économique ?
Mohamed Boussaid: Même si je n’aime pas trop personnaliser les choses, à mon arrivée à la tête de ce département, le 10 octobre 2013, la situation n’était guère brillante, voire inquiétante. Nos réserves en devises fondaient comme neige au soleil, le déficit budgétaire avait atteint en 2012, 7,6%, et les institutions financières internationales avaient clairement exprimé leurs inquiétudes sur cet état de nos finances publiques et les conséquences sur la dette.
Le cadre macroéconomique était clairement en rupture et le travail prioritaire a été justement de se concentrer sur ce cadre. Il nous fallait donner rapidement des signaux positifs afin de rassurer les entreprises, les investisseurs, locaux et étrangers.
Aujourd’hui, ce travail est en train d’aboutir, même s’il n’est pas terminé. Mais, le Maroc est sorti de la zone rouge et les grands indicateurs macroéconomiques sont rentrés dans la normalité comme l’exprime la Loi de Finances 2017 qui prévoit un déficit budgétaire de 3%. L’endettement public a été réduit et stabilisé, l’inflation maîtrisée, etc.
Pour répondre à votre question, le redressement des fondamentaux de notre pays ne s’est pas fait au détriment du Budget d’investissement de l’Etat, ni des secteurs sociaux, comptes pour lesquels les efforts ont été maintenus.
M. le Ministre, n’avez vous pas été quelque peu aidé par des facteurs exogènes ?
En effet, le redressement des finances publiques et le retour à l’ordre en termes de solde ordinaire, n’ont pas été faits à partir d’un alourdissement des charges fiscales.
Le retour à l’équilibre a été permis, d’abord par une conjoncture plus favorable, il faut le dire, mais aussi grâce à un travail en interne pour mobiliser des financements concessionnels (les dons), pour entamer des réformes au niveau de la compensation, etc.
Résultat, grâce à Dieu, notre pays a gardé sa note souveraine, et les rapports des grandes institutions sont élogieux à l’égard du Royaume sur le plan macroéconomique.
Mais ce travail doit continuer, ce qui s’annonce bien avec un déficit budgétaire autour de 3%, et une croissance comprise entre 4,5% et 5,5%, et en conséquence une baisse de l’endettement.
M. Bousaid , comment expliquez vous qu’en 2016, malgré la stabilisation des fondamentaux, il n’y a pas eu de croissance économique. Qu’en pensez vous sachant que l’Etat est le premier investisseur entrepreneur de ce pays !
La relation entre le cadre macroéconomique et la croissance n’est pas binaire. La maîtrise du cadre macroéconomique n’induit pas forcément une croissance forte. Par contre, l‘absence d’un équilibre peut induire des risques sur l’économie et la croissance.
La croissance dépend de beaucoup d’autres facteurs. Bien sûr, l’effet budgétaire est important, mais il n’est pas suffisant. Et c’est sur ces autres facteurs qu’il faut désormais agir.
Quels sont-ils ?
Tout d’abord, l’investissement privé est en panne depuis plusieurs années et doit prendre le relais. Pourtant sur les quinze dernières années, grâce aux orientations royales, il y a eu un travail « énormissime » pour équiper le pays avec des budgets conséquents. Et comme le reconnaissent les investisseurs étrangers, notre pays aujourd’hui est enfin bien équipé en termes d’infrastructures.
Pour ne prendre qu’un exemple, ne peut aujourd’hui imaginer avoir un port tous les cinquante kilomètres de côtes, tant l’essentiel en la matière dans ce secteur, a été fait !
Ce qui exprime la volonté de l’état de satisfaire les besoins logistiques du pays et de renforcer sa compétitivité, afin de donner l’opportunité aux entreprises privées de prendre le relais.
Que reste t-il à faire par l’Etat selon vous, pour que le privé prenne le relais des investissements publics ?
Le secteur privé est un partenaire essentiel qui crée de la richesse et des emplois. Il ne s’agit donc pas de s’échanger des invectives ou des accusations, mais d’exprimer la volonté de travailler ensemble.
Quand on examine les freins à l’investissement, on entend toujours les mêmes complaintes.
On jette la pierre aux administrations, notamment celle des impôts, les banques sont clouées au pilori pour leur refus de financer les entreprises, la compétitivité est entravée, etc.
Mais quand on détaille ces griefs, dont certains sont sans doute légitimes, on peut remarquer que l’absence d’envie fait le lit des objections !
L’Administration des Impôts travaille dans le cadre d’une loi. Et les dossiers en contentieux qui arrivent au tribunal sont rarissimes. Les choses se gèrent normalement, et je peux vous dire que l’administration des impôts est un modèle de service public moderne et modernisé, avec notamment la réussite de sa révolution numérique. Les résultats sont d’ailleurs là avec une augmentation des recettes, l’instauration de la transparence, la réduction du contact, ce qui a fait baisser fortement la tentation de la corruption.
C’est la confiance qui est fondamentale pour l’implication du secteur privé et je me permets de souligner que les investisseurs étrangers, pour leur part, font confiance à notre pays, comme l’exprime le lancement tout récemment de l’usine Peugeot-Citroën à Kénitra.
A nos investisseurs locaux d’agir de la sorte !
M. Boussaid, ne croyez-vous pas qu’il reste des freins à l’investissement privé que l’Etat doit lever ?
Bien sur que oui, l’Etat n’a jamais fini d’inciter de différentes façons à l’investissement ! Je dois reconnaître qu’il y a sans doute des freins, des résistances, des lacunes et que l’Etat doit y mettre du sien pour résoudre les problèmes qui peuvent constituer des entraver à la volonté d’investir. Il faudrait sans doute revoir la question des relations avec l’Administration, le rôle des CRI, la chartre de l’investissement, etc.
Il n’est pas question d’éluder les problèmes, mais s’il faut les résoudre, dans le même temps, il faut se mettre au travail, investir, créer de la richesse et des emplois.
Les investisseurs nationaux doivent oser et innover et se tourner vers les opportunités qui se présentent, alors que nous pratiquons l’égalité des traitements pour tous, étrangers et nationaux.
Par exemple, pourquoi se limiter à l’immobilier alors que les meilleures occasions sont désormais dans l’industrie, l’agrobusiness les énergies renouvelables, etc.
Quels sont les secteurs qui peuvent prendre le relais de l’économie traditionnelle ?
Tous les secteurs concernés par des stratégies sectorielles recèlent des opportunités énormes.
Il y a l’agriculture et son aval, l’industrie avec tous les métiers mondiaux du Maroc, les services, les énergies renouvelables, le tourisme, bref tous les secteurs où notre pays dispose de potentialités.
En fait, il y a du potentiel quasiment partout mais il faut que cela s’inscrive dans des objectifs économiques nationaux. La première est de voir l’évolution de nos importations au cours des dix dernières années s’inverser alors qu’aujourd’hui du fait de leur diversification en des biens de consommation et elles vont en augmentant.
Mais n’avons-nous pas, au Maroc, la possibilité de réorienter la production nationale pour se substituer à ces importations ?
La seconde vient de la profondeur africaine, née des initiatives de Sa Majesté pour l’ensemble de notre continent. N’avons-nous pas la possibilité de réfléchir sur les besoins de ses pays afin que le Maroc devienne une plateforme de production et d’exportation ?
Enfin, troisième logique, celle qui est liée à l’économie du savoir, les nouvelles technologies, les industries innovantes, etc.
Ces réflexions, pleines d’espoir d’ailleurs, sont confortées par l’observation d’une augmentation des exportations marocaines au cours des dix dernières années.
Nous sommes passés d’exportations basiques à des exportations de moyenne et haute technologie.
Oui, mais par exemple, les voitures exportées ne rapportent pas beaucoup au pays à cause du faible taux d’intégration.
Ce n’est pas tout à fait exact, d’abord parce qu’il y a désormais 400 000 voitures qui partent à l’export, ce qui rapporte donc au pays, mais, en plus, il y a les effets bénéfiques en termes d’emplois. Mais il est vrai que l’enjeu, pour l’usine de Renault par exemple, est de hausser le taux d’intégration. Or, il y a un an, une convention a été signée entre Renault et le Ministère du Commerce et de l’Industrie pour l’achat pour un montant supérieur à 1 milliard d’euros par an de pièces produites au Maroc. De ce fait, le taux d’intégration, aujourd’hui de 30%, passera très rapidement à 65%.
Quant à PSA, dès le départ, le taux d’intégration sera de 80% puisque l’usine de Kénitra construira les moteurs des voitures.
Monsieur Boussaid, vous êtes ministre de l’Économie. En tant que tel, n’est-il pas nécessaire que votre département soit à l’origine d’un plan de développement sur les cinq prochaines années, alors que notre croissance a du mal à s’arrimer à un taux pérenne de 4,5% ou 5% du fait des divers aléas, (effets de la crise internationale, pluviométrie déficiente, etc.) ?
La croissance en 2017 sera d’au moins 4,5%, voire plus et il est nécessaire de revenir sur le taux de croissance de l’an passé, à peine supérieur à 1%.
En effet, le Maroc a connu en 2016 la sécheresse la plus importante de ces 30 dernières années !
Les conséquences sur la valeur agricole ont été drastiques avec une baisse en 2016 de -12% contre +12 % en 2015. cette amplitude de 24% a créé un véritable choc à notre économie !
Aussi, le PIB non agricole n’est pas assez fort pour absorber, plus ou moins, de tels chocs ?
En effet, le PIB non agricole, en 2015, était de 2,2%, et en 2016 de 2,6%, ce qui est très faible. En 2017, il devrait atteindre 3,2%.
Le PIB non agricole dépend des performances de l’ensemble des secteurs, de la demande extérieure adressée au Maroc. Notre économie étant ouverte, les effets de la croissance mondiale se traduisent positivement ou négativement. Et là, selon les prévisions de l’OCDE, on voit un retour de la croissance mondiale et surtout européenne, dont nous profitons plus. Et je pense que nous sommes à l’entame d’un nouveau cycle haussier.
Mais surtout , les stratégies sectorielles n’avaient pas encore produit suffisamment de résultats et parce que des contre-performances ont été enregistrées dans plusieurs secteurs.
Comme vous le savez, depuis 2008, notre croissance a été tirée par un secteur bien déterminé, l’immobilier, qui marque le pas depuis plusieurs mois.
Ce sont tous ces éléments, agrégés, qui expliquent la faiblesse de la croissance non agricole au cours des deux années précédentes.
L’orientation du PIB non agricole est positive, de 2,2% en 2015, 2,6% en 2016, nous attendons un 3,2% pour cette année.
Je terminerai sur le taux de chômage qui est stabilisé à 9,4%, et dont la baisse est directement corrélée à l’investissement, d’où notre appel à l’investissement privé car l’Etat ne peut être le seul à investir…
Entretien réalisé par
Afifa Dassouli
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Les chiffres de la conjoncture
Sur les quatre premiers mois de l’année, au niveau des activités primaires, l’espoir d’une bonne récolte céréalière a été confirmé, avec une estimation de 102 millions de quintaux de céréales, soit 40% de plus que la récolte de la campagne précédente.
Au niveau du secteur de la pêche, nous avons une augmentation de la valeur des débarquements de +18,5%, la production de phosphate de roche s’est raffermie de 7% au premier trimestre 2017, soit une augmentation de plus de 10% par rapport à l’an dernier à la même époque.
Quant aux dérivés de phosphates, leur production a progressé de 35 % au premier quart de l’année actuelle.
On constate également la bonne tenue des activités industrielles, +7,9%, la construction automobile +1,5%, l’aéronautique +9%, l’industrie pharmaceutique, +7,4%, etc.
Malheureusement, le BTP continue d’enregistrer des contreperformances avec la baisse des ventes de ciment de près de 7% à fin février 2017.
Cela parce que l’immobilier a connu une surchauffe entre 2010 et 2012, avant de connaître l’éclatement de la bulle qui s’était créée. Je considère que l’atterrissage ne s’est pas trop mal passé, avec des dégâts relativement limités et maîtrisés.
Aujourd’hui, on est revenu à une certaine normalité, la course aux acquisitions de terrains est terminée et la production s’est ralentie parce qu’on ne pouvait continuer à aller au-delà des capacités d’absorption du marché, notamment en termes de logement sociaux.
Par ailleurs autre élément notable, la reprise du secteur touristique, arrivées +10% et nuitées +19%, alors que le secteur du transport évolue favorablement avec la hausse du transport aérien de 12% à fin avril.
La dynamique globale du secteur des télécommunications continue à être positive avec la hausse de 25 % du parc internet sur les quatre premiers mois.
Tous ces indicateurs sont aussi réels que bons
Quant à la consommation des ménages, elle a augmenté de +4,8% à la fin du mois d’avril, ce qui indique le retour de la confiance des ménages dans l’économie, puisqu’ils consomment !