
M. El Mahdi ARRIFI Directeur Général de l’Agence pour le Développement Agricole.
Entretien avec M. El Mahdi ARRIFI, DG de l’Agence de Développement Agricole
La Nouvelle Tribune : L’Agence pour le Développement Agricole, en tant que pierre angulaire du développement de l’agriculture au Maroc, est directement impliquée dans les enjeux environnementaux du secteur, et gère un portefeuille de projets de développement durable. Pourrions-nous avoir un tour d’horizon des principaux projets et de leurs évolutions récentes ?
M. El Mahdi ARRIFI : Depuis sa création en 2009, l’ADA joue un rôle central dans la mise en œuvre des ambitions stratégiques du secteur agricole au Maroc. L’intégration du développement durable dans ses actions reflète à travers l’adoption de mesures d’adaptation et d’atténuation aux changements climatiques tout en accordant une attention particulière à la sauvegarde des ressources naturelles pour une agriculture durable et ce à travers l’encouragement et la promotion des mesures d’atténuation (programme de plantation de l’arboriculture fruitière, rationalisation de l’usage des engrais et des pesticides, gestion des déchets agricoles …) et aussi des mesures d’adaptation (mise en œuvre des projets agricoles solidaires inclusifs pilier II, programme national d’économie d’eau d’irrigation PNEEI, subventions du Fonds de Développement Agricole, Recherche Agronomique…).
Ainsi et afin mettre en œuvre ces mesures, l’Agence pour le Développement Agricole (ADA) contribue activement à la levée de fonds additionnels auprès des différents bailleurs de fonds nationaux et internationaux pour accélérer la réalisation de projets de développement agricoles résilients aux changements climatiques destinés principalement aux petits agriculteurs dans les zones les plus vulnérables.
A ce titre, l’ADA a pu mobiliser un montant de 240 MDH pour le financement d’un porte feuille de projets agricoles résilients aux changements climatiques intégrant les mesures d’adaptation et atténuations, financés par les bailleurs de fonds notamment : le Fonds pour l’Environnement Mondial, le Fonds Français pour l’Environnement Mondial, le Fonds International de Développement Agricole.
Il est à souligner que les efforts déployés par le Maroc en matière de renforcement de la résilience du secteur agricole au changement climatique, ont été couronnés par l’accréditation de l’ADA auprès du Fonds d’Adaptation en 2012 et auprès du Fonds Vert pour le Climat en 2016, lui permettant un accès direct aux ressources financières de ces fonds, à même de concrétiser des projets de développement durable au profit des populations vulnérables, non seulement dans le secteur agricole mais également pour les autres secteurs à l’échelle nationale.
Au titre de son mandat d’accréditation auprès du FVC et du FA, l’ADA a également pu mobiliser des fonds d’un montant de 475 MDH sous forme de Dons dont 310 MDH ont été décaissés.
Lesdits fonds ont porté principalement sur le Projet d’Adaptation au Changement Climatique dans les Zones Oasiennes (PACCZO) pour un montant de 10 MUSD, visant le renforcement de la résilience des populations et de l’écosystème oasiens aux impacts du changement climatique, aussi sur le Projet de Promotion de l’arganiculture dans les zones vulnérables – DARED pour un montant de 49.2 MUSD (dont 39.3 MUSD don), portant sur le renforcement de la résilience des communautés rurales et la préservation de la réserve de biosphère d’arganeraie (RBA) ainsi que sur des dons de préparation et d’appui à l’ADA «Readiness Grant» accordé par le FVC et le FA, pour un montant de 1.039 MUSD.
Au titre de l’année 2021, l’ADA a pu également obtenir son ré-accréditation auprès du FVC pour les 5 prochaines années.
L’ADA a été la première entité accréditée au Maroc auprès du FA et du FVC. Que pensez-vous de l’état de développement de la finance verte au Maroc, et de l’intérêt qu’elle suscite, autant au niveau des bailleurs de fonds que des porteurs de projets ?
Le Maroc s’est inscrit dans l’effort international visant la lutte contre le changement climatique par la signature en 1992 et la ratification en 1995 de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC), le Maroc a ratifié aussi le Protocole de Kyoto en 2002 et l’Accord de Paris en 2016.
Le Maroc fait partie également des pays ayant adopté l’agenda du développement durable à l’horizon 2030 à travers dix-sept objectifs globaux (ODD) mettant en exergue les préoccupations majeures du monde notamment la lutte contre le changement climatique (son 16 objectif). De plus, le Maroc est doté de stratégies et d’outils structurants les efforts pour la lutte contre le changement se traduisant à travers l’élaboration de la Stratégie nationale du développement durable (SNDD-2030), le Plan Climat National (PCN 2030), la Contribution Nationale Déterminée (CDN) révisée et aussi le Plan National d’Adaptation (PNA).
Dans ce cadre, la finance climat est une opportunité pour la mobilisation de financement pour la mise en œuvre principalement les projets prioritaires identifiés dans la CDN du Maroc, qui à ce jour, est le deuxième pays en Afrique qui attire le plus les financements climatiques.
En effet, le Maroc est assez clair sur le fait que sa transition vers un avenir durable est dépendante d’un financement extérieur, qui sera drainé notamment à travers les entités accréditées par les fonds climatiques (Fonds d’Adaptation & Fonds Vert pour le Climat) dont l’ADA a eu l’honneur de décrocher les accréditations en premier.
Le Maroc se prononce ainsi pour la poursuite conséquente de la mobilisation de la finance climat en encourageant l’accréditation d’autres entités qui sont au nombre de trois actuellement en plus de l’ADA (Attijari Wafa Bank, CDG Capital et MASEN). Mais également à travers la levée de fonds via les agences multilatérales et les banques de développement.
Les porteurs de projets quant à eux, sont toujours demandeurs d’appui technique et financier. Et les besoins en termes de financement liés au coût d’adaptation et à l’atténuation dans le secteur agricole principalement et les autres également ne cessent d’augmenter, ce qui a amené l’ADA actuellement à amorcer le processus de rehaussement du niveau de son accréditation pour passer des projets de petite taille (Small : 10-50 MUSD) aux projets de taille moyenne (Medium : 50-250 MUSD) et pouvoir ainsi contribuer à la satisfaction des requêtes d’un large éventail de projets.
L’ADA part en permanence à la rencontre des acteurs du secteur agricole au Maroc, des grands exploitants aux petites coopératives. Selon vous, quel est le degré de sensibilisation de ces différents acteurs aux questions environnementales ?
L’Agence pour le Développement Agricole agit en synergie avec les différents acteurs du secteur agricole. Ces nombreuses interactions se matérialisent tout au long de l’année à travers les rencontres sur le terrain, les événements nationaux et internationaux et l’accompagnement des petits agriculteurs et des grands exploitants pour la conception et le suivi des projets agricoles et de développement durable.
Également, l’ADA s’est engagée dans une démarche promouvant les dimensions environnementales dans sa mission d’accompagnement de l’évolution du secteur agricole et de la mise en œuvre des stratégies de développement agricole du Royaume du Maroc. Cet engagement en matière de durabilité environnementale se traduit notamment par l’élaboration d’une « Evaluation environnementale stratégique du Plan Maroc Vert » en 2012, la mise en place d’une Politique de Sauvegarde Environnementale et Sociale en 2015 et sa révision en 2020, reflétant ainsi sa vision intégrante des dimensions environnementales et sociales dans le cycle des projets.
La question environnementale se trouve au cœur des préoccupations des acteurs du secteur au vu le contexte mondial actuel. En effet, l’ADA déploie des efforts pour accompagnement les agriculteurs marocains (à travers les entités du Département de l’Agriculture) et la sensibilisation à la durabilité environnementale en les encourageant à adopter les bonnes pratiques agricoles pour une meilleure durabilité et une utilisation raisonnée des ressources en eau et en sol, et ce avec l’appui de l’ensembles des entités du Département de l’Agriculture.
Par ailleurs, l’ADA à travers son statut d’Agence d’exécution de plusieurs projets financés par les Bailleurs de Fonds Multilatéraux et Bilatéraux, met en place des appuis techniques sur le thème de la durabilité environnementale, par exemple : l’instauration de techniques comme le semis directs (projet PICCPMV financé par la BM), la domestication de l’arganier (projet DARED financé par le FVC) ou le renforcement de la résilience des oasis (projet PACCZO financé par la FA).
A titre de l’élaboration de sa stratégie de communication, l’ADA a élaboré un panel d’outils de sensibilisation à la question de développement durable du secteur agricole allant de brochures d’informations, à des capsules vidéo, à des guides et manuels thématiques.
Les années à venir, entre sortie de crise et mise en œuvre du Nouveau modèle de développement, promettent d’amener de profonds changements pour le Maroc en général, et son secteur agricole en particulier. Selon vous, quels seraient, du point de vue environnemental, les opportunités à saisir et les défis à relever pour les opérateurs agricoles marocains ?
Le Maroc est appelé à faire face aux changements climatiques et aux impacts du Covid-19, en repensant l’ensemble du modèle de développement et en redéfinissant les plans et programmes sectoriels, notamment pour le secteur agricole qui s’est montré très résilient face à la crise sanitaire conjuguée aux années de sécheresse grâce aux stratégies adoptées.
En effet, à l’instar de la stratégie «Plan Maroc Vert», la dimension du développement durable et du changement climatique constitue l’une des préoccupations majeures de la nouvelle stratégie «Génération Green 2020-2030» qui réside dans le développement du capital humain, la gestion durable des ressources naturelles, l’adaptation et l’atténuation du changement climatique.
Pour atténuer les impacts du changement climatique et réussir la transition vers une économie verte et durable, la nouvelle stratégie capitalisera sur les réalisations du PMV et engagera de nouvelles initiatives basées sur la promotion de l’investissement vert qui vise entre autres, le développement agricole durable à bas carbone, la préservation des ressources naturelles, l’adaptation et l’atténuation du changement climatique.
A ce titre, les principaux projets et programmes de la stratégie « Génération Green » qui visent entres autres la transformation digitale et l’utilisation des nouvelles technologies, le renforcement de la résilience et la durabilité de l’agriculture marocaine, la réduction des émissions des Gaz à effet de serre se résument en 3 grands axes, le premier consiste à la promotion de la transition énergétique du secteur agricole vers l’énergie verte à travers l’utilisation de l’énergie solaire/éolienne pour le pompage collectif, le fonctionnement des unités de valorisation et bâtiments d’élevage, etc. Ainsi que la valorisation de déchets et de la biomasse agricole pour la production de l’énergie (méthanisation, bois de chauffage…) et les biofertilisants (compost, biochar…). Le deuxième axe est le programme de mobilisation et d’économie de l’eau d’irrigation qui permettra une mobilisation de ressources non conventionnelles à travers la mise en place de projets de dessalement et de traitement des eaux usées alimentés en énergie renouvelable. Elle veillera aussi à la poursuite des projets d’économie d’eau à travers la reconversion des systèmes d’irrigation traditionnels en goutte à goutte sur une superficie de 500 000 ha et aura aussi comme objectif la mobilisation et le captage des eaux pluviales (eaux vertes) à travers l’aménagement des ouvrages de collecte et stockage et d’épandage d’eau et le troisième axe consiste à renforcer davantage les projets d’adaptation et d’atténuation des effets du changement climatique et ce, moyennant l’adoption de l’agriculture de précision à travers le recours à l’utilisation des nouvelles technologies pour la conduite, la gestion et le suivi des exploitations agricoles (drones, capteurs, alerte précoce…) pour augmenter la productivité tout en réduisant la consommation d’énergie et d’intrants, la mise en œuvre de projets de l’agriculture biologique (100.000 ha), de l’agroécologie et l’agroforesterie ainsi que des projets de l’agriculture de conservation et de la restauration des sols et de la biodiversité (plantation des arbres fruitiers, gestion des parcours, semis direct, conservation des eaux et des sols (CES), …).
Entretien réalisé par
Afifa Dassouli